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José Corti, prince de l’édition

Testament / dimanche 11 avril 2010 par Jacques-Marie Bourget
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José Corti fut l’un des grands éditeurs français indépendants du XXe siècle. Ses Souvenirs désordonnés permettent d’approcher d’un peu plus près ce géant des lettres.

Peut-être que ceux dont l’âge n’est plus tendre se souviennent de ces romans qu’on ne pouvait lire qu’avec un couteau à la main ? Des pages qu’il fallait couper. José Corti, le plus grand éditeur français du XXe siècle, a été le dernier à mettre sur le marché ces livres que nous devions ouvrir comme des trésors. Dans le petit panthéon de Corti, on trouve deux auteurs refusés par Gallimard – Gaston Bachelard et Julien Gracq –, ce qui démontre que les sergents recruteurs de la rue Bottin s’endormaient parfois pendant leur tour de garde. Heureusement, viennent de paraître les Souvenirs désordonnés de José Corti, où le père fondateur dit ce qu’il sait de ces auteurs qu’il a publiés. Ce livre est un point-virgule placé entre les lignes de la vraie beauté du monde, la littérature.

lettres…

Gracq, ami d’André Breton, était un surréaliste. La preuve, il pratiquait le boomerang. Quand, à Saint-Florent-le-Vieil, le drôle d’outil aborigène lui revenait dans la main, c’est qu’il avait bien lancé un boomerang. Si l’engin prenait la fuite, c’est que Gracq, abusé par son marchand, avait lancé un cintre (pour plus d’explications, questionnez notre ami Jacques Gaillard, grand expert du philosophe Botul).

Enfant, au bout du pont de Saint- Florent, en abordant la rive gauche de la Loire, ma mère me désignait « la maison de monsieur Gracq ». M’indiquant la bâtisse avec la ferveur qu’elle mettait à me montrer, dans les pâturages, ces pans de murs où, disait-elle comme si c’était hier, « les bleus ont fusillé des Vendéens ». C’est dire si Gracq, comme Allah, était grand.

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Dessin de Pakman

Dans ses souvenirs — il en a mille sur de grands écrivains –, Corti raconte comment, après que Gallimard ait sottement renvoyé son manuscrit du Château d’Argol façon boomerang, Gracq lui a confié ses pages, écrites à la plume. Comment il a trouvé le texte magnifique et révolutionnaire. Comment, bien ennuyé parce qu’éditeur fauché, il a écrit au jeune auteur pour lui proposer de participer aux frais d’édition. Gracq, pour partie, sera donc édité à compte d’auteur, 7 500 francs pour sa part, 12 000 pour Corti. Voilà l’estomac de la littérature, celle faite à la main, équitable.

Soixante ans plus tard, à douze kilomètres de Saint-Florent et avec Régis Debray comme gardien de l’amitié, Julien Gracq nous a rapporté son versant de l’histoire. Elle confirme que bon éditeur ne saurait mentir. « Au début de l’été, j’attendais sur le bord de Loire un visa pour l’URSS. C’était long. Un matin, avec une rame de papier et mon stylo, je me suis assis pour commencer d’écrire, un bon moyen de tuer le temps. J’étais très surpris par moi-même, les pages sortaient, un peu comme d’une machine. L’emballement, la vitesse m’étonnaient, comme si j’étais un autre. De temps en temps, je me levais pour me calmer en faisant un tour dans le jardin. À Paris, avec mon manuscrit dans ma valise, j’ai un jour poussé la porte de la Librairie Corti. Je n’y connaissais personne, rien que sa réputation ; et j’aimais bien la modestie de cette vitrine. José Corti était un homme exceptionnel, un grand artiste. J’ai trouvé normal de participer aux frais d’édition, j’avais mon salaire de professeur…  » L’existence de cette oeuvre, ponctuée de chefs-d’oeuvre, tient donc à la lenteur des tamponneurs de Moscou, à l’oeil de Corti et aux francs de l’Enseignement public… À une association de bienfaiteurs.

… et le néant

Refus du Goncourt pour Le Rivage des Syrtes : Corti approuve ce Gracq pour lequel la vie sans lettres est le néant. Pourtant, les convictions de plomb de cet arrière-petit-fils de « bleus », lui font perdre un argent qu’il n’a guère. Ce testament du Corse Corti, outre le régal du plus grand côté de l’art, la modestie, nous montre comment nous sommes passés de Gracq à la littérature sans estomac. Après avoir reçu trop de lettres lui recommandant un manuscrit, José écrit : « Chacun se croyait l’un des rares élus de la nuée des poètes. J’étais seul à savoir qu’ils étaient une foule ». Corti est au cimetière et Giesbert dans les librairies.

"Souvenirs désordonnés", par José Corti, éd. José Corti, 255 pages, 10 euros.

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