Grande rescapée du procès Kerviel, la Société Générale n’est pas sortie d’affaires aux Etats-Unis. Où le spectre d’une class action à plusieurs millions de dollars d’indemnités n’a pas encore été dissipé.
Tout à ses efforts de séduction du marché, Frédéric Oudéa, patron de la Société Générale, s’est efforcé de convaincre l’auditoire de sa conférence du 29 septembre, que sa banque n’aura pas besoin d’une augmentation de capital pour faire face aux nouvelles contraintes réglementaires nées des accords « Bale III ».
Bonne nouvelle donc, bien que l’exercice semblait surtout destiné à calmer la nouvelle poussée de nervosité des investisseurs, à en juger par les performances du titre SocGen ces derniers jours, sur l’indice bancaire SX7P du STOXX Europe 600.
Une sobriété néanmoins surprenante alors qu’il aurait pu évoquer l’autre divine surprise tombée quelques jours plus tôt dans une relative indifférence médiatique ; à savoir, la décision de rejet par le juge du District Sud du tribunal fédéral de New York Richard M. Berman, de la « Class Action » (Case 1 :08-cv-02495-RMB) lancée contre la SocGen par quelques actionnaires rancuniers.
L’une des trois procédures engagées à ce jour aux USA contre la banque à la suite de la chute vertigineuse du cours de son action de 145 à 41 euros, entre la mi-mai 2007 et aujourd’hui, la plainte en question et son rejet récent, susceptible d’appel, ont pourtant de quoi susciter l’intérêt de tous à plus d’un titre - et sans mauvais jeu de mots.
D’abord parce qu’elle ressemble à s’y méprendre à celle ayant frappé Vivendi aux USA un peu plus tôt pour des motifs comparables. Une procédure à laquelle l’ancienne « protégée » de Jean-Marie Messier, condamnée en première instance pour avoir présenté des comptes non-sincères, craint comme la peste que se joignent des milliers d’actionnaires français floués par la gestion prétendument créative de l’ancien Bonaparte de la fusion-acquisition.
Étrangement, la responsabilité personnelle de J2M n’a pas été retenue par le jury yankee un peu distrait. Nul doute que si davantage de publicité était donnée au rejet de la plainte déposée contre la Société Générale, le public découvrirait à quel point le destin de la banque et celui de Vivendi ont été intimement mêlés pendant la longue agonie boursière de Vivendi entre fin 2000 et mi-2002. Une prise de conscience susceptible de raviver de mauvaises pensées envers la banque du boulevard Haussmann des deux côtés de l’Atlantique après la crucifixion de Kerviel diversement appréciée dans l’opinion…
Les bons connaisseurs des deux dossiers n’ont en effet pas oublié quelques anecdotes croustillantes [1] :
Par exemple que Marc Viénot, ex-président de la SocGen qui avait consenti des concours importants à Vivendi, était président du Comité des Comptes de cette dernière pendant son naufrage, donc garant de leur sincérité et de leur exactitude… Un conflit d’intérêt ? Pensez-vous !
Ou encore que Daniel Bouton était à la fois président de la banque et du Comité des Comptes de Canal+ jusqu’à sa fusion avec Seagram et Vivendi en décembre 2000. Une fusion sur une valeur de Canal à ce point généreuse, que l’illustre banquier – séquence émotion - devra s’en défendre laborieusement (« …si des engagements hors bilan ont été signés mais n’ont pas été portés à ma connaissance, je ne peux pas faire d’observation à leur sujet… ») lors de son audition par la COB le 8 octobre 2002…
Mais surtout que Jean-Marie Messier possédait un compte ouvert dans les livres de la Société Générale Private Banking, la banque du groupe dédiée aux VIP ; un compte à ce point mal géré par son banquier que ce dernier ne déclarera au trésor Public que 50% des plus-values sur cessions d’actions Vivendi effectivement réalisées par son président en 2001 ! Une regrettable erreur dont étrangement, JMM ne s’est jamais plaint…
Bref, Vivendi et la Société Générale, un temps si proches et conniventes, et dont le salut judiciaire viendra peut être d’un arrêt de la Cour Suprême américaine, rendu en juin dernier suite aux agissements frauduleux de margoulins de l’immobilier qui sévissaient –déjà- en Floride, du côté de Jacksonville à la fin des années 90.
L’affaire appelle évidemment quelques éclaircissements.
Kevin Drace et Hugues Harris dirigeaient à l’époque HomeSide Lending Inc, une affaire de recouvrement de créances hypothécaires qui prospérait sous le soleil de Floride. A tel point que la National Australia Bank Limited (NAB) attirée par l’odeur du fromage, décida de la racheter pour 1,22 milliards de $ en février 1998.
C’est à partir de cette date que Kevin et Hugues, les gros malins de Jacksonville, ont commencé à transmettre à leur maison-mère australienne, des résultats comptables et des prévisions financières à ce point fantaisistes que la NAB fut contrainte d’enregistrer une première perte de 450 millions de $ le 5 juillet 2001, suivie d’une seconde couche de 1,75 milliard de $ le 3 septembre 2001 !
Circonstance aggravante, le patron de la NAB, un certain Cicutto, aurait eu vent de l’arnaque dès juillet 2000. Un « malentendu » dont il se garda bien de faire part à ses actionnaires majoritairement australiens. Lesquels, dévastés par l’effondrement du cours de l’action National Australia Bank dès que l’affaire fut rendue publique, décidèrent d’obtenir une réparation judiciaire de leur préjudice.
L’arnaque ayant matériellement été commise à Jacksonville par les dirigeants de HomeSide Lending, les actionnaires australiens décidèrent, sur le conseil de leur avocat Thomas A. Dubbs, de se tourner vers la justice américaine dans le cadre d’une Class Action ; d’autant plus qu’un certain Robert Morrison, Américain de son état, qui s’était porté acquéreurs d’American Depositary Receipts (ADR, voir encadré en fin d’article) de NAB, figurait également parmi les victimes déclarées.
D’autres investisseurs américains propriétaires d’ADR pour des quantités plus modestes, se sont joints à l’action en justice. Hélas pour eux, tout comme Morrison, ils ont été écartés de la liste des plaignants dès l’audience de première instance, le 25 octobre 2006 faute d’avoir pu démontrer leur préjudice. De manière inexplicable, c’est pourtant le nom de Robert Morrison qui a été maintenu pour désigner l’affaire jusque devant la Cour Suprême.
De son côté George Conway, l’avocat de NAB avait deviné très tôt que les tribunaux américains s’estimeraient incompétents, s’agissant de la perte de valeur d’une action émise par une société étrangère, achetée par des plaignants non-américains sur une bourse étrangère.
Déboutés en première instance, les actionnaires grugés ont interjeté appel. La Cour, qui a examiné l’affaire le 18 juillet 2008, a rendu son arrêt le 23 octobre 2008 sur le même fondement que le tribunal de première instance : « Il résulte d’une conjonction de facteurs, et notamment que les déclarations frauduleuses ont été faites à partir du siège social de NAB, en Australie, qu’elles n’ont eut aucun effet en Amérique ou sur des américains, et que la chaîne causale entre les agissements de HomeSide et les communiqués auxquels ont été exposés les investisseurs a été longue, que la juridiction à laquelle le différend a été soumis ne pouvait s’estimer compétente. Pour toutes ces raisons, le jugement du tribunal du District est confirmé ».
Subsistait un problème de taille : celui des propriétaires américains d’ADR de la National Australia Bank, première banque australienne à l’époque des faits, dont la situation n’a jamais été examinée à cause de leur incapacité à justifier leur préjudice. Ne subsistait donc pour les actionnaires étrangers de la NAB, que la possibilité d’un ultime recours devant la Cour Suprême. La Juge Sonia Sotomayor récemment nommée et ayant eu à connaître de l’affaire alors qu’elle siégeait à la Cour du 2ème Circuit, s’est logiquement abstenue de prendre part à la décision rendue le 24 juin 2010, tombée comme un don du ciel tant pour Vivendi que pour la Société Générale (Supreme Court of the United States n° 08-1191 : Robert Morrison et al. petitioners v/National Australia Bank Ltd et al. Le 24 juin 2010).
L’argumentation des sages tourne autour de l’interprétation de l’article 10(b) de la Loi boursière de 1934. Sans entrer dans le détail de l’argumentation d’Antonin Scalia, le juge rapporteur de la décision de la Cour Suprême, prise, comme chacun sait, à la majorité des juges, son articulation est parfaitement résumée dans les quelques lignes de la conclusion de la Cour : « Ce cas ne porte pas sur une valeur mobilière cotée sur une bourse américaine, et tous les détails des achats justifiants les revendications encore pendantes des plaignants, montrent qu’ils ont eu lieu en dehors des Etats Unis. Les plaignants ne sont donc pas parvenus à faire valoir une demande recevable. Nous prononçons donc le rejet de la plainte sur ce fondement ».
Une décision dont se réclame Vivendi avec force pour prétendre exclure de la Class Action à son encontre, les milliers de ses actionnaires français ayant acheté leurs titres à la bourse de Paris.
Plus troublant est le rejet de la Class Action à l’encontre de la SocGen, prononcé sur le même fondement par le juge Richard Berman qui semble avoir oublié quelques détails.
En premier lieu, la remarque du juge Stevens de la Cour Suprême qui, commentant la décision collective du 24 juin 2010, s’est cru autorisé à rappeler aux praticiens du droit américain que « la rédaction et l’histoire de l’article 10 (b) sont notoirement opaques quant à la question de savoir quand exactement, des fraudes sur des valeurs mobilières étrangères justifient son application.. ». Une autre manière de dire qu’une décision contraire pourrait très bien être rendue un de ces jours par les mêmes juges.
De plus, la plainte collective déposée contre la Société Générale l’a principalement été par le fonds de retraite des enseignants du Vermont, le Fonds de pension national des forgerons et des chaudronniers US, et la section locale n°880 du syndicat des ouvriers de l’industrie agroalimentaire et de la distribution ayant eux, parfaitement justifié leur préjudice, contrairement aux porteurs des ADR de la banque australienne.
Des actionnaires américains donc, propriétaires des fameux ADR, dont le statut juridique n’a pas encore été tranché par la Cour Suprême et qui promet de belles empoignades quant à la réponse à la question à plusieurs millions de dollars d’indemnité. Une question qui consiste à déterminer si les propriétaires d’ADR de la Société Générale peuvent être indemnisés, par les tribunaux américains, des pertes qu’ils ont subies consécutivement à la dépréciation des actions de la SocGen sur lesquelles sont basés les ADR qu’ils détiennent, et dès lors que ces pertes auraient été causées par des fraudes ?
Tous comptes faits, Frédéric Oudéa a été bien avisé de ne manifester aucun triomphalisme prématuré à la suite de la décision du juge Richard Berman et le salut venu de Jacksonville pourrait s’avérer éphémère pour sa banque.
Un investisseur américain qui veut acheter des actions étrangères dont les titres sont cotés sur des places étrangères, peut le faire par le truchement d’ADRs. Il s’agit d’une valeur mobilière négociable sur le marché américain et représentative d’un certain nombre d’actions ordinaires d’une société étrangère. Contrairement à l’action de la société-cible, l’ADR s’achète et se vend sur les bourses américaines. Il est mis à disposition des investisseurs américains par des courtiers ou des banques qui achètent, sur les bourses où elle est cotée, une certaine quantité d’actions de la société étrangère, et émettent des ADR représentatifs de ces actions étrangères.
Leur valeur est donc garantie par celle de l’action de la société étrangère détenue par l’intermédiaire financier, qui sert à l’émission des ADR. Leurs cours varient dans les mêmes proportions. Ces ADR sont d’ailleurs proposés sur le New York Stock Exchange (NYSE), sur l’American Stock Exchange (AMEX) voire même sur le Nasdaq. C’est l’émetteur de l’ADR qui fixe la parité entre l’action de la société étrangère et l’ADR qui la représente. Le but est de proposer des ADR à un prix compris entre 10 et 100 US$.
Les émissions d’ADR ne sont pas toutes soumises aux mêmes obligations réglementaires de la part des autorités boursières américaines. Les ADR dits de « niveau 1 » sont cotés sur le marché dit « Over-The-Counter ». Ce sont ceux que s’achètent et se vendent quotidiennement les investisseurs entre eux. La SEC les surveille de très loin.
Les ADR « de niveau 2 » sont cotés au Nasdaq et font l’objet d’une surveillance accrue de la part de la SEC. Les ADR les plus prestigieux sont dits de « niveau 3 ». Ils correspondent aux émissions d’ADR proposés sur une bourse américaine par un intermédiaire financier qui vient de faire l’acquisition de titres d’une société étrangère non cotée aux USA.
Les ADR de la Société Générale sont désignés par le symbole GLE. Ils sont cotés sur le marché dit Over-The-Counter de New York sous le symbole « SCGLY » ; (cf. www.otcbb.com). La parité retenue est de 5 ADR pour une action SocGen.
A lire sur Bakchich.info :
[1] (cf. Société Générale : Secrets Bancaires édité chez Flammarion – Quatrième partie ‘Dans la danse Vivendi Universal – au bal des vampires’ page 123 et suivantes)