Une réforme de la justice pénale est nécessaire sous trois conditions : réduire le délais de détention provisoire, de garde à vue, et définir le rôle du nouveau juge de l’instruction.
Le rapport d’étape du comité de réflexion sur la justice pénale, publié en mars 2009, contient une avancée remarquable : la réduction drastique des délais de la détention provisoire. Il y est rappelé qu’à ce jour, en matière criminelle, un maximum de 6 ans et 8 mois peut s’écouler entre l’incarcération et le jugement. En matière délictuelle, ce maximum est de 3 ans et 6 mois. Le comité propose une durée maximale de deux ans dans les dossiers criminels courants, un an pour la correctionnelle habituelle ; soit des réductions de 70 % !
Ce serait une révolution. Il est inadmissible que, en 2009 en France, on puisse attendre en prison sa comparution devant une cour d’assises près de 7 ans. De plus, la tendance se durcit : selon la commission de suivi de la détention provisoire, la durée moyenne s’en allonge dans tous les dossiers.
Le scandale s’accroît quand on sait que les personnes en attente d’être jugées (les ‘prévenus’) seraient présumées innocentes… Les erreurs judiciaires n’en sont que plus graves : en 2005, il y aurait eu 1100 cas de détention provisoire terminées sans condamnation, soit plus d’un millier de personnes déclarées innocentes alors qu’elles ont été emprisonnées plusieurs mois sinon plusieurs années ! Outreau illustre ce désastre.
La réduction drastique de la durée de la détention provisoire corrigerait pour partie le second défaut de la justice pénale française : des enquêtes avant procès trop longues. Dans les affaires financières, des investigations sont ordonnées parfois après 10 ans ; dans les affaires de droit commun, les juges multiplient auditions et confrontations pour un résultat marginal.
Avec la réforme proposée, les dossiers dans lesquels la justice souhaite que les prévenus comparaissent détenus seront jugés plus vite.
Pour les autres – prévenus dits ‘libres’ –, il faut avoir le courage de créer des délais butoirs bornant la durée des enquêtes préalables.
Le comité s’égare sur la question de la garde à vue : aucune modification sur sa durée qui peut atteindre plusieurs jours. Seules des mesurettes sont proposées, par exemple la communication du procès-verbal d’audition du mis en cause à son avocat lors de la visite de ce dernier à la 12ème heure.
Il faut pourtant en circonscrire l’usage, d’abord en réduisant ses délais. En effet, elle ne sert qu’à provoquer des aveux. Or, il ne peut s’agir de la reine des preuves. Dans les affaires graves de terrorisme ou de grand banditisme, les accusés sont condamnés en dépit de leurs dénégations : il y a donc des investigations complémentaires dont les résultats sont jugés probants. Dans les affaires où les mis en cause sont fragiles, les aveux entraînent des condamnations remises en question plus tard. Témoin, l’affaire Machin : un SDF avoue un meurtre en garde à vue puis le nie ; il est condamné à 18 ans de prison. Huit ans plus tard, un second SDF s’accuse du même meurtre. On trouve alors l’ADN du deuxième sur les vêtements de la victime et sous ses ongles… Aucune corroboration de l’aveu initial n’avait-elle été obtenue ? Avec une garde à vue réduite, un suspect n’aurait peut-être pas fait des aveux si critiquables.
Le rapport n’apporte rien sur le couple parquet enquêteur / juge de l’instruction qui remplace l’actuel attelage parquet / juge d’instruction / juge des libertés et de la détention (dit JLD). Le juge de l’instruction y est censé contrebalancer le pouvoir nouveau d’enquêter du parquet en lui autorisant ou lui refusant les actes coercitifs comme les perquisitions, saisies, etc. Il faut craindre au contraire qu’il entérine presque toutes ses demandes. A ce jour, le JLD saisi à des fins similaires dans certains cas (détention provisoire ou perquisitions du parquet ou du fisc) adoube la grande majorité des demandes coercitives.
La vraie révolution est évoquée sans conviction : il est envisagé qu’un mis en cause entendu ou ayant fait l’objet d’une ‘mesure intrusive’ (perquisition) demande à être partie à la procédure, donc à avoir accès au dossier. Voilà qui romprait avec la tradition nocive d’un trop grand secret des enquêtes. Il est anormal qu’un Julien Dray apprenne par la presse que les policiers épluchent ses comptes sans avoir accès au dossier. Il est abusif que plusieurs tomes d’investigations soient opposés à un suspect présenté au juge d’instruction avec le risque d’une mise en examen et d’une détention provisoire : comment se défendre, sur le moment, face à ce rouleau compresseur ?
Enfin, l’accès au dossier en amont par la défense rééquilibrerait la conduite des investigations : elle pourrait demander tôt des actes à décharge. Si le parquet enquête seul, la tentation est forte de ne collecter que des charges sans le souci des alibis. Cela suppléerait même sa dépendance à l’exécutif que craignent à tort les adversaires de la réforme.
Pourquoi tant s’agiter ? Ces deux réformes – détention provisoire réduite et dossier de l’enquête communiqué tôt – pourraient être implantées dans le système actuel.
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