Pé-da-go-gie ! C’est l’objectif de l’intervention de Nicolas Sarkozy, ce soir, en direct de l’Élysée. L’émission devrait garantir un bon score d’audience. Pas sûr pourtant qu’elle calme les ardeurs.
Une fois n’est pas coutume, c’est au Premier ministre qu’est revenu le soin de faire l’annonce, lundi, des mille projets et au Président de faire œuvre, ce jeudi, de pédagogie. Comme quoi l’heure est grave ! D’ailleurs, pour préparer son intervention télévisée et radio, Nicolas Sarkozy a allégé au maximum son agenda. Rien de prévu au programme depuis mercredi après-midi.
Face à quatre intervieweurs, Laurence Ferrari, David Pujadas - seul rescapé de l’émission du 26 avril - Guy Lagache et Alain Duhamel, Nicolas Sarkozy va tenter de rassurer les Français « face à la crise »… titre de l’émission, en direct du Château. « Le président ne va pas annoncer que la crise s’achève », explique un de ses conseillers, « ni qu’il a signé ce matin le décret de fin de crise. Il va essayer de répondre aux inquiétudes et à l’angoisse des Français. C’est un exercice difficile. Il faut dire la vérité mais avec précaution ». Histoire d’éviter les mouvements sociaux ?
Une inquiétude d’autant plus grande que les signaux sont au rouge, avec la hausse continue du chômage depuis le troisième trimestre 2008. Au mois de décembre, le nombre des demandeurs d’emploi a progressé de 45 800, après les 46 700 supplémentaires enregistrés en octobre et les 64 000 de novembre. Soit une hausse de 11,4% pour l’ensemble de l’année 2008, c’est-à-dire 217 000 demandeurs d’emplois de plus. Après l’annonce de ces chiffres, le premier ministre a fait savoir que le gouvernement réviserait ses pronostics de croissance pour l’année 2009. Aujourd’hui, ils se situent entre 0,2% et 0,5%. Et pour clore la série, la Commission européenne prévoit une récession de 1,8% pour la France en 2009. Que du bon, en somme !
En clair, la crise a commencé et elle va continuer. Une bonne grosse crise structurelle qui contamine progressivement tous les secteurs de l’économie et que François Fillon dans le Monde, comme Henri Guaino dans le Figaro, ont qualifié de « première crise de la mondialisation ». De quoi augurer de sombres mois…
Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy va donc devoir rassurer les Français. Et les assurer qu’il bosse sec pour eux, en mettant en perspective ses réformes ! De quoi laisser penser qu’il reviendra sur le RSA, le retour aux contrats aidés, le recours au chômage technique, l’exonération des cotisations sociales en 2009 pour les entreprises de moins de 10 salariés qui embauchent… Et surtout insister sur les 26 milliards du plan de relance présenté le 4 décembre à Douai et qui se traduira par « mille projets ». Dans ses choix présentés en début de semaine à Lyon, le gouvernement a principalement donné la priorité aux infrastructures, équipements civils, réseau routier et entretien des routes.
Selon le Premier ministre, sur les 26 milliards débloqués par l’État, 11,4 iront aux entreprises, via des remboursements anticipés d’impôts et de TVA. Le reste, a-t-il ajouté, se fera sous forme « d’investissements stratégiques, que nous aurions réalisés sur cinq ou six ans et qui le seront sur deux ans ». Tous les ministères ont ainsi été mis à contribution pour faire remonter les dossiers des chantiers réalisables le plus rapidement possible. Il faut du concret, a martelé l’exécutif, du local et du visible ! « On ne manque pas de projets », résume un proche du Président. « On a sélectionné les plus faciles à mettre en œuvre. »
En réunion de groupe avec la majorité à l’Assemblée, mardi 3 février, Fillon a précisé qu’un chantier qui prendrait trop de temps à se mettre en place serait aussitôt remplacé par un autre. Ça, c’est de l’investissement ! Le plus gros devant être réalisé d’ici la fin 2009. « La difficulté », décrypte un député UMP, « c’est que les Français attendent une réponse immédiate. Or, le plan de relance ne s’applique pas en 24h ! » Et en 48h, c’est bon ?
« Ce n’est pas 26 milliards mais 4 qu’il y a dans ce plan de relance », tâcle le PS. « Comment peut-avoir le culot de faire passer pour quelque chose de neuf des crédits qui ont simplement été débloqués ? », raille Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée qui appelle à une relance par la consommation. François Fillon a souligné qu’un tel choix, prôné par les syndicats comme par l’opposition de gauche, serait « irresponsable ». Avant d’ajouter : « Certains regrettent que nous n’ayons pas fait le choix d’une relance par la consommation, mais l’urgence est de faire tourner la machine économique de la France ». Travailler plus pour…
A la télé/radio, Sarkozy devrait donc défendre la poursuite de sa politique de la relance par l’investissement. Même si « l’investissement, c’est aussi de la demande ! », précise l’entourage du Président, « vous faites travailler des gens, ils touchent des revenus ». Selon Patrick Devedjian, fameux ministre de la relance, le plan de gouvernement devrait créer - mais on ne sait pas dans combien de temps ! - « au moins 100 000 emplois » et « 1,3 point de croissance ». Par conséquent, Sarkozy n’annoncera pas de second plan de relance. « Ça servirait à quoi ? » demande un collaborateur du Président. « On est au milieu de la pente. On a pas appliqué le premier qu’on dit qu’il faut en faire un second, ça n’a pas de sens… »
Pourtant, même au sein de la majorité, certaines voix s’élèvent pour réclamer d’autres mesures. À l’image du député UMP des Alpes-Maritimes, Lionel Luca, qui appelle à une mobilisation de l’épargne des Français - « la plus forte du monde » - au travers d’un grand emprunt lancé par l’État. Ou de François Goulard, élu villepiniste du Morbihan, qui demande une « suspension du bouclier fiscal », mesure phare du quinquennat.
Ce jeudi soir, super Sarko aura au moins huit téléspectateurs : les représentants des organisations syndicales à l’initiative des grèves et des manifestations du 29 janvier. Tous attendent un message du Président avant de se prononcer sur d’éventuelles suites à donner au mouvement. Selon un sondage CSA pour l’Humanité paru mardi 3 février, 61% des Français souhaitent qu’ils appellent à poursuivre la mobilisation. De quoi faire reculer Sarko ?
Pas sûr. Au cours de cette interview qui devrait durer une heure et demie, on aura en tout cas le droit à « quelques petites annonces pour agrémenter tout ça », confie un des collaborateurs du président. « Et pas forcément sur l’économie ». Seule assurance, ce ne sera pas sur le remaniement. Le suspense est intenable ! Finalement, si on sait déjà tout, les intervieweurs, ils servent à quoi ?
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