Alors que le cinéma français ne s’intéresse plus aux prolos, retour sur un film subversif, politique, prophétique. Et drôle ! Explications avec de vrais morceaux de Benoît Delépine dedans.
En revoyant en DVD Louise-Michel, comédie subversive des Grolandais Gustave Kervern et Benoît Delépine, au moins deux choses m’ont sauté aux yeux. L’incroyable description du prolétariat, qui inspire assez peu les cinéastes français, et le côté prophétique du film qui annonçait le krach boursier et la fin du système capitaliste. Pour ceux qui l’auraient manqué, Louise-Michel raconte les déboires d’un groupe d’ouvrières d’une usine de Picardie qui découvrent que leur patron voyou s’est fait la malle et que l’entreprise a été délocalisée. Avec Yolande Moreau à leur tête, les chômeuses se rebellent et embauchent un tueur pas très pro pour faire la peau de leur raclure de patron.
Pourquoi le cinéma français ne parle-t-il quasiment jamais du lumpenprolétariat (donnez-moi un titre à part Dernier maquis de Rabah Ameur-Zaïmeche ?) ? Pourquoi notre cinéma est-il à ce point déconnecté de la politique, de la vie et du réel ? Embryon de réponses ci-dessous et quelques éclaircissements de Benoît Delépine.
En fait, depuis des années (la Nouvelle vague ?), le cinéma français ne parle plus de rien. Ou seulement des états d’âme de petits-bourgeois bling-bling du Vème arrondissement qui papillonnent entre bobonne et une jeune maîtresse. Profession ? Cadre sup, banquier, journaliste, réalisateur, scénariste, peintre… Cela donne des films tièdes, insupportables, déconnectés de la réalité, pensé, produit et réalisé par et pour la télé. Mais comment des financiers, des décideurs ou des réalisateurs, plus habitués à se faire bronzer sur la Croisette qu’à fréquenter les prolos, pourraient-ils avoir la moindre conscience de classe ?
Tout le contraire de Gustave Kervern et Benoît Delépine, réalisateurs déconneurs de Louise-Michel. « Nous nous intéressons au prolétariat, aux petites gens, aux employés, aux gens du monde réel, assure Benoît. Le monde du cinéma français est tellement clos que l’on ne voit plus que des scénarios avec pour héros des artistes. Le cinéma, c’est la vie, mais ceux qui le pratiquent n’ont pas vécu depuis longtemps ou en ont des souvenirs assez lointains, de plus en plus dilués. Pour notre émission Groland ou pour nos films, nous continuons à vivre dans la réalité, nous côtoyons des gens « normaux » à qui l’on a envie de parler. C’est aussi par goût artistique. Avec Gus, on préfère les films des frères Coen première période qui parlent de vendeurs de voitures aux abois, plutôt que ceux sur des avocats d’Hollywood. Nous sommes également raides dingues des comédies italiennes des années 70 ou des films de Joël Séria. »
Les grands metteurs en scène grattent là où ça fait mal, mettent à jour les tares de la société et, plus rarement, parviennent à devancer avec l’actu avec des films quasi-prophétiques (je pense à Orange mécanique de Kubrick, Videodrome de Cronenberg, ou encore la fin de Fight Club avec les tours qui s’effondrent sur fond de chaos total).
Avec ce petit jeu, Kervern et Delépine ont tout bon car leur film fustige la déliquescence sociale, l’obscénité capitaliste, annonce la crise mondiale et, peut-être, l’insurrection qui vient. La parole à Benoît : « Pour le côté prophétique, on aborde tout le temps les thèmes des patrons voyous, des parachutes dorés, des délocalisations avec Groland, et même avant cela dans les Guignols. Avec Louise-Michel, on voulait juste exagérer un peu, montrer ce qui pourrait arriver. On pousse la logique jusqu’au bout avec le système qui explose. Nous faisons voir des travailleurs qui essaient de faire valoir leurs droits, qui butent leurs patrons et quelques mois plus tard, on voit au 20 Heures des ouvriers qui ont pris leurs patrons en otage. Heureusement, il n’y a pas eu de mort… A part en Inde où un patron a été assassiné. Ce qui est drôle, c’est que le film devait sortir en juin. Si cela avait été le cas, nous aurions été traités de dangereux gauchistes. Comme le film est finalement sorti en décembre, tout le monde a trouvé cela quasiment normal. Pendant la promo, on a rencontré des ouvriers de Goodyear et c’était incroyable de voir comment leur situation épousait le propos du film… »
A lire ou relire sur Bakchich.info