Présenté dans le cadre des Etats généraux du documentaire de Lussas, Le Temps des Grâces, de Dominique Marchais, offre un regard engagé sur l’agriculture française et le rôle des paysans aujourd’hui en France.
Avec Le Temps des Grâces, Dominique Marchais réalise un tour de France des campagnes françaises et dresse un état accablant de l’agriculture moderne. Tour à tour, agriculteurs, éleveurs, microbiologistes, chercheurs, fonctionnaires, ainsi que l’excellent écrivain Pierre Bergounioux (voir extrait vidéo), apportent leur pierre à l’édifice de ce plaidoyer pour l’écologie.
Au gré des rencontres de Dominique Marchais se dessine l’euphorie de la modernisation des techniques agricoles, initiée dans les années 50 et ses atouts dans l’amélioration des conditions de travail des ouvriers de la terre. Cette époque de grands desseins fait aujourd’hui place aux inquiétudes et à une certaine nostalgie d’acquis perdus, que ce soit en termes de savoir-faire ou de respect de la nature. L’exode rural et les difficultés financières ont mis fin aux exploitations à taille humaine pour faire place à d’immenses champs de plusieurs centaines d’hectares. On assiste alors à une rationalisation des productions au détriment de la biodiversité.
Le Temps des Grâces est bel et bien un appel à une prise de conscience, argumenté et justifié par des raisons tant sociales qu’économiques. Plus proche de Raymond Depardon que de Yann Arthus-Bertrand, Dominique Marchais donne la parole aux hommes et aux sensibilités, sans nous faire culpabiliser, mais en essayant de comprendre ce qui nous a amené à négliger notre terre.
Au cours de cette promenade dans les campagnes françaises, le réalisateur ne se contente pas de remonter le temps en évoquant un passé où l’homme vivait davantage au rythme de la nature, il se tourne aussi résolument vers l’avenir en rencontrant ceux qui, optimistes, se battent pour trouver des solutions pérennes.
En Champagne, Lydia et Claude Bourguignon, microbiologistes des sols, constatent chaque jour la dégradation des sols agricoles et viticoles. Les vignes qui autrefois vivaient une centaine d’années meurent aujourd’hui au bout de 20 à 25 années. Fait dommageable lorsque l’on sait qu’une vigne produit le meilleur raisin au bout d’une vingtaine d’années… Ici encore, pour un pays dont la renommée repose en partie sur le vin, le film révèle, à l’instar de Mondovino, une aberration économique. Quelle hypocrisie pour un pays comme la France, principal exportateur de vins, champagnes et autres produits d’appellations contrôlées, que de continuer à ruiner ses terres, matière première pour des productions de qualité, au détriment de son économie. Que penser également des formations des futurs agriculteurs à qui l’on apprend à doser des engrais sans chercher à comprendre qu’il existe des solutions naturelles - et gratuites, échappant par la même à toute source de profit -, par l’utilisation des microbes et la mise en place d’un écosystème naturel ?
Le Temps des Grâces est un constat dramatique, qui laisse néanmoins entrevoir de l’espoir. Ce documentaire interpelle les politiques mais surtout le citoyen, lorsque le pouvoir doit venir du bas, face aux lobbies de l’agro-alimentaire et à un État qui s’est laissé déposséder. C’est un hommage à la nature, aux campagnes françaises mais aussi un véritable appel à la prise de conscience. D’autant qu’à ces pratiques productivistes s’ajoute le changement climatique. Le 14 août dernier, une cinquantaine de viticulteurs, chefs cuisiniers, œnologues, ont signé un appel dans Le Monde pour une prise de conscience rapide des effets dommageables de ses facteurs sur la production viticole française.
Le film Le Temps des Grâces est programmé dans le cadre des Etats généraux du film documentaire qui se tiennent à Lussas, en Ardèche, du 16 au 22 août. Retrouvez plus d’informations sur le site internet consacré à cet événement.
Les chroniques de Lussas :
À lire à relire sur Bakchich.info :
Il faut voir à quel point les gens de la génération des "trente glorieuses", désormais retraités, ont été intoxiqués par la manipulation. Enfin, il faut relativiser : Le temps des grâces montre surtout des "exploitants" qui ont "réussi" à profiter de la ruine des autres. Eux sont restés, ont grossi, grossi et compté les faillites alentour, sans se poser de questions. Devenus ignorants en quelques dizaines d’années d’application scrupuleuse des modes d’emploi bancaires et industriels, ils n’ont pas grande conscience des conséquences de leur action. Aveuglés par les rendements croissants qu’ils attribuaient uniquement à la chimie et à la mécanisation, ils n’ont même pas encore compris qu’ils "réussissaient" en profitant de la richesse biologique léguée par les générations précédentes. Et en l’épuisant ! En tout cas, ils n’avoueront pas. Dommage que leur babillage ne soit pas contrebalancé par les témoignages de ceux qu’ils ont contribué à exclure de leurs métiers et de leurs campagnes. Le bilan du grand démembrement de la paysannerie vu par des exclus du système réfugiés en banlieue, avec des enfants en difficulté, aurait été plus intéressant. Cela, seul, mériterait une étude et un film.
Là où l’on peut rejoindre le propos d’exploitants qui, à propos du vivant, parlent de "matière première", de "minerai", et ne voient dans les haies et les bosquets que des décorations paysagères, c’est sur le maintien des prix agricoles au plus bas niveau. Rappelons que ce fait, que les politiques font semblant de déplorer aujourd’hui, a été une orientation ouvertement décidée dès les débuts de la Cinquième République pour ruiner les campagnes, produire à outrance et exporter en ruinant les autres paysanneries. Une conception technocratique de la création de richesses par la dévitalisation généralisée, signée Louis Armand et Jacques Rueff (co-fondateur de la célèbre société du Mont Pèlerin). Tout le programme a été consciencieusement réalisé. Plus sur naufrage planetaire.
Pour mesurer quel était l’objectif de la politique de déstructuration des sociétés paysannes et tout ce qui a été perdu : "Au cadran de mon clocher" de Maurice Genevoix