Yves Bertrand, ex tout-puissant patron des renseignements généraux, n’est pas sur le banc des prévenus. Il aurait pourtant beaucoup à raconter. Sera-t-il au tribunal à titre de témoin ce 12 octobre ?
Les deux juges d’instruction de l’affaire Clearstream, d’Huy et Pons, surnommés Zig et Puce, n’ont pas péché par excès de curiosité. À l’évidence, les vrais-faux listings de la banque de compensation luxembourgeoise, où figuraient, pour l’essentiel, les ennemis de la Chiraquie (dont l’actuel président de la République), ont été une incroyable usine à gaz qui a supposé relais et complicités dans l’appareil d’État.
Les sarkozystes voient dans cette machination la main des proches de Chirac, notamment d’un grand flic, Yves Bertrand, 65 ans, membre de sa garde rapprochée entre 2002 et 2007. Et ils n’ont probablement pas tort. Si Yves Bertrand n’est pas sur le banc des prévenus dans l’affaire des faux listings, il figure parmi les 20 témoins cités à comparaître. Et il avait affirmé qu’il se rendrait au tribunal, ce lundi 12 octobre.
Hélas, Zig et Puce ont préféré se cantonner à la responsabilité des seconds couteaux que sont Jean-Louis Gergorin, l’ancien vice-président d’EADS à l’imagination fertile, dont la mauvaise foi n’a jamais été prouvée ; Imad Lahoud, une girouette liée au clan Chirac (du moins jusqu’à ses dernières déclarations, d’abord publiées dans le livre de Frédéric Charpier, Une histoire de fous : le roman noir de l’affaire Clearstream, puis reprises par le JDD – sans doute sur commande, et qui désignent Dominique de Villepin comme chef du complot.
Plus proche du sergent Garcia que de Fouché, Yves Bertrand fut, de 1992 à 2004, le tout-puissant patron des renseignements généraux (RG), une police politique à la française héritée du cabinet noir de Louis XIV et fondée par Vichy. Tout fut bon, chez ce grognard de Chirac, pour déstabiliser et salir Sarkozy.
Passionnante est la lecture des fameux carnets d’Yves Bertrand qui, après la perquisition effectuée à son domicile, furent versés dans la procédure de l’affaire Clearstream. Et encore, les notes saisies s’arrêtent-elles miraculeusement le 26 mai 2003, lorsque la machination des vrais-faux listings se met en place. Ainsi, voit-on, à la date du 8 mai 2001, apparaître le nom de Lahoud, accompagné d’une rapide bio titrée : « Éléments écrits reçus de BH » – à savoir la commissaire Brigitte Henri, la protégée à l’époque d’Yves Bertrand. Et le patron des RG de préciser que Lahoud « peut être utilisé contre Jospin » !
En juin 2001, le commissaire Bertrand se passionne pour les finances de Ben Laden, un sujet qui, avant le 11 septembre 2001, n’intéresse guère les RG. Étrange hasard, Imad Lahoud, lui aussi, a fait de ces comptes secrets de Ben Laden son dossier préféré qu’il va chercher à vendre à tous les spécialistes du renseignement français. Yves Bertrand aurait-il été le premier ? Possible…
Officiellement, la commissaire Brigitte Henri n’est présentée à Imad Lahoud qu’en mars 2003. La légende veut que ce soit le journaliste Éric Merlen, lui aussi fidèle habitué du bureau du patron des RG, qui fasse les présentations. Interrogée par Zig et Puce, Brigitte Henri devait expliquer : « J’ai rendu compte de mes premières rencontres avec Imad Lahoud à partir du printemps 2003, jusqu’à cette ultime rencontre avec l’intéressé au début de 2004. » Questionné par les mêmes, Yves Bertrand botte en touche. « Faux… ». En privé, il expliquait benoîtement que son ancienne collaboratrice était « mythomane ». Que croyez-vous que firent les juges ? Une confrontation entre les deux protagonistes ? Et bien, pas du tout. L’instruction a été close sans que la piste ait été explorée.
Tout pourtant aurait dû porter à s’intéresser à Yves Bertrand : ses écrits et sa réputation ; ses liens avec Brigitte Henri, qui multiplie les rencontres avec Lahoud ; l’instrumentalisation, dès 2001 d’un magazine belge, L’Investigateur, très au fait des démêlés de Denis Robert avec la banque luxembourgeoise ; la proximité du même Bertrand avec l’un des journalistes du Point, hebdomadaire qui divulgue durant l’été 2004 le fameux listing ; et la similitude entre un des listings en décembre 2003 et la liste des prévenus de l’Angolagate, un dossier qu’Yves Bertrand suit heure par heure.
Plus redoutable et aujourd’hui absous était le préfet Philippe Massoni, à qui Bertrand rendait des comptes. Frustré en 2002 de ne pas avoir été nommé ministre délégué à la Sécurité auprès de Sarkozy, parce que ce dernier se méfiait de lui, l’ex-préfet de police s’était consolé en devenant, auprès de Chirac, l’homme des basses œuvres. Et il y fit merveille. Jamais d’Huy et Pons ne s’y sont intéressés, à l’exception d’un discret inter-rogatoire qui ne filtra jamais dans la presse. Il faut dire que Massoni, grand « franc mac » devant l’éternel, possède de bons amis au parquet de Paris et dans la presse !
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Les Grands Flics ne sont pas souvent ceux dont on parle le plus à la télévision et c’est plutôt bien de remettre un peu les pendules à l’heure : dans la Grande Maison Yves Bertrand est considéré beaucoup « plus proche du sergent Garcia que de Fouché ». Simplement, lorsqu’il était directeur central des RG, nommé par la Gauche, il a bénéficié de sa longue et obscure carrière antérieure à la sous direction du personnel de cette même direction : il avait participé à la nomination puis au suivi de carrière (promotions) de tous les fonctionnaires mis en place sur l’ensemble du territoire.
Il n’en va pas de même pour Massoni qui est objectivement reconnu par ses pairs et ses anciens subordonnés comme un très Grand Flic. Il sévissait déjà – et brillamment - sous Marcelin.