Emmenés par un dieu du carnage, des Vikings s’embarquent pour l’Amérique. Un chef-d’œuvre gore et hypnotique. Interview du réalisateur danois de Bronson et Pusher, et de son acteur, Mads Mikkelsen.
- Nicolas, vous êtes daltonien et dyslexique. C’est pour vous venger que vous avez réalisé un film quasi muet, bourré de séquences intégralement rouges ?
- Nicolas Winding Refn : (il se marre) Je suis un grand dyslexique et je ne peux pas vraiment écrire ce que je ressens. Toutes mes pensées se traduisent en images. Donc, un film muet, ça me va… De plus, je ne distingue pas les couleurs primaires, c’est pour cela que j’aime bien étaler du rouge dans mes films.
- Mads, quand vous avez lu le script pour la première fois, vous n’avez pas été trop furax de découvrir que vous n’aviez aucun dialogue ?
- Mads Mikkelsen : Je dois vous avouer que je n’ai jamais lu le scénario. Nicolas me parle de cette histoire de guerrier viking qui débarque en Amérique depuis très longtemps, donc je savais que je serais muet, et borgne en plus. Je n’étais donc pas du tout furieux, et pour une fois, mes dialogues étaient plutôt faciles à mémoriser…
- Après les polars "Pusher" et "Bronson", pourquoi ce film sur des Vikings ?
- Nicolas Winding Refn : Je rêve de ce film depuis que j’ai 18 ans. J’avais entendu à la radio qu’une stèle viking avait été découverte au Canada. Après l’avoir étudiée, on s’était aperçu que c’était un avertissement : les Vikings avaient voulu signaler un danger ! J’ai trouvé que c’était une idée géniale pour un film d’action. Durant les années qui ont passé, j’ai réalisé que ce n’était pas un film d’action ou un film de viking – les Vikings ne m’intéressent absolument pas - mais un film de science-fiction ! Deux semaines avant le début du tournage, j’étais complètement déprimé, car je ne voulais plus réaliser ce film sur des Vikings ou la mythologie nordique avec les dieux Thor et Odin. Avec mon co-scénariste, nous avons transformé le concept et il a inventé les Vikings chrétiens qui partent vers la Terre sainte et qui découvrent l’Amérique. Je ne voulais pas un film sur ce qui s’est passé, mais un film sur le futur. En fait, "Le Guerrier silencieux" est un film de drogue. Comprenez-moi bien, ce n’est pas un film sur la drogue, mais c’est un film qui fonctionne comme une drogue.
- On sent de multiples influences dans le film, "Aguirre la colère de Dieu", "Apocalypse now"…
- Nicolas Winding Refn : "Le Guerrier silencieux" est la combinaison de plusieurs choses : c’est un western, un film de samouraï, un film de science-fiction, avec beaucoup de Snake Plissken, le héros de "New York 1997". Sur le plateau, on se disait que c’était "New York 1997" mais avec un muet et dans l’espace.
- Mads, comment s’est passé le tournage ?
Nous avons tourné le film en Écosse, il y a deux ans. Nous tournions dans les montagnes, nous portions l’équipement pendant des heures, il pleuvait parfois pendant des jours et je jouais des scènes de bagarre par moins 10°C… Au départ, je pensais que mon personnage ne serait pas difficile à incarner. Mais quand vous réalisez que l’on vous a retiré le langage et les expressions du visage, il faut donner une vie intérieure à votre personnage. Il m’a donc fallu trouver une façon de jouer quasi zen, bouddhiste. On l’a trouvée, mais il nous a fallu chercher pendant un bon moment.
- Le film est expérimental, gore et muet : un vrai suicide commercial !
- Nicolas Winding Refn : Quand tu fais un film, tu ne dois pas refaire ce que tu as déjà fait. Je suis passé de la trilogie "Pusher" à "Bronson", puis au "Guerrier silencieux". Des films très différents au niveau de l’histoire, des personnages, de la grammaire cinématographique. Ils sont complètement différents les uns des autres car je ne veux pas être contrôlé. Ce n’est pas un obstacle, c’est une bénédiction. Si tu refais la même chose, ce n’est même pas la peine.
Mads, vous êtes ami avec Nicolas. Depuis quand vous connaissez-vous ?
- Mads Mikkelsen : On se connaît depuis de 1996. C’était au casting de "Pusher". J’étais encore au Conservatoire. Nicolas ne voulait pas d’acteurs, pas des gens du théâtre, il voulait de vrais gangsters, mais quelqu’un lui a conseillé de m’auditionner. Je venais d’une ville différente, personne ne comprenait ce que je disais car je murmurais tout le temps. Et il a adoré l’idée, c’est comme cela que nous avons fait connaissance.
- Nicolas Winding Refn : J’ai plusieurs projets de films pour Mads, dont un film américain dont il ne connaît même pas l’existence. Je voudrais tourner tous les films avec lui.
Comment se fait-il qu’il y ait autant de talents venus du Danemark ?
- Mads Mikkelsen : Il y beaucoup de style différents, beaucoup de talents, Lars von Trier, Ole Christian Madsen, Anders Thomas Jensen, Suzanne Bier… Les budgets des films sont réduits, mais c’est à chaque fois le travail du réalisateur que vous avez sur l’écran. Que cela soit bon ou mauvais, c’est la vision du metteur en scène. D’où la diversité de nos films.