L’affaire de la rumeur devient "l’affaire du blog" avec la plainte déposée par le Journal du Dimanche contre le prestataire à l’origine du message qui a fait le tour du web. Audacieux, et lourd de conséquences.
Y aura-t-il un avant et un après ? En rallumant le contre-feu médiatique le week-end dernier sur la rumeur qui prêtait une liaison au binôme élyséen, le conseiller de Carla Bruni Pierre Charon a lâché le mot : "casus belli". Et quand bien même ladite "rumeur" avait disparu des écrans radar depuis huit jours, le parquet de Paris a donc ouvert une enquête préliminaire après le dépôt d’une plainte de Hachette Filipacchi Associés, société éditrice du JDD.fr qui a hébergé le blog à l’origine du ramdam.
L’avocat de Hachette et conseil du JDD, Me Christophe Bigot, a déposé cette plainte vendredi dernier pour "introduction frauduleuse de données dans un système informatique", en s’appuyant sur l’article 323-3 du Code pénal. Le blog, dixit la plainte, a été posté "en fraude des procédures habituelles, ce qui affecte la crédibilité de la société et lui cause un préjudice important de réputation".
La plainte a été déposée contre X mais "vise en fait l’auteur du blog qui a diffusé la rumeur sur le site du JDD" selon une source judiciaire. Ah bon ? Car l’auteur n’est plus un inconnu, en tout cas chez Hachette, puisque le 25 mars, veille de la plainte, la direction du JDD annonçait la démission d’un directeur de Newsweb (filiale de Lagardère Active, prestataire des blogs du JDD.fr) et de l’auteur du blog, un salarié (non-journaliste) de Newsweb. Lequel, sous le pseudo "Miklo7" avait posé dans la nuit du 8 au 9 mars son billet fatal.
En quoi un prestataire de services serait-il coupable d’"introduction frauduleuse de données" ? Ce délit vise essentiellement, selon la jurisprudence, les "modes de pénétration irréguliers" : le hacking, l’usurpation de codes, l’introduction de programmes viraux voire le spam qui met en carafe les serveurs… En clair, faute de "données frauduleuses", on viserait "l’introduction frauduleuse". Avec pour argument que le salarié de Newsweb aurait mis son texte en ligne… depuis un domicile privé, et pas depuis son bureau ?
Nous avons posé la question à Me Bigot. Il estime que l’introduction frauduleuse est constituée par la rupture de la charte d’utilisation du blog, assimilable à un contrat, et que l’article 323-3 "correspondait le mieux" au dossier. Mais, selon lui, en matière de poursuites contre des rumeurs-sur-des-blogs, "on est assez limité". "Soit c’est du civil, soit il y a des investigations qui vont au-delà de la simple recherche d’une adresse IP, et il faut un fondement pénal. Ils sont assez peu nombreux et réunis dans les articles 323-1 et suivants du Code".
Le motif de la plainte reste pour le moins "audacieux", selon Me Gérard Haas, avocat spécialisé dans le droit du net. Il pourrait chercher à ouvrir une brèche dans l’irritante impunité des blogueurs, fussent-ils hébergés par des sites web de médias d’information politique et générale, dits "sérieux".
Selon Me Haas, "le fait pour un blogueur d’accéder à son blog est parfaitement régulier. Il ne s’agit donc pas d’un mode de pénétration irrégulier dans un système de traitement automatisé de données. Par conséquent, lorsqu’un blogueur ne respecte pas les conditions d’utilisation de la charte, seule sa responsabilité contractuelle est susceptible d’être recherchée."
En outre, ajoute l’avocat, "si l’introduction volontaire de données inexactes dans un système de traitement automatisé de données peut porter atteinte aux droits d’autrui et caractériser le délit prévu par l’article 323-3, encore faut-il que la rumeur soit infondée et que sa publication puisse être considérée de comportement frauduleux à l’instar d’un programme « sniffer » à l’intérieur d’un serveur… Pourquoi choisir une action si aléatoire alors qu’il existe l’action en diffamation qui permet d’éradiquer facilement les rumeurs ?"
Quant à la suite de l’affaire, pour Me Bigot, elle peut prendre deux directions : "Soit le blogueur a agi seul, de son propre chef, soit il a été instrumentalisé". Une hypothèse déjà soulevée par l’avocat de Sarko, Me Thierry Herzog, qui s’est publiquement interrogé sur les motivations obscures de ceux qui accréditeraient l’idée que le chef de l’Etat et son épouse ont "une vie dissolue".
Reste que, vie dissolue ou non, un nouveau coup de semonce vient d’être envoyé aux blogueurs. Et c’est pas une rumeur.
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