Existe-t-il un trafic d’influence à Sarcelles pour obtenir un logement social ? Une plainte a été déposée ; une enquête préliminaire ouverte. Et une responsable du logement social à la mairie, convoquée. Exclusif.
Trouver un logement social, une galère au quotidien éprouvée par des dizaines de milliers de personnes en France. Certains profiteraient de cette misère pour abuser des familles en demande, comme à Sarcelles (95) où une plainte vient d’être déposée et une enquête préliminaire ouverte pour trafic d’influence. Joint ce matin par Bakchich, le Parquet de Pontoise confirme.
Visée, Corinne Ledoux, la responsable administrative du logement à la ville de Sarcelles. Elle aurait encaissé des sommes d’argent pour faire passer certains dossiers sur le haut de la pile. Le Parquet affirme que Mme Ledoux « ne reconnaît pas les faits » et rappelle sa présomption d’innocence. Elle a été placée en garde à vue par la police nationale puis relâchée. Elle n’a pas répondu à nos appels. Ni le député-maire de Sarcelles François Puponni, proche de Dominique Strauss-Kahn. Mais le Parisien a obtenu sa réaction. Il indique « avoir lancé une enquête interne à la mairie et, dans l’attente de sa conclusion, suspendu à titre conservatoire la personne concernée. Si une mise en examen était engagée, la mairie se constituera probablement partie civile. » Puponni plaide donc l’acte isolé. L’enquête le déterminera.
Bakchich a rencontré les déposants de la plainte qui souhaitent pour l’instant conserver l’anonymat. « 1500 euros pour obtenir un logement social, je trouve ça dégueulasse » déclare l’un des frère de la plaignante, une mère de famille de quatre enfants au chômage. « Je n’étais pas au courant des agissements de ma sœur. Qu’on donne 200 ou 300 euros pour être un peu favorisé, je peux comprendre, on cherche toutes les solutions possibles pour ses enfants… mais là, c’était trop ! Ma sœur est en grave difficulté financière car elle a du effectuer des crédits revolving qu’il faut aujourd’hui payer. On a décidé en famille de porter plainte. »
A l’origine, il y avait une plainte de Corinne Ledoux pour extorsion de fonds. Elle accuse cette famille de lui avoir extorqué un chèque de 1500 euros. La famille dément. Et porte plainte contre Corinne Ledoux pour trafic d’influence. La famille n’a pas encaissé le chèque de 1500 euros, signé par Mme Ledoux et en a diffusé une copie à la police. Ces 1500 euros étaient-ils destinés au remboursement d’un bakchich ? C’est la version de la famille. La justice avisera. Bakchich a pu consulter et vérifier l’authenticité de ce précieux sésame. Selon nos informations, les deux parties ont été auditionnées en confrontation et la responsable logement de Sarcelles a été placée en garde à vue. La version du trafic d’influence a primé.
A notre connaissance, d’autres preuves tangibles. Deux autres chèques de 250 et 400 euros signés par Corinne Ledoux au bénéfice de demandeurs de logements. Les deux premiers auraient été effectués pour rembourser des bakchichs qui n’auraient pas donné matière à l’attribution d’un logement. Maître Caty Richard, en charge des plaignants se dit « édifiée de voir comment dans les milieux précaires, des personnes arrivent à faire payer au prix fort des sommes qui les dépassent. Pour finalement de la poudre aux yeux car de toute manière ces victimes, qui sont le plus souvent des mères célibataires, méritent un logement. »
S’ajoutent à la plainte des témoignages recueillis par Bakchich. Dont celui de Sabrina, qui témoigne à visage découvert, et qui nous explique comment à Sarcelles « payer (un bakchich) est devenu une obligation » pour avoir un logement social.
Excédée par les pratiques en cours à la municipalité, Sabrina s’est rendue fin juin à la mairie avec une quinzaine d’autres femmes pour manifester sa colère, demander des logements et comprendre sur quels critères se basait la mairie pour les attributions. Devant la caméra de Bakchich. L’accueil réservée par Fabienne Sroussi, conseillère municipale en charge du logement, a été glacial. Pire, une plainte pour diffamation contre Sabrina et une autre mère de famille est déposée.
Sommé par la police nationale de venir témoigner dans le cadre de cette plainte, Bakchich a refusé de répondre à une simple convocation orale. Et a eu droit à un coup de téléphone fort peu urbain du commissariat de Sarcelles. « -Quand la police vous convoque, vous venez ! » « -Envoyez-nous une convocation écrite et on viendra avec notre avocat ! » « -Je vais vous mettre en garde à vue à 6H du matin, dit le policier » « -Pas de problème, mais vous savez à quelle publicité vous pouvez vous attendre, réplique Bakchich. » Fin de la discussion. Et aucune autre manifestation depuis.
Tout aussi peu affable, M. le maire François Puponni s’est aussi fendu d’un coup de fil, préventif. Il « n’hésiterait pas à attaquer en justice » toute publication diffamante. Toutefois surpris par un tel acharnement quand le reportage portait « simplement » sur le désarroi de femmes mal-logées, le (mauvais) esprit a été piqué au vif. Et par cette récente plainte, nourrie par d’autres témoignages, on comprend mieux pourquoi la mairie s’agitait.
Joint par Bakchich, le conseiller municipal d’opposition MRC Rachid Adda « interpelle le maire et le préfet afin de faire la lumière administrative au delà de l’enquête sur l’affaire Ledoux… Un audit interne voire de la chambre régionale des comptes me semble urgent. De plus je demande à nouveau au député-maire qu’il crée enfin les conditions de la transparence avec une commission d’attribution digne de ce nom qui doit associer les élus d’opposition et les associations de locataires. Des outils qui ailleurs permettent de limiter les comportements que l’on dénonce aujourd’hui et qui semblent toucher beaucoup de Sarcellois… »
Vous pouvez écouter aussi le témoignage à visage couvert de Sophie [1]. Mère seule avec trois enfants, elle explique comment on en vient à réunir une grosse somme pour obtenir un logement.