Voyage dans les « bas fonds » de la fac, pendant que Madame Pécresse négocie le statut des enseignants chercheurs. Rencontre avec un pseudo-lumpenproletariat.
L’aristocratie de la fac prend goût au pavé. Les enseignants chercheurs des universités sont descendus dans la rue la semaine dernière, et à nouveau le 5 mars. Avant de remettre le couvert le 10. Mieux lotis, mieux payés (et c’est bien), les plus médiatiques, les chercheurs, représentent 60,1 % des enseignants à l’université. Une majorité bien lotie. Ou bien mieux que les 39,9 % qui se voient fermer les portes de la recherche et se sentent un brin méprisés. Visite chez les soutiers des facs, aux faux-airs de lumpenproletariat.
Les profs du secondaire représentent 16,1 % du corps enseignant des universités. « Nous sommes méprisés par les enseignants du supérieur qui nous appellent avec condescendance « leurs collègues du Second Degré » pour marquer leur distance », affirment certains de ces profs. Ils sont composés de PRAG (pour professeur agrégé), ou de PRCE (pour professeur certifié). Ces « bourricots », comme ils se nomment entre eux, ne font pas de recherche et sont donc astreints à 384 heures de cours par an pour un agrégé, contre 192 heures pour un maître de conférence et 96 heures pour un professeur d’université. Jusqu’en licence, dans certaines universités ce sont ces agrégés et certifiés que les étudiants ont majoritairement en face d’eux. « Les profs et les maîtres de conférence se réservent les cours de master qui sont souvent rémunérés 1 heure 30 par heure de cours effectuée ».
Est-ce par atavisme que ces PRAG ou ces PRCE sont très nombreux à accepter des postes administratifs des échelons inférieurs ? Les postes honorifiques leur sont - de droit ou en pratique - refusés. Malgré leur travail, il n’y a ni PRAG ni PRCE parmi les directeurs d’université. En revanche ils peuplent les directions des études, même dans les plus prestigieuses des écoles comme les Ecoles Normales Supérieures. Si certains ont obtenu une certaine forme de reconnaissance à l’instar de Laurent Bigorgne, un PRAG historien, qui a longtemps secondé Richard Descoings à l’IEP de Paris (Institut d’Etudes Politiques), ils doivent dans leurs universités se contenter des seconds rôles. Et sont sur représentés parmi les directeurs de département dans les IUT.
Un de leurs représentants se demande ce qui se passerait si ces sous-fifres, indispensables au bon fonctionnement de l’université, se mettaient en grève. Une simple grève du zèle de ce corps hybride bloquerait l’université. Heureusement pour madame Pécresse ce n’est pas d’actualité pour le moment.
Ces OS de la fac ne sont pas les plus mal servis, loin de là. Au moins bénéficient-ils du statut de fonctionnaire. Tout en bas de la hiérarchie sociale de l’université se nichent les vacataires. Une armée de réserve évidemment moins bien payée que les PRAG et les PRCE, sans statut et ignorée des enseignants chercheurs.
Corvéables à merci, les vacataires jouissent d’un statut de précaires parmi les précaires. « Souvent peu diplômés, mais pas systématiquement, certains attendent des postes, nous bouchons les trous dans les emplois du temps », répondent ceux que Bakchich a interrogés. « Nous sommes sur représentés dans les matières annexes. Par exemple dans les UFR de sciences dures les langues et la culture générale nous sont souvent confiées ».
« Nous travaillons le lundi et le vendredi, les jours où les enseignants-chercheurs recherchent ou partent en week-end », glissent-ils. Payés entre 40 et 20 euros nets de l’heure, ils ne sont pas mensualisés mais semestrialisés et ne touchent leur pitance qu’en février et en juillet. Évidemment ils n’ont pas droit au chômage, et ne sont pas payés pendant leurs vacances.
Comme les facs ne veulent pas payer les charges sociales, ces vacataires doivent avoir un autre emploi de salariés. La porte ouverte aux combines. « Par exemple, certaines déclarent leur mari alors que ce sont elles qui enseignent, ou vice et versa ».
Jusqu’à récemment ces heures permettaient aux jeunes enseignants du secondaire de mettre du beurre dans les épinards. Mais avec la baisse des effectifs et la multiplication des heures supplémentaires dans le secondaire ils se font de plus en plus rares. Les heures supplémentaires du supérieur ne résistent pas à la comparaison. 150 euros pour le lycée ou les BTS versus 40 euros pour le supérieur. Le choix est vite fait, ils choisissent les élèves plutôt que les étudiants. Et les responsables des emplois du temps dans les facs ont de plus en plus de mal à trouver des vacataires compétents. Quitte à se rabattre sur des éléments moins bien formés, et plus malléables.
Sans contrat, ils ne peuvent pas se révolter. Chaque semestre les responsables de UFR (des enseignants chercheurs) ont le droit d’arrêter leurs vacations, sans aucune explication. Dans ce cas, vacataire signifie : « Vas. T’as qu’à te taire ». Un fait du prince.
Ce Lumpenproletariat de la fac n’est pourtant pas bégueule. Certains comprennent que les enseignants chercheurs défendent leur statut, même s’ils « regrettent de ne pas être associés au mouvement ». Ils ne demandent qu’une place sur un strapontin, pouvoir se faire entendre. Leur donnera-t-on à l’heure où le seul credo des manifestants est la défense de la recherche. On peut en douter.
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Vacataire de 18 ans d’âge , j’ai pu observer mes " collègues " titulaires comme un entomologiste ! Les mêmes qui avaient dansé sur les barricades , sont à présent des mandarins moisis . Ils pratiquent l’autoritarisme ( il est obligé d’obliger …), une culpabilité molle à être " absent ", un zeste de suffisance ( ? ..) , un usage routinier de la distribution du savoir ; tristes , rances pour certains , soupçonneux à l’endroit des "collègues " vacataires , parfois ( très) border-line dans leurs têtes , ils me font de la peine ou ils me font peur . Peut-être est-ce à cause de la forte dose de piston qu’il a fallu injecter dans leur accès à la titularisation ? Qui fait que l’on ne sait plus ce que l’on vaut vraiment ?
Moi, qui ne voulus pas en passer par là , je me porte bien . Pas de patron médiocre pour m’humilier , pas de syndicat pour me placer ou me "défendre", d’anciens étudiants qui sont à présent des caïds , et des vacations à la rémunération minable qui me payent néammoins de beaux voyages .
Vacataire ? Comme l’illustration - juste au demeurant - ne le dit pas : c’est le pied !
Une evidence : qui a un doctorat est ’docteur’, qui est docteur en medecine soigne et sauve. Ergo les veritables docteurs de l’Universite, ceux qui la sauvent, sont les vacataires, PRAG et PRCE. Ejectez-les et l’Universite bourree de ’docteurs’ se meurt. CQFD.
Un constat : que de mepris dans certains des commentaires emanant des petits mandarins du ’superieur’ ! La tour d’ivoire est bien campee sur ses fondations.
Une question : quelle somme est retranchee du salaire des enseignants-chercheurs par jour de greve ? Dans le secondaire, c’est 1/30e. Merci de la reponse.
Oui, je sais que cela est un peu hors sujet, mais un article sur le mode de recrutement des enseignants chercheurs serait indispensable et très formateur.
Si de nos jours, tu n’es pas la femme ou le mari d’un directeur ou d’une directrice de laboratoire, c’est étrange mais tu as très peu de chance d’être recruté en tant que maître de conférence. Et voila, on nous parle d’égalité républicaine, mais quelle égalité, heureusement qu’il nous reste la République.