L’ouvrier, alias pue-la-sueur, est un individu qui n’a que sa force de travail à vendre, n’ayant pas eu la chance de naître dans un milieu privilégié en vivant des rentes accumulées par ses parents. En groupe, l’ouvrier constitue le lumpen prolétariat - la classe des prolos en abrégé - dont Karl Marx a étudié l’exploitation dans un livre célèbre : le Capital [1] Celui qui exploite cette force de travail est un capitaliste qui utilise la plus-value dégagée par la sueur du prolo et la distribue à ses actionnaires.
Pourquoi ces banalités de base ? Parce que les prolos ou ce qu’il en reste commencent à comprendre comment les capitalistes les considèrent. Un ouvrier de Continental, la fabrique de pneus qui va fermer dans l’Oise, a eu cette comparaison touchante : « On est des Kleenex », c’est-à-dire des mouchoirs jetables. Le patron se mouche avec et le met à la poubelle avec les tampax usagés. Au XX° siècle, les prolos étaient nombreux, mineurs, sidérurgistes, fondeurs, manards agricoles mais les évolutions technologiques les ont liquidés et ils ont été presque remplacés par les employés de bureaux et les classes dites « moyennes ». Finis les pue-le-sueur : on se parfume, on met une cravate, on prend des congés payés mais on ne fait que vendre sa force de travail pour payer les traites de la Peugeot. [2] Et le patron, dans le privé comme dans le public (l’Etat), estime que cette classe moyenne est plutôt médiocre, dans ses ambitions comme dans ses révoltes et la traite avec la considération qu’elle mérite.
Pour se défendre, le prolo de naguère utilisait la grève, le refus du travail qui aliène. Il était représenté par des syndicats. Aujourd’hui, le syndicat est un outil de négociation au service du capital. Il marche sous des banderoles bien sages, à base de jeux de mots style Vermot, de Bastille à Nation. On y cherche en vain la dérision du joli mois de Mai 68 où fleurissait sur une pancarte : « Emplacement à louer ». En fin de cortège, le syndicaliste qui appelle à la reprise du travail est invité à bouffer par Sarko qui félicite cet interlocuteur responsable. On est loin des jets d’œufs qui ont salué le patron venu expliquer aux « Conti » qu’ils allaient bientôt être libres de cultiver des patates dans leur potager, vu que les pneus ne se vendaient plus. Mauvaise excuse : on fait beaucoup de choses avec des pneus : des faux puits dans le jardin, des bûches de substitution dans la cheminée, des préservatifs en caoutchouc pour l’export. Mais les patrons manquent d’imagination ! Alors quelle solution : la grève générale, la révolution, les têtes des patrons sur les piques du Palais Royal ? La gauche ne sera jamais d’accord. Et Sarko enverra la troupe, constituée de fils de prolos qui n’ont pas trouvé de job à Continental. Finalement, la seule bonne idée, c’est Gébé qui l’a eue avec son « An 01 ». Et son conseil qui dépasse les arrêts de 24h : « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ».
Lire ou relire sur Bakchich.info :
[1] Lire le livre : l’abrégé du Capital, par Carlo Cafiero, une publication du "Chien rouge" qui édite le mensuel excellent : CQFD.
[2] Lire : In girum imus nocte et consumimur igni (Gallimard) le palindrome célèbre de Guy Debord (ou voir son film du même nom, Gaumont vidéo).
Cher Arthur,
Bon, pour la confusion entre prolétariat et lumpen-prolétariat ( mot allemand signifiant au sens strict prolétariat en haillons ou encore prolétariat dépenaillé), on ne va pas en faire tout un fromage, fut-ce de chèvre (qui est d’ailleurs en général très goûteux).
L’erreur est corrigée, là est l’essentiel car elle est aussi humaine, donc arthurienne.
L’article dit bien les choses comme elles sont aujourd’hui, à savoir un remake de ce qui se passait au tout début du capitalisme ! C’est dire ainsi le chemin parcouru depuis 1848 et les premières révolutions où les ouvriers jouèrent un rôle non négligeable, quoique que le résultat ne fut pas en leur faveur.
Par contre, la conclusion m’a laissé sur ma faim, les attendus, comme on dit en droit, donnés un peu avant, manquant aussi, à mon humble sens, d’imagination créatrice et de liens avec les processus en cours sous nos yeux.
Dans cette crise de dislocation du marché mondial, dans laquelle on en est encore qu’aux débuts, il risque d’y avoir de nombreux évènements qui ne sont pas prévus forcément par beaucoup.
Ainsi, en France, aujourd’hui, même dans l’armée et la gendarmerie, sans parler de la police, les récriminations, pour ne pas utiliser le "vilain" gros mot de revendications matérielles, sont massives et il semble que ce soit tout l’appareil d’Etat qui est touché sévèrement par la crise et des pans entiers qui vont à la révolte aussi. En témoignent les blogs de discussion des fonctionnaires de ces secteurs qui prennent une teinte très 1789 et voient assez rouge (sans jeu de mots) !!!
Et cela, cela n’était pas le cas ni en 1936, ni en 1947, ni en 1953, ni en 1968, ni en 1995. Les réalités bougent sensiblement.
Ceci dit, bravo pour avoir rappelé les vérités susdites. Et rappelé que les employés et cadres ne sont, en définitive, que des ouvriers qui ne sont pas en bleu, mais qui peinent aussi en fin de mois, subissent aussi les pressions de hiérarchies devenues elles-mêmes malades et commencent aussi à se dresser contre le sort de mépris qui leur est fait par les patrons et l’employeur Etat.
Bien cordialement vôtre,
"Parce que les prolos ou ce qu’il en reste commencent à comprendre comment les capitalistes les considèrent".
Ne faites pas vous meme injure aux ouvriers. La cervelle ne leur a pas poussé avec la crise ; une espèce de dépression s’est installée au fil des années, au fur et à mesure que le libéralisme vampirisait la pensée générale en, entre autres, installant le principe de la normalité des "dommages collatéraux" du système - licenciements, CDD, chomage technique …- au profit du profit, et que beaucoup de syndicats pourrissaient et les livraient peu à peu aux capitalistes.
Mais de la dépression, on s’en sort. Et d’autres "catégories sociales" subissent le même sort décrété par l ultra libéralisme. Par ailleurs, aux "dommages collatéraux" dans le monde du travail s’ajoutent ceux du système en général - paupérisation, pertes progressives dans les principes fondamentaux de l accès aux soins, à la retraite, à l’éducation, à la Justice, aux libertés …-. Les êtres considérés comme et traités en mouchoirs jetables et plus généralement en sous-êtres ont la force de leur nombre et de leur rancoeur. Cette force s exprimera un jour et les responsables et leurs valets verront l’aboutissement logique de leur propre logique.