La réforme de la procédure pénale ne pourra être viable que si le parquet décide enfin de communiquer le dossier de l’instruction à la défense, comme cela s’est vu dans l’affaire Dray, analyse un avocat au barreau de Paris.
Le parquet de Paris annonce que, dans son enquête préliminaire sur l’affaire Julien Dray, il communique à la défense le rapport de la brigade financière. On proteste, y compris l’intéressé : l’actuel droit ne le prévoit pas. C’est exact : à ce jour, le dossier n’est transmis à la défense qu’au moment où l’affaire est jugée (cas de la citation directe après l’enquête préliminaire) ou quand la personne suspectée est mise en examen par le juge d’instruction ou encore quand elle bénéficie du statut de témoin assisté de la part de ce juge.
Pourtant, l’initiative du parquet dans le dossier Dray représente l’avenir. En effet, il est clair que la réforme de la procédure pénale sera votée. Le président de la République l’a encore appelé de ses vœux récemment.
Dès lors, il est fondamental que la personne mise en cause puisse avoir accès à la procédure le plus tôt possible pour que la défense impose un débat contradictoire sur les éléments recueillis à son encontre. En Allemagne, dans le cas de l’affaire Dray, ses avocats auraient obtenu l’original du dossier du parquet (et non sa copie) dès les premières perquisitions ou dès l’examen de ses comptes en banque. Il est invraisemblable qu’en France, la presse ait, jusqu’ici, informé Julien Dray de la teneur de son dossier et non le parquet qui conduit l’enquête.
L’absolue nécessité que le parquet transmette à la défense la procédure n’est pas bien comprise par le comité Léger pour la réforme de la procédure pénale : il n’en évoque que la possibilité et non l’obligation.
Croire que le procureur instruira à charge et à décharge, comme il le préconise, est un leurre : le parquet collectera d’abord des charges car accuser est sa nature. Le comité prône un contre-pouvoir. Le nouveau juge de l’instruction contrôlera, pour les autoriser ou les refuser, les actes les plus coercitifs du parquet (perquisitions, écoutes téléphoniques) : c’est un rideau de fumée. Tout d’abord, l’essentiel des actes d’enquête en est dispensé : entendre les témoins, les victimes, effectuer les constatations de base, etc. Or, c’est là que se vérifient les alibis. Quant aux actes coercitifs, les autorisations demandées seront toujours octroyées.
Aujourd’hui, un système comparable fonctionne déjà : dans les enquêtes préliminaires du parquet pour les infractions graves, le juge des libertés et de la détention (JLD) doit autoriser les perquisitions et écoutes téléphoniques : il le fait toujours. Idem pour les enquêtes fiscales : les « visites domiciliaires » du fisc sont toujours agréées. La défense n’est pas présente lors du débat car on ne peut l’informer de la survenance de « mesures intrusives ». Dans les affaires avec juge d’instruction, le JLD accepte 9 demandes sur 10 de placement en détention provisoire. Il hérite du dossier quand le mis en examen lui est présenté. La défense vient d’avoir accès à la procédure : elle n’a pas eu le temps d’y faire peser sa critique.
Le futur juge de l’instruction fera de même. Il ne sera qu’une machine à autoriser le parquet à instruire à charge.
L’idée de l’instruction à charge et à décharge n’est pas comprise. Elle signifie collecter d’abord toutes les preuves en faveur ou à la défaveur du suspect ; elle signifie les peser ensuite de façon impartiale. Les juges d’instruction font très bien le premier travail. Les procédures en révision le démontrent : dans les affaires graves où l’instruction a duré, on ne trouve aucun fait nouveau. En revanche, les juges analysent vite à charge. Le rôle de l’avocat de la défense est primordial, non pour demander des preuves nouvelles mais pour présenter une analyse à décharge de celles déjà au dossier.
Les adversaires du juge d’instruction ne parviennent pas à distinguer ces deux étapes. Ils veulent un enquêteur plus indépendant mais ils ne voient pas que les preuves sont déjà devant eux. Ils croient que le juge accuse surtout mais ce n’est qu’une lecture du dossier, celle d’un magistrat qui y voit surtout des charges. Ils ne saisissent pas que la seule façon de rééquilibrer le débat est de permettre seulement mais sûrement à la défense de présenter ses propres analyses.
On comprend donc que le système proposé n’est viable qu’à une seule condition : la communication du dossier par le parquet à la défense le plus tôt possible. Grâce à cela seulement les pouvoirs du parquet seront contrebalancés : ses preuves à charge seront rééquilibrées par celles que la défense demandera tôt au juge de l’instruction ; le biais naturel de ses enquêtes sera infléchi par les interprétations de la défense.
A défaut, la réforme va vers un fiasco à l’italienne : la procédure du parquet est communiquée tard à la défense. Pourtant, les avocats assistent aux gardes à vue et usent d’enquêteurs privés. Ils dénoncent quand même le déséquilibre des armes !
Il faut donc saluer la jurisprudence ‘Le Mesle’ du nom du procureur général de Paris qui prend l’initiative de communiquer à la défense des éléments d’une enquête du parquet en cours.
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