Le buzz Cantona

Lors d’une interview filmée accordée le 8 octobre dernier au quotidien nantais Presse Océan, Eric Cantona, l’ex-footballeur mettait les banques au pilori. Les accusant de tous les maux, et vu l’échec des manifestations contre la réforme des retraites à faire plier le pouvoir, il proposait de les détruire par le biais d’une mobilisation "révolutionnaire" : retirer en masse l’argent des établissements. "S’il y a 20 millions de gens qui retirent leur argent, le système s’écroule", Canto dixit.

La vidéo connaît un premier écho et Bakchich la relayait le 12 octobre.

Dès fin octobre, la presse allemande s’en fait l’écho, puis la presse belge.

L’appel du footballeur inspire des internautes, mais en ordre dispersé : un site ici, des groupes ou des pages ou des événements Facebook là. La date du 7 décembre apparaît début novembre sur le site multilingue Bankrun2010 dans l’appel lancé par la réalisatrice belge Géraldine Feuillien, 41 ans. Pourquoi le 7 ? "Pour pouvoir toucher son salaire avant". Pas sot.

A ce moment, la vidéo de Canto a été vue par quelques dizaines de milliers de personnes.

L’initiative et la notoriété de l’ex-footballeur finissent par attirer l’attention de la presse française.

Et c’est une dépêche AFP du 22 novembre qui officialise le buzz naissant et amplifie le mouvement (voir graphique ci-dessous) tout en communiquant la date - que Cantona n’a jamais fixée : "Révolution ! Le 7 décembre, on va tous retirer notre argent des banques".

En Belgique, la fédération belge du secteur financier s’inquiète. "Cette action peut déstabiliser notre système financier qui est fragile", déclare le 24 novembre Michel Vermaerke, administrateur délégué de Febelfin.

La vidéo de Presse Océan, reprise un peu partout, dépasse désormais les centaines de milliers de vues cumulées (YouTube, DailyMotion…)

Le 29 novembre, Cantona embraye et déclare à Libé : "Je constate comme tout le monde cette étrange solidarité qui est en train de naître, alors, oui, le 7 décembre, je serai à la banque".

Finalement, le buzz atteint le 1er décembre les hautes sphères de l’Etat en la personne de la ministre de l’Économie (et de la "Rilance") Christine Lagarde. Selon qui Cantona "n’est pas à une provocation près". "C’est un immense footballeur, pas sûr qu’il faille le suivre dans toutes ses suggestions non plus".

Olivier Besancenot (NPA) s’exprime aussi sur le sujet dans Libération du même jour : "L’idée de s’attaquer tous ensemble aux marchés financiers est évidemment quelque chose de séduisant. Ce désir de révolution me plaît". "La réalité, c’est que beaucoup de ceux qui rêveraient de la faire n’ont plus forcément de l’argent sur leur compte en banque. Et puis, les capitalistes ont déjà anticipé le truc puisqu’ils font crédit à tour de bras avec de l’argent qu’ils n’ont pas", poursuit-il. Et, de conclure sur l’exemple de l’Argentine au début des années 2000 : "les gens se sont précipités, les banques ont fermé, la police a frappé. Les banques sont toujours du côté du pouvoir".

"C’est grotesque et irresponsable. Cantona en conseiller financier, ce n’est pas très sérieux (…) A chacun son métier, et les vaches seront bien gardées !", brocarde à son tour le ministre du Budget François Baroin dans une interview à France-Soir samedi.

A l’approche du jour fatidique c’est l’heure de gloire : les recherches sur Google atteignent un pic.

Reste qu’il n’est pas aisé de vider son dépôt à vue sans anticiper, dès lors que certains montants sont atteints, en France du moins.

À défaut de s’inquiéter, les banques pourront ruminer cette forte pensée de Canto : "When the seagulls follow the trawler, it’s because they think sardines will be thrown into the sea" [1]

-----