A la veille d’une nouvelle réforme des retraites, Bakchich est parti à la rencontre des retraités qui vivent avec moins de 800 euros par mois. Ils seraient plus de 600 000, d’après le portail d’informations Senior actu.
Chaque jour, une quarantaine de personnes poussent les portes de L’Etape dans le 11ème arrondissement de Paris, un lieu de vie et d’animation destiné aux personnes de plus de 50 ans en situation de précarité [1], géré par l’association des petits frères des pauvres.
9h30, une douzaine de personnes prennent leurs petits-déjeuners sur de longues tables décorées de petits pots de fleurs. « Vous savez pour certains c’est leur seul repas de la journée », glisse Suzanne, bénévole depuis neuf ans chez les petits frères des pauvres. Accrochés au mur, les plannings des douches et de la lingerie sont pleins. Une jeune bénévole passe, un sèche-cheveux à la main, et se dirige vers la salle de bain où l’attend Marie, 65 ans, pour un brushing. Une coiffeuse vient une fois par semaine pour s’occuper des « vieux amis » [2].
A moins que son dossier médical ne soit accepté, Pierrick, 61 ans, va devoir encore attendre quatre ans pour toucher une retraite équivalente au minimum de solidarité vieillesse. [3]. « Je n’ai pas assez cotisé quand je travaillais comme cuisinier. Je ne faisais que des extras car ma femme était handicapée physique et elle avait besoin que je m’occupe d’elle », explique-t-il. Mais Pierrick a déjà tout prévu. D’après ses calculs, il devrait toucher environ 620 euros de retraite par mois.
Une situation moins avantageuse que son actuel statut de Rmiste. « Je n’ai rien pour vivre, mais j’ai tout pour survivre », affirme-t-il, blagueur. Ce sémillant sexagénaire ne touche que 390 euros de RMI par mois, mais grâce à son allocation de solidarité logement (210 euros), il peut payer le loyer de son petit studio dans le 20ème arrondissement (255 euros). Il a aussi droit à 250 euros d’électricité gratuite et une carte de transport. Et la ville de Paris prend en charge ses frais de repas dans les restaurants sociaux (Paris Emeraude). « J’arrive à joindre les deux bouts en ne faisant pas trop d’extra : fumer, boire, sortir », explique Pierrick. Et grâce aux petits frères des pauvres, il a même pu partir en vacances cette année à Bormes-les-Mimosas.
Une fois à la retraite, le budget de Pierrick risque de se resserrer. Le montant de son allocation logement sera proportionnel à ses revenus, idem pour l’allocation versée par la ville de Paris (AVP) et il pourra faire une croix sur sa carte de métro (gratuite à partir de 65 ans) et la carte qui lui permet de manger aux restaurant sociaux. Mais Pierrick ne s’en fait pas trop, il a fait sien l’adage « vouloir c’est pouvoir ». Avec ses yeux bleus perçants, on en oublierait presque son nez cassé. Il faut dire que le bonhomme revient de loin. Après la mort de sa femme, il a vécu pendant trois ans dans la rue, « je buvais quatre litres de vin par jour et je ne voulais accepter l’aide de personne ». Et puis, un jour, un couple d’inconnus l’a « sorti de la galère ». Il retrouve un boulot de cuisinier, mais il gagne à peine de quoi se payer une chambre « minable » dans un petit hôtel. Pendant cinq ans, il fréquente la soupe populaire de Saint-Eustache, où il rencontre son actuelle compagne. Aujourd’hui, Pierrick participe à l’organisation d’une exposition de photos à la Maison des métallos « pour et par la précarité », une manière de dire aux autres qu’ils peuvent aussi arriver à s’en sortir.
Depuis qu’il est à la retraite, Joseph, 64 ans, passe son temps à « compter ses sous » . Vigile pendant plusieurs années dans un musée, il touche aujourd’hui moins de 600 euros par mois de pension et vit dans une chambre de bonne, boulevard Voltaire. Il prend ses douches au centre social, où il emmène aussi toutes les semaines son linge à laver. Pour manger, cet homme charmant, cinglé dans un costume sombre, avoue « compter sur les associations ». Poète à ses heures, Joseph profite de ses loisirs pour donner des cours de français. Une véritable passion chez ce sexagénaire, qui participe aussi bénévolement à des lectures publiques pour les enfants.
Kuoch, c’est ainsi qu’il se présente, est un homme très occupé. Depuis qu’il est à la retraite, il court les bureaux sa petite mallette à la main pour faire valider son dossier d’allocation de solidarité aux personnes âgées [4]. Pour l’instant, il vit avec seulement 400 euros par mois. C’est tout ce qu’il touche après avoir travaillé pendant vingt-cinq ans comme manutentionnaire. Au chômage pendant une dizaine d’années, Kuoch a connu la galère des centres d’hébergement d’urgence, « où l’on doit se présenter chaque jour pour trouver un lit où passer la nuit ». Alors hors de question que l’on abuse de lui maintenant qu’il peut se payer une petite chambre dans un hôtel du 18ème arrondissement.
Car il existe une véritable forme de maltraitance à l’égard personnes âgées, d’autant plus lorsqu’elles sont en situation précaire ou isolées. « Les hôteliers en profitent : ils nous mentent sur la taille des chambres, ils ne changent pas nos draps et ne mettent pas de papiers dans les toilettes. Ils nous traitent pires que des chiens ! », témoigne-t-il. Et l’hygiène des douches communes laissent tellement à désirer que Kuoch préfère se laver au centre social. « Une fois, j’ai même du aller voir un médecin parce qu’on me faisait dormir sur un sommier cassé ! Et pourtant je paie le même prix que les autres pensionnaires de l’hôtel ! », s’insurge le sexagénaire. Par chance, une partie du prix de son logement est prise en charge par les petits frères des pauvres. Sinon Kuoch vivrait encore dans la rue aujourd’hui.
Les trois ordinateurs de la bibliothèque sont constamment occupés. Certains sont branchés sur le site de Pôle Emploi. Depuis l’ouverture du centre en novembre 2005, « j’ai vu arriver des personnes de plus en plus jeunes, avec un bagage intellectuel important. Des gens qui ont eu un métier. Les premiers effets du déclassement social sans doute… », soupire Suzanne. Un peu avant la fermeture, tout le monde participe au rangement du local. Apprendre à se réapproprier un cadre de vie quotidien fait parti du projet pédagogique de l’Etape. « Il faut faire avec eux », insiste Suzanne.
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] L’Etape est ouvert de 9 heures à midi et de 14 heures à 17h30 du lundi au jeudi et les vendredi, samedi et dimanche après-midi. L’Etape ne reçoit que des personnes de plus de 50 ans mandatées par les Fraternités des petits frères des pauvres.
[2] Terme employé depuis 1946 pour désigner les personnes dont s’occupent les petits frères des Pauvres.
[3] Le minimum vieillesse est une garantie de ressources pour les retraités n’ayant pas de pension ou ayant trop peu cotisé pour bénéficier d’une retraite suffisante
[4] L’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) est une allocation unique, créée en remplacement des différentes prestations qui composaient le minimum vieillesse jusqu’au 31 décembre 2005.