Il saute aux yeux que, pour rétablir des rapports sociaux à peu près équitables, il est urgent de recréer l’enfer.
Le ministre du Logement a décidé, semble-t-il, d’agir contre la hausse extravagante des loyers étudiants. Or on sait déjà que le problème est à peu près insoluble, en raison de la pénurie de terrains constructibles. Seules des mesures de réquisition pourraient être efficaces, et encore : même le tout-puissant Lénine avait échoué dans ce combat. La question des loyers n’est d’ailleurs qu’un cas particulier de l’explosion actuelle de la cupidité des possédants. Nous ne sommes pas naïfs, bien sûr, au point de penser que la spéculation ait jamais été contrôlée par la morale.
Mais ce qui est neuf, c’est que, depuis la seconde moitié du XXe siècle, le capitalisme n’est plus tempéré par la religion. Pendant deux millénaires, la gourmandise des marchands s’est heurtée à une peur de l’enfer qui les rendait plus raisonnables. Or ces gens ont découvert, de façon assez récente, que Dieu est mort et que l’enfer n’existe pas. C’est pourquoi l’avidité se développe désormais sans complexe et que les écarts de salaire entre ouvriers et patrons, qui étaient à peu près de 1 pour 20 au temps de Henry Ford III, atteignent aujourd’hui jusqu’à 1 pour 3 000.
Mais exposer un tel problème, c’est déjà en partie le résoudre. Il saute aux yeux que, pour rétablir des rapports sociaux à peu près équitables, il est urgent de recréer l’enfer ; et notre époque, par bonheur, a toutes les armes technologiques en main.
Chaque nation devra donc choisir un terrain un peu désertique et, l’essentiel de l’édifice étant destiné à rester souterrain, l’environnement ne s’en trouvera guère abîmé. Vivre sous terre ne supprimera pas tous les privilèges, et pour l’attribution du chantier il sera difficile, par exemple, de ne pas favoriser Vinci ou Eiffage, qui ont déjà une réelle expertise dans l’art du béton – notre enfer pouvant s’assimiler à un gigantesque parking. Mais attention : cet enfer guettera aussi les entrepreneurs rapaces, voire les managers à la Bouygues. Pas question, en revanche, d’attribuer la concession du chauffage, ici secteur fondamental, à Gaz de France ou Total. L’enfer de demain sera durable, non polluant et fonctionnera à l’énergie solaire.
Reste la grande question du Jugement dernier. Les magistrats du ciel devront-ils être professionnels ou faire l’objet d’une élection, comme le préconise M. Hortefeux, si bien nommé ?
Les écarts de salaire s’expliquaient éssentiellement par la fiscalité. Dans les années 50, le taux d’imposition maximum aux Etats Unis était de plus de 90%. A quoi ça sert de s’augmenter si on ne touche en réalité que 10% de son augmentation ? Aujourd’hui, c’est moins de 30% toujours aux Etats Unis, et les méthodes d’optimisation fiscales permettent de largement compenser. Par conséquent, pourquoi se priver. Et ce qui n’est plus redistribué reste concentré sur certains revenus. L’autre enfer, c’était le socialisme. Ce n’est pas par hasard si la libéralisation forcenée s’est accélérée à partir des années 90. Le mur de Berlin venait de s’effondrer en 89. Avant 89, on payait les ouvriers pour éviter qu’ils ne soient communistes. Après 89, on en a fait des auto entrepreneurs sous le seuil de pauvreté.
Pas besoin de chercher de la religion là ou il n’y a que de l’injustice.