Pour se délester de leurs salariés encombrants, de plus en plus d’employeurs les déclarent « inaptes » à occuper leur poste. Avec la complicité, plus ou moins assumée, de la médecine du travail.
Comment se débarrasser à peu de frais de ses salariés devenus indésirables ? Par temps de crise, la recette vaut de l’or. Dans la boîte à outils du DRH, une formule a particulièrement le vent en poupe ces derniers temps : l’inaptitude. Ce statut reconnaît l’incompatibilité entre l’état de santé du salarié et la charge, physique ou mentale, de son poste. Il suffit en effet de déclarer les indésirables « inaptes » à occuper leur poste de travail pour pouvoir les éjecter. Si un reclassement n’est pas possible, le licenciement est prononcé.
Depuis quelques années, le nombre de salariés devenus ainsi incapables de satisfaire aux exigences de leur employeur a singulièrement augmenté. Selon l’Agefiph, leur nombre a doublé en dix ans. Certes, l’augmentation des cadences, de la pénibilité et du stress y sont pour beaucoup. Les salariés s’usent plus vite au travail et pour certains deviennent incapables au bout de quelques années de tenir leur poste. C’est l’inaptitude « classique » qui touche encore majoritairement les ouvriers. Mais de plus en plus, le statut d’inaptitude est utilisé comme un moyen pratique d’éjecter des cadres dont le licenciement peut coûter cher aux entreprises.
Les médecins du travail commencent d’ailleurs à se plaindre des pressions qui pèsent sur eux pour qu’ils utilisent ce procédé parfois hors de toute considération médicale. « L’inaptitude sert à évacuer un certain nombre de salariés qui ont des problèmes spécifiques », admet T.B., juriste spécialiste du droit social. En clair, des « cas » dont on ne sait pas comment se défaire légalement. Dépression, conflit avec leur hiérarchie, harcèlement moral, autant de situations délicates pour l’entreprise qui risque un recours aux Prud’hommes en cas de séparation sans motif réel et sérieux. Autant de situations où le médecin du travail est donc aimablement invité à déclarer le salarié « inapte ». Plus simple et plus rapide qu’un licenciement économique, ce mode de séparation coûte aussi moins cher qu’un licenciement « à l’amiable » avec transaction à la clé. Ce statut bien utile sert aussi à pousser vers la sortie des séniors qui traînent la patte, rapporte toujours notre spécialiste du droit du travail. « Les entreprises l’utilisent car on peut gagner deux ou trois ans sur l’âge du départ à la retraite, ce qui commence d’ailleurs à préoccuper les pouvoirs publics ».
« L’inaptitude est surtout un moyen pratique de sortir un salarié d’une situation difficile », explique Mireille Chevalier, secrétaire général du syndicat national des professionnels de la santé au travail. On le fait d’un commun accord avec lui lorsque toutes les solutions ont été envisagées. L’intérêt c’est aussi qu’il n’a pas d’obligation de revenir dans l’entreprise en attendant son licenciement effectif. » Lors d’un conflit, cela arrange tout le monde de ne plus avoir à supporter la trombine de l’autre pendant des mois. Et l’obligation de reclassement ? Pas de souci, si le patron ne veut vraiment plus voir ce salarié, le médecin du travail n’hésite pas à le déclarer « inapte à tout poste dans l’entreprise ».
Charmant. Et très valorisant. « La procédure a été dévoyée, s’insurge un médecin du travail qui reconnaît user de plus en plus de cette solution. Nous nous retrouvons à servir de caution à des pratiques managériales violentes » explique- t-il. Si certains rechignent à jouer les alibis, ils expliquent toutefois que c’est aussi à la demande du salarié lui-même qu’ils sont amenés à prononcer une inaptitude. « C’est une façon de le protéger lorsqu’il sent qu’on veut le pousser à la démission » affirme Bernard Salengro, président du syndicat général des médecins du travail CFE CGC, puisque dans ce cas il pourra bien-sûr s’asseoir sur ses droits au chômage. Alors, statut aux petits oignons où tout le monde s’en sort bien ? Pas sûr. Le salarié qui se retrouve ainsi évincé peut faire une croix sur des indemnités négociées. Pour certains cadres, les sommes auxquelles ils pourraient prétendre sont loin d’être négligeables. De plus, s’entendre dire qu’on est inapte lorsqu’on sort d’une dépression suite à un harcèlement moral, est un peu dur à avaler. Pour un peu, il y en a que ça ferait replonger. Trop sensible, on vous dit.
Lire ou relire dans Bakchich :
Tout cela est loin de refléter la réalité, et dénote surtout une méconnaissance du fonctionnement des services de la médecine du travail et des entreprises.
Quand le médecin du travail relève une inaptitude, il le fait à partir de l’état de santé du patient et de son poste de travail, et surement pas en fonction d’une quelconque demande de l’entreprise.
Pour information, une entreprise n’a absolument aucun moyen de pression sur un médecin du travail, encore moins sur la CPAM. De plus, vu la complexité de la procédure (obligation de reclassement, délai d’1 mois maxi) et la fragilité de ce type de licenciement devant un conseil de prud’hommes, aucun employeur ayant un minimum de bon sens ne s’y risquerait.
Si le médecin du travail relève l’inaptitude, c’est soit parce que celle-ci est avérée, soit parce que le salarié le lui a demandé de manière très insistante afin de pouvoir quitter rapidement son emploi afin de bénéficier des assedics.
Enfin, je rappelle que concernant le licenciement d’un représentant du personnel, une inaptitude ne dispense pas l’employeur d’appliquer la procédure spécifique de licenciement de IRP liée à la fameuse la "protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun des salariés investis de fonctions représentatives".
Arrétons un peu de diaboliser en permanence les "méchants" employeurs.
L’aptitude (et l’inaptitude) médicale à un poste ou une activité de travail est une notion non clairement définie par le code du travail.
Dès lors, lorsque nous, médecins du travail, devons donner cet avis (nous sommes nombreux à penser que l’aptitude systématique ne sert à rien et nous fait perdre un temps précieux pour la prévention), nous le faisons en prenant en compte uniquement l’évolution de la santé du salarié dans son travail actuel.
Et même si nous subissons des pressions des employeurs, mais aussi des salariés (qu’une inaptitude peut arranger), nous tâchons de nous baser sur des arguments stricts de santé, car il s’agit de notre mission, hors de toute autre considération.
Insinuer dans un titre d’article que "la médecine du travail" (je dirais personnellement plutôt : "des médecins du travail") est complice, est un effet de manche pour attirer le lecteur, que je trouve insultant pour notre profession, qui n’a pas toujours des facilités pour travailler sereinement…
Signé : un médecin du travail en service interentreprises
Bonjour,
En effet, les salariés indésirables sont poussés vers l’inaptitude. Et tout particulièrement, les représentants du personnel et syndicalistes "déplaisants", peu enclins aux négociations biaisés, révoltés devant les abus et les atteintes quotidiennes aux droits collectifs et aux leurs propres.
Car, censés être protégés, ils sont pris au piège par cette protection ; et plus besoin de tenter de les licencier au risque d’être mal vu lorsque demandée l’autorisation de licenciement. Plus de mauvaises statistiques.
Leur état de santé devant les traitements multiples orchestrés pernicieusement se dégrade et l’on a beau jeu de faire valoir que "…vos mandats sont trop lourds…"
Et puis, vraiment l’imprévisibilité de vos plannings de mandats d’élu et de vos arrêts maladie, en plus, nous empêchent de vous "positionner" et de "vous vendre" à nos clients…. Vous aurez reconnu une société de services.
Et c’est plié. Partie pour dix ans de tribunaux. Et là, c’est à peine racontable. Je vous en fais grâce.
Bon courage à tous.
Titre provocateur pour une réalité moins manichéenne : l’inaptitude médicale est souvent prononcée à la demande du salarié, au grand soulagement du patron (parfois des syndicats qui ont un dossier de moins à instruire), toujours sur le dos de la collectivité.
De plus, commepour toute décision technique (aptitude médicale), qui débouche sur un acte administratif (le licenciement), il y a une double voie d’appel, d’abord sur le plan technique ’surexpertise médicale) puis sur le plan administratif ; ça fait beaucoup de comploteurs réunis non ?
RTL, COGHE ET LES PRUD’HOMMES Licencier un salarié en CDI depuis 17 ans, sans entretien préalable, sans visite médicale obligatoire, sans proposition de reclassement, sans déclaration aux ASSEDIC ? C’est pas possible… Ben si, c’est possible en France ! Cette jurisprudence est établie par le conseil de prud’hommes de Nîmes depuis le 1er avril 2004. Et ce n’est pas une blague, la décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Nîmes le 6 juillet 2006. Cette mésaventure a été vécue par le reporter radio Jean-Noël Coghe, qui était titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée chez RTL. Le journaliste raconte cet épisode (et d’autres) dans son livre Mésaventures d’un petit reporter en Nord, récemment publié aux éditions Les Lumières de Lille. Jean-Noël Coghe a été l’envoyé spécial permanent de RTL dans le Nord de la France entre 1978 et 1998, avec en moyenne 60 heures de travail par semaine et 50 000 kilomètres par an sur les routes… Un jour, le journaliste a été victime d’une poussée de tension : on comprend pourquoi ! La médecine du travail n’avait rien décelé. Et pour cause. En vingt ans d’activités, Jean-Noël Coghe n’a jamais passé de visite médicale obligatoire annuelle à la médecine du travail. C’est pourtant une obligation de l’employeur. Le journaliste épuisé est alors mis en arrêt de travail. Puis en 2000, comme l’avait suggéré RTL, cet arrêt de travail se mue en invalidité. RTL était désireuse à l’époque de se débarrasser d’un salarié de cinquante ans. La médecine du travail et la caisse primaire d’assurances maladie (CPAM) ont accepté. Pour le plus grand bénéfice de RTL. Jean-Noël Coghe est alors déclaré « inapte au travail ». Toujours sans visite, sans examen médical, sans proposition de reclassement. A l’époque, la situation sociale de Jean-Noël Coghe n’a guère ému la profession et encore moins les syndicats de journalistes où ce reporter n’était pas carté. Mais la mésaventure ne s’arrête pas là. En janvier 2001, le ministère de l’Emploi a décrété que le journaliste de RTL – un des plus présents à l’antenne – n’avait effectué au sein de la première radio de France qu’un simple travail ponctuel. Et qu’à ce titre, il n’avait pu bénéficier comme d’autres travailleurs précaires d’un contrat de régularisation… C’est du grand n’importe quoi. De plus, ces allégations constituent un « faux en écriture » concocté par l’inspection du travail du 8e arrondissement de Paris. Informés, preuves à l’appui, les ministres Aubry, Guigou, Fillon, Borloo (en couverture du livre) et Larcher n’ont pas donné suite aux requêtes de Jean-Noël Coghe. Ces ministres refusant de rectifier le tir, les Mésaventures d’un petit reporter en Nord tentent de l’ajuster… Mésaventures d’un petit reporter en Nord, publié aux éditions Les Lumières de Lille, est le dixième livre publié en dix ans par Jean-Noël Coghe. Selon la CPAM, ce journaliste est pourtant « inapte au travail » !
Info www.leslumieresdelille.com notélé http://www.notele.be/index.php ?option=com_content&task=view&id=4413&Itemid=31 http://www.notele.be/index.php ?option=com_content&task=view&id=4476&Itemid=88 contact Jean-Noël Coghe 06 10 80 60 99
Bibliographie d’un invalide du travail journalistique
Jimi Hendrix, (avec Moebius), Stardom, 1998 Jimi Hendrix, émotions électriques, dessins de Moebius, Le Castor Astral, 1999 Rory Gallagher, Rock and Road Blues, Le Castor Astral, 2000 Mercier Press, Irlande 2001, Edituro Nigredo, Roumanie 2007 Autant en emporte le rock, Le Castor Astral, 2001 Le Blues du reporter, Le Castor Astral, 2002 Eclats de blues, Nuit Myrtide, 2002 Bill Wyman, On Route 66, Noegan Press, 2003 Bill Wyman, Steady Rollin’Man, Le Castro Astral, 2004 Jimmy The Kid, James Dean secret, Hugo doc, 2007 Mésaventures d’un petit reporter en Nord, Lumières de Lille, 2008 Et c’est pas fini !