Resté trois ans sans congés, un délégué syndical d’une boîte de remorquage du port du Havre décide de jeûner. Et dénonce le dumping social dû à l’ouverture à la concurrence des services maritimes.
Alain Bourgeois, capitaine et délégué syndical CFDT à la Société nouvelle de remorquage du Havre (SNRH) n’est pas du genre à se laisser faire. Quand il s’est vu, une fois de plus, refuser ses 12 jours de congés réglementaires, il a décidé de cesser de s’alimenter. En grève de la faim depuis le 13 août, il compte par son geste alerter sur la situation pour le moins étonnante dans son entreprise. « Cela fait trois ans que nous n’avons pas eu de congés », avance-t-il calmement. Avec un rythme de travail alternant une semaine de travail et une semaine de repos, l’entreprise considère que les salariés n’ont pas droit à des congés supplémentaires. « Sauf que la semaine où on travaille, on travaille 70 heures », précise Alain Bourgeois. L’inspection du travail est intervenue à de nombreuses reprises pour rappeler l’entreprise à l’ordre (voir les courriers de l’inspection ci-dessous). Sans effet.
De fait, la filiale de la société néerlandaise Kotug, qui compte sur le port du Havre une soixantaine de salariés, semble avoir quelque mal avec le droit du travail hexagonal. Et argue d’un flou juridique entre le code du travail maritime et le code général. Pourtant, à entendre Alain Bourgeois égrener les ennuis qui se sont étrangement accumulés autour de lui ces dernières années, difficile d’y voir autre chose qu’une forme d’harcèlement syndical. « Dès ma désignation comme délégué syndical, la SNRH a attaqué ma nomination au tribunal, raconte-t-il. J’ai subi trois mises à pied de deux mois sans salaire, deux demandes de licenciement pour faute grave, refusées par l’inspection du travail… Ils m’ont même proposé 50 000 euros pour que je parte. Les autres délégués syndicaux ont été usés. Ils sont partis ».
Manque de bol, Alain Bourgeois n’a aucune intention de partir. Et pour un peu, c’est la direction de l’entreprise qui s’estime harcelée. Pascal Riteau, directeur d’exploitation dit bien sûr, déplorer cette grève de la faim : « Je ne travaille pas pour tuer les salariés », lance-t-il agacé. Reste que pour lui, Bourgeois est « un manipulateur qui abuse de sa protection syndicale. Comment dialoguer avec des organisations syndicales qui clament depuis des années qu’elles feront tout pour s’opposer à l’ouverture à la concurrence ? », s’interroge -t-il.
Difficile en effet d’isoler de son contexte le litige qui oppose depuis des années le délégué syndical CFDT à sa direction. La SNRH, société de droit français filiale de l’entreprise hollandaise Kotug est en effet la première à briser le monopole de la société Boluda, opérateur historique. « M. Bourgois n’a eu de cesse de défendre les intérêts de l’opérateur historique. Il mène un combat contre l’ouverture à la concurrence du remorquage ». Ce dont le délégué syndical CFDT ne fait pas grand mystère. Derrière la dénonciation de ses conditions de travail, il veut aussi dénoncer le dumping social que la SNRH fait, selon lui, « subir au secteur ». Et est en cela ardemment soutenu par les salariés de l’opérateur historique confrontés à une vague de licenciements.
« En voulant gagner sur tous les tableaux, ils risquent de perdre beaucoup », prévient le directeur d’exploitation. « D’ailleurs, son syndicat –la CFDT- se garde bien de nous attaquer en justice sur ce point. Ils savent qu’ils risquent, avec ce flou réglementaire, de gagner. Ce qui aurait pour conséquence immédiate d’entraîner une vague de dépavillonement ». Éternelle menace…
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