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L’affaire d’Outreau donne corps à la détestation larvée du juge d’instruction. Pourtant, l’examen de son dossier montre que la mesure phare de la réforme –faire instruire par le procureur sous le contrôle du nouveau juge de l’enquête et des libertés, à la place de l’ancien juge d’instruction- malmène les libertés publiques.
Outreau a déjà été instruit en pratique par trois procureurs : le juge Burgaud, le procureur Lesigne et le second juge d’instruction Cyril Lacombe. Les deux juges d’instruction n’ont, comme le procureur, considéré que les éléments à charge : les accusations de deux personnes mises en examen -dont Myriam Badaoui- et les déclarations des enfants. Ils n’ont pas vu que le caractère démentiel de ces allégations les condamnaient. Par exemple, ils ont cru qu’un berger allemand avait pu ‘violer’ Myriam Badaoui et que, pour éviter les traces de griffes, on lui avait bandé les pattes ! Les 3 procureurs ont ignoré les éléments à décharge : deux enquêtes de voisinage à un an d’intervalle montrant que personne dans l’immeuble n’avait vu des violeurs et des mineurs se rendre chez les Delay ; la piste pédophile belge non confirmée ; l’impossibilité de découvrir le corps d’une petite fille ‘tuée’ chez les Delay et ‘enterrée’ dans un jardin ; le fait que le dénonciateur de ce ‘crime’ –un autre mis en examen- avouait quelques semaines plus tard avoir menti. Ces éléments ridiculisaient les accusations.
Les trois procureurs ont interprété à charge des éléments à décharge : l’expert psychologue disait avoir relevé chez les mis en examen certains traits de caractère des abuseurs sexuels pourtant véniels (immaturité affective et égocentrisme) mais il constatait aussi l’absence de toute perversité. Les experts psychiatres ne relevaient rien d’anormal. Or, sous la plume des procureurs, on ne retrouvait que les traits d’abuseurs sexuels ! Ces procureurs ont aussi déformé des éléments à décharge : le résultat des expertises médicales des enfants Delay ne montrait aucune trace de sévices. Les 2 premiers procureurs ont fait faire une nouvelle expertise des enfants : aux experts, il était demandé si l’absence de trace pouvait s’expliquer par l’emploi de gel comme le disaient les accusateurs. Réponse suiviste : oui, et les constatations médicales rejoignent celles du dossier ! Pas de preuve égale davantage de preuve !
Les trois procureurs ont ‘maquillé’ les preuves à décharge : voyant que la piste du ‘meurtre’ de l’enfant tournait court, les 2 premiers l’ont disjointe du dossier principal pour en faire une autre procédure, ce qui empêchait la défense de s’en servir et le 3ème a relayé cet ‘avantage à charge’ dans son ordonnance de fin d’instruction. Aucun des trois n’a voulu voir que, à l’occasion du placement des enfants Delay en famille d’accueil dans les années précédentes, les intervenants sociaux considéraient Myriam Badaoui comme une affabulatrice, manipulant les gens et s’exhibant sur le plan psychologique.
Enfin, le 3ème procureur –le 2ème juge d’instruction- a même décidé de renvoyer devant la cour d’assises un mis en examen pour lequel le procureur en titre voulait un non-lieu !
Voilà le genre d’instruction que le parquet pourrait mener à l’avenir.
Il faut remarquer que, dans cette affaire, tout était dans le dossier car le juge d’instruction cherche la vérité : il saisit tout ce qui est saisissable. Que se passera-t-il quand le parquet fera l’enquête ? Dans les dossiers actuels qu’il conduit, on trouve surtout des charges, les alibis ne sont pas vérifiés et parfois les officiers de police judiciaire travestissent leurs constatations.
Le juge d’instruction doit aussi interpréter de façon impartiale les éléments qu’il a collectés. D’où le rôle fondamental de la défense : non pas (faire) chercher des preuves à décharge (elles y sont déjà) mais tout analyser à décharge. Or, Outreau montre aussi une faillite de la défense pendant l’instruction. Très rares sont les avocats qui firent des demandes de mise en liberté et qui critiquaient en détail les preuves contre leur client (un juge des libertés et de la détention –‘JLD’- s’en est étonné devant la commission d’enquête, expliquant avoir libéré un mis en examen car il avait lu le mémoire de son avocat) ; même ces demandes ne visaient pas tous les éléments à décharge ; aucun entretien n’a eu lieu avec le juge des libertés avant ses décisions ; beaucoup de demandes d’enquête ne tenaient pas compte des éléments déjà au dossier ; aucune demande d’annulation des mises en examen n’a été formulée ; aucune démarche n’a été entreprise auprès du président de la chambre d’instruction, etc.
Que se passera-t-il quand, en plus de devoir analyser le dossier du procureur, il faudra demander des enquêtes pour chercher des preuves à décharges ?
La protection du nouveau juge de l’enquête et des libertés est illusoire : l’actuel JLD qui intervient de façon comparable dans certains cas entérine presque toutes les demandes du parquet.
La garantie de base doit être la communication du dossier à la défense le plus vite possible.