La Française Eugénie Blanchard est la nouvelle doyenne de l’humanité, désignée par un réseau international de chercheurs chargé d’identifier la personne la plus âgée au monde. Une compétition un peu morbide.
Notre Johnny national n’est pas le seul à couler une retraite paisible sous le soleil de Saint-Barthélémy. Une ancienne bonne sœur, de 47 ans son aînée, remet ces jours-ci sous les feux de l’actualité la petite île caribéenne, qui bat pavillon français. Suite au décès de la Japonaise Kama Chinen le 2 mai dernier, Eugénie Blanchard est officiellement devenue à 114 ans la doyenne de l’humanité.
Ah, cette dépêche AFP qui annonce le nom de la nouvelle élue (car il s’agit rarement d’un homme, il faut bien le reconnaître) ! Voilà ce qu’on appelle en langage journalistique un beau « marronnier » : un événement prévisible, toujours traité de la même manière par les différents médias. Une rapide biographie de la nouvelle doyenne, une ou deux anecdotes, et le tour est joué ! Et s’il faut broder un peu, parce qu’il n’y a pas beaucoup d’actu ce jour-là, on pourra toujours avoir recours à la technique classique : retracer la vie de la glorieuse ancêtre (dont on ne sait foutre rien, ou pas grand chose) à l’aune de la grande histoire de l’humanité. Pour Mlle Blanchard, née en 1896, cela donnerait quelque chose comme : « Elle a connu 17 présidents de la République. Elle avait 4 ans lors de l’inauguration du métro parisien et elle en avait 18 quand la Première Guerre Mondiale a éclaté. A 40 ans, elle assistait à la victoire du Front Populaire et elle avait 82 ans quand Jean-Paul II est devenu pape. » On s’arrête là, pour ne pas donner l’impression de broder à notre tour.
Mais voilà, diront les sceptiques : comment est-on sûr qu’il n’y a pas, quelque part, une personne plus âgée que Mlle Blanchard ? Halte au mauvais esprit, tout cela est documenté de manière très sérieuse !
Le Gerontology Research Group (Groupe de Recherche en Gérontologie) a été fondé au début des années 1990 aux États-Unis. L’objectif premier était d’étudier, entre scientifiques, le processus de vieillissement humain. Au fil des années, le groupement s’est spécialisé sur la question des « supercentenaires », c’est-à-dire des personnes âgées de plus de 110 ans, qui sont aujourd’hui recensées systématiquement.
Un petit réseau international de correspondants bénévoles s’est constitué, chargé de débusquer et d’authentifier de nouveaux cas. Car pour être reconnu officiellement comme supercentenaire, il faut montrer patte (et crinière) blanche ! « Nous avons besoin de documents écrits qui prouvent l’âge de la personne », explique Robert Young, animateur du réseau. « Il faut un acte de naissance, bien sûr, mais également un acte de mariage si possible, plus un autre document comme une carte d’identité récente ou un extrait de recensement. »
Voilà qui explique que les quelque 75 supercentenaires actuellement authentifiés soient tous sans exception issus des pays dits développés (Amérique du Nord, Europe occidentale et Japon), les seuls qui possédaient un système fiable d’état-civil à la fin du XIXe siècle. S’il existe quelque part dans les pays du Sud un(e) vénérable aïeul(e) plus âgé(e) qu’Eugénie Blanchard, il ou elle n’aura pas les moyens de le prouver.
C’est donc au Gerontology Research Group, du fait de sa base de données sans équivalent, qu’il revient de décerner le pompon à la doyenne de l’humanité. L’annonce à la presse est généralement faite en lien avec Guinness World Records, ex-Livre Guinness des Records, miroir officiel des grands exploits internationaux, du plus gros mangeur de boudin au plus grand nombre de sous-vêtements enfilés en une minute (pour reprendre deux catégories listées par l’ouvrage).
Ainsi, l’hôpital de Bruyn de Gustavia, où réside Mlle Blanchard, doit s’y attendre : il va être très sollicité ces prochains jours du fait de l’accession sur la plus haute marche du podium de sa désormais célèbre pensionnaire. C’est Bakchich qui a appris par téléphone la bonne nouvelle au personnel qui s’occupe d’Eugénie au quotidien. Madame Cointre, cadre santé, fera face avec lucidité : « Nous y sommes préparés, d’autant que nous avions déjà reçu de nombreux journalistes quand elle est devenue doyenne des Français en mai 2008. »
Heureusement, « Saint-Bart » est une petite île pas si facilement accessible. Le flot des journalistes sera sans doute plus réduit que celui qui s’abattait sur la maison de retraite d’Arles lors de chaque anniversaire de Jeanne Calment (doyenne des doyennes de l’humanité, décédée à l’âge de 122 ans en 1997).
Mais au fait, qu’en pense la principale intéressée ? Difficile à dire. « Si elle est en bonne santé générale et ne suit pas de traitement, Mlle Blanchard est aujourd’hui dans son monde à elle et ne parle plus », explique Mme Cointre. « Toutefois, lors de son 114e anniversaire en février, nous avons chanté pour elle avec une chorale et elle fredonnait avec nous certains airs. Elle était consciente de l’événement et passait un bon moment. » Une carrière tardive de célébrité, ça conserve ?
Un petit plaisir qui n’attend pas 100 ans : les chroniques nostalgiques de Bakchich.