Gustave Kervern et Benoît Delépine signent une comédie noire et bien frappée, véritable doigt d’honneur au capitalisme.
Anecdote. En juin dernier, des journalistes attendent fiévreusement le début de la projo de presse de Babylon A.D. Soudain, cinq minutes avant le début du film, un mec balèze se lève. « Bonjour, je m’appelle Gustave Kervern et je voudrais savoir si Philippe Azoury est dans la salle car j’aimerais lui casser la gueule. » Tout le monde rigole et Gustave continue son one man show. Le journaliste de « Libération » aurait démoli son film, Avida, et le Grolandais, au nom de la liberté d’expression, veut lui en coller une. Les kritiks se marrent de plus belle, mais soudain, j’ai un peu honte de ma corporation, pas vraiment solidaire. Un critique est quand même censé écrire LIBREMENT ce qu’il a ressenti, non ? Et bientôt, je pense à Sarko qui humilie Laurent Joffrin en conférence de presse, sous les rires complices des journaleux-collabos, parce qu’il a osé une question pas trop cire pompes. Ambiance… A la sortie, je chope Gus et lui dis ma façon de penser. Ma comparaison avec Sarko ne le fait pas rire du tout et il m’assure qu’Azoury tape sous la ceinture, écrivant que Delépine et lui seraient des alcooliques. Mais bon, Gustave n’est pas violent, il voulait juste voir si le critique de Libé aurait les couilles de se lever et d’avancer ses arguments. On se serre la paluche…
Si je vous cite cette petite prise de bec, c’est que Louise-Michel, l’excellent troisième film du duo grolandais Delépine-Kervern, participe de ce même état d’esprit, celui du « Do it yourself », on fait les choses soi-même !
Ainsi, quand les ouvrières d’une usine textile de Picardie découvrent que leur patron voyou s’est fait la malle et que l’entreprise a été déménagée dans la nuit, les chômeuses décident de prendre leur destin en main. Avec les indemnités du plan social, elles embauchent un tueur pro pour faire la peau de leur raclure de patron. Taiseuse, énigmatique, Yolande Moreau prend la tête de la rébellion et se lance en quête d’un hitman, Bouli Danners, tueur improbable (« Kenndy, c’est lui, mais faut pas trop le dire »), incapable de flinguer un roquet. Moreau et Danners sillonnent alors les routes du nord, croisent Benoît Poelvoorde, Mathieu Kassovitz, Denis Robert, Siné, Philippe Katherine, le président Salengro en string, allument quelques cadres sup, remontent la chaîne alimentaire et partent pour un petit paradis fiscal afin de dessouder le capitaliste en chef.
« Do it yourself », c’est également la devise de nos deux cinéastes. Un beau jour, entre deux émissions pour Canal, nos deux lascars se sont mis à réaliser de petits films punks, libertaires et irrévérencieux. En phase avec l’actualité (c’est le privilège des grands), Delépine et Kervern revisitent cette fois la lutte des classes en mode zinzin, flinguent les patrons voyous, les délocalisations (« C’est au Vietnam que ça se passe maintenant »), les milliards jetés par les fenêtres pour que les puissants s’achètent une nouvelle piscine.
Comme les frères Dardenne, notre duo prend pour héroïne une prolétaire, une ouvrière humiliée, personnage pour le moins oublié par le cinéma français. Mais à la manière des grands de la comédie italienne des années 70, ils décident de jouer la carte du burlesque et du politiquement incorrect. Bourrés d’idées folles, de visions magnifiques (la sublime Yolande Moreau devant son HLM dynamité qui s’effondre), Louise-Michel est un manifeste joyeux, barré et mal élevé contre l’obscénité du capitalisme. Bref, on se marre avec les damnés de la terre (jamais on ne se moque d’eux, on n’est pas chez Chatillez) pour mieux s’empêcher de pleurer.
Depuis Louise-Michel, j’ai retrouvé la critique d’Azoury sur Avida, intitulée « Dada aviné ». Tout est du même tonneau (ouarf, ouarf) et le critique de Libération passe son temps à enfiler des métaphores nullos sur l’alcoolisme présumé de Delépine et Kervern. Ce n’est plus de la critique, mais de la délation. Gus, si un jour tu lis ce papier, excuse-moi. Tu peux mettre une tarte à ce mec.
Décidément, à lire toutes ces tartines d’éloges pour ce film, dans un concert dont l’unanimisme devrait mettre la puce à l’oreille de ceux qui y voient une oeuvre dérangeante et politiquement incorrecte, je me demande si je vis dans le même monde que les critiques et les spectateurs : comment un objet aussi abject, aussi puant, peut-il passer pour un brûlot anticapitaliste, alors que tout son discours consiste à traîner les petites gens dans la boue d’un humour putride ?
Il existe aussi un conformisme de l’anticonformisme : il fait actuellement des ravages.