Le 28 juin 2009, le Honduras était secoué par un putsch. Des milliers de paysans ont perdu les terres promises par le Président destitué. Troisième épisode de notre reportage.
Troisième partie : L’occupation des terres
Arrivé à l’orée d’un bois démarquant l’entrée de la zone occupée, le 4x4 ralentit.
Phelipe ouvre les fenêtres, pour « que les 3500 familles qui ont dressé des campements le long de la route, nous reconnaissent ». Ah, cette fichue manie de teinter les vitres…
Sur le côté, deux paysans descendus de leur moto portent un masque sur le visage et tiennent un pistolet au poing. En regardant la voiture passer, ils opinent de la tête. Tout va bien, les gardes les ont reconnus. A peine 30 secondes plus tard, dans la voiture, un téléphone sonne. Phelipe décroche, parle de choses imperceptibles, apparemment des noms de codes. Pour semer les éventuels poursuivants, on essaie de brouiller les pistes.
Plusieurs centaines de mètres plus loin, le 4x4, arrivé sur des terres occupées par des paysans qui en sont dépourvus, s’arrête. L’entrée du camp « Nueva Suyapa » (terres du grand propriétaire René Morales) est marquée par un drapeau du Honduras, 5 étoiles bleues sur fonds blanc.
Après un rapide examen, les gardes laissent entrer les visiteurs. Là, une soixantaine de personnes, femmes, hommes et enfants, forment un cercle d’accueil. Les uns sourient, d’autres, les lèvres plus serrées, ne laissent rien échapper.
Ils risquent leur vie en vivant ici, confrontés aux incursions régulières de l’armée, de la police, des milices privées, ou des narco-trafiquants. Par mesure de sécurité, tous gardent leur machette à la main.
« Depuis quatre jours, on vit la peur au ventre », s’exclame une femme paysanne.
« A cause de ce qui s’est passé le 27 janvier. Pendant qu’à Tegucigalpa, plusieurs centaines de milliers de résistants contre le coup d’Etat manifestaient pour dire au revoir au président Zelaya, des militaires sont entrés ici. Sans prévenir bien sûr… Ils ont attrapé trois des nôtres et s’en sont servis comme boucliers humains. Ils en ont blessés trois, dont un qui s’est pris une balle de M16 dans l’oeil ». Plus loin, elle montre les impacts de balle dans les branches d’un palmier, les douilles, puis, sur une petite caméra, quelques images du jeune homme blessé, l’oeil en sang. Qu’il risque de perdre.
« La défense des paysans se fera à coups de machettes ! », crie la paysanne, le menton relevé, la machette levée vers le ciel.
Autour, c’est un camp de fortune. Un petit feu de bois sert de réchaud, sur une branche épaisse, on a posé trois-quatre galettes de haricots rouges et une casserole.
« On en avait quatre [casseroles] avant, mais à chaque fois qu’ils viennent, les militaires ou les milices privées nous pillent. Il faut tout racheter, avec l’argent que nous envoient les résistants de Tegucigalpa », explique une autre femme.
Un gros sac de riz est posé sur le sol. « Comme ça, si les militaires arrivent, j’aurai le temps de l’emporter avec moi, ils ne pourront pas le voler », poursuit-elle.
Un peu plus loin, des feuilles de palmiers ont été rassemblées au sol, formant une série de tas de la taille d’un corps. « Qu’est-ce que c’est ? » « Les lits ». Les enfants eux, dorment dans les remorques.
La nuit est tombée sur le camp.
Trois fillettes jouent à la devinette sur une moto.
Le téléphone de Phelipe sonne : « Des nouvelles de la capitale ! Le nouveau président, Lobo, vient de demander aux militaires de cesser les incursions dans les terres occupées. Il veut calmer le jeu ». L’annonce est accueillie avec beaucoup de scepticisme. Pas de quoi suspendre la lutte.
Soudain, alerte ! Dans la nuit, deux lumières de phares éclairent la route, à quelques mètres, puis s’éteignent. Aussitôt, les hommes se regroupent à l’entrée du camp. On craint l’arrivée des milices privées. Pedro ordonne à ses deux camarades de monter sur le champ dans le 4x4. Il faut s’échapper au plus vite.
Le 4x4 est précédé d’un paysan en moto, armé d’un pistolet. Chaque fois qu’il croise un camp, Phelipe fait le code : allumer et éteindre rapidement les phares, trois fois, puis deux fois de suite. Histoire que les 3500 familles les reconnaissent !
Un peu avant le croisement avec la route aux palmiers, le chauffeur éteint tous ses phares. Mais continue de conduire dans le noir complet, quelques minutes qui semblent une éternité.
Enfin, le motard fait signe qu’il peut passer sans danger.