Le groupe Total et son PDG Thierry Desmarets sont mis hors de cause dans l’explosion de l’usine AZF, le 21 septembre 2001. L’ancien directeur est relaxé. Retour sur la manip’ de la piste terroriste.
Le tribunal correctionnel de Toulouse a jugé irrecevable jeudi 19 novembre la citation directe visant le groupe Total -maison mère d’AZF- et son ancien PDG Thierry Desmarest, dans le cadre du procès de l’explosion de l’usine AZF, le 21 septembre 2001 à Toulouse. L’explosion avait fait 31 morts et des milliers de blessés.
Thomas Le Monnyer, le président du tribunal, a déclaré que "la société Total et Thierry Desmarest seront purement et simplement mis hors de cause". Concrètement, ils ne sont pas jugés.
Le tribunal a en outre ordonné la relaxe de l’ancien directeur de l’usine AZF, Serge Biechlin, et de la filiale de Total Grande Paroisse, propriétaire de l’usine, tout en dénonçant des « fautes organisationnelles » au sein du site.
L’explosion des 300 tonnes de nitrate d’ammonium avait fait 31 morts, quelque 20 000 dommages corporels et 71 000 dommages matériels pour lesquels Total a déjà versé 2 milliards d’euros d’indemnités.
Pour démontrer que l’explosion d’Azf était un acte terroriste et le Procureur Breard un corrompu, l’ancien patron des RG tenta, début 2003, d’instrumentaliser un journaliste du « Canard Enchainé », Nicolas Beau, désormais directeur de « Bakchich ». Récit.
Le 21 septembre, l’explosion d’AZF fait une trentaine de morts et des centaines de blessés. Nous sommes dix jours après le 11 septembre. S’agit il d’un accident ? Ou d’un acte terroriste ? L’opinion est inquiète. Le gouvernement Jospin est sur le grill. Si le drame de Toulouse est du à un groupe intégriste violent, il sera facile pour Jacques Chirac de prouver, lors de la campagne présidentielle qui s’annonce, que le bilan de son concurrent est calamiteux en matière de sécurité.
Dès le 24 septembre, le Procureur de Toulouse, Michel Breard, marqué à gauche, écarte fermement la thèse de l’acte terroriste. Trois jours pour arriver à de telles certitudes, c’est un peu rapide, même si la PJ sur place est vite convaincue de l’hypothèse d’un accident. Incontestablement, le gouvernement Jospin ne veut pas laisser Chirac utiliser le drame d’AZF à des fins électorales.
Le patron des RG de l’époque, le chiraquien Yves Bertrand, se doit de réagir, et vite. Il lui faut utiliser les nombreux relais qu’il possède dans la presse pour imposer la thèse d’un attentat terroriste. N’est-il pas celui qui, pour le compte de Chirac, va inventer, avant 2002, toutes sortes de coups tordus contre Lionel Jospin (révélations sur son passé trotskiste, calomnies sur les conditions d’achat de la maison du Premier ministre à l’île de Ré) ? Pas question, cette fois, de laisser passer l’occasion.
Et le patron des RG va faire fort. L’auteur de ces lignes, à l’époque journaliste au Canard, peut témoigner qu’Yves Bertrand va tenter de lui expliquer, notes à l’appui, que le Procureur Breard était un grand corrompu et qu’il fallait le pendre sur la place publique.
Quelques jours après l’explosion, Yves Bertrand note dans ses fameux carnets, dont maitre Agnès Casero, partie civile depuis lundi au procès de Toulouse, demande le versement dans la procédure : « affaire va monter en puissance, 1 maghrébin, 5 slips, groupe isl ». La religion,sinon la conviction, du patron des RG d’alors est faite ; il s’agit de terrorisme.
Certains journaux amis, le Figaro et Valeurs Actuelles notamment, vont relayer les thèses des RG. A lui seul, Valeurs Actuelles, dont le directeur délégué de la rédaction, Eric Branca, est un intime et la plume d’Yves Bertrand, revient trente fois, en deux ans, sur l’enquête. Une belle conscience professionnelle ! Quatre fois, durant la même période, Yves Bertrand reçoit la journaliste de l’Express qui suit le dossier AZF.
A chaque rencontre, Yves Bertrand exhibe une note des RG du 3 octobre 2001, mettant en cause un malheureux musulman, présent sur les lieux ce jour là et qui portait cinq slips, ou selon une autre version, trois slips et deux pantalons, allez savoir. Or, plaide Yves Bertrand face à ses amis journalistes, les fous d’Allah, lors de leurs attentats meurtriers, portent eux aussi de telles tenues ! La démonstration est imparable.
Pour être complet, ajoutons qu’Yves Bertrand n’est pas le seul à défendre, au sein de l’appareil d’Etat, la thèse de l’attentat. Roger Marion, patron à l’époque de l’anti terrorisme, et Yves Bot, Procureur de Paris, sont eux aussi plutôt enclins à défendre l’hypothèse d’un acte malveillant. Voici une piste, remarquons au passage, qui ne dessert pas les intérêts du groupe Total, qui se serait vu dédouané de ses responsabilités, si la justice avait retenu l’explication terroriste.
Tel n’a pas été le cas. À l’époque, compte tenu du dossier, la Chancellerie et le parquet anti terroriste soutiennent le travail du Procurer de Toulouse et de la PJ locale. Ils s’opposent à ce que l’enquête soit rapatriée à Paris au pôle anti terroriste.
Hélas pour Yves bertrand, Valeurs Actuelles et le Figaro sont condamnés, début 2003, pour leurs écrits sur AZF. Le patron des RG pique une colère. C’est alors qu’il décroche son téléphone et appelle l’auteur de ces lignes, alors journaliste au Canard Enchainé.
Yves Bertrand, je le connaissais. Je l’avais rencontré, plusieurs fois, durant l’année 2001, alors que je préparais un livre La Maison Pasqua. Yves Bertrand n’avait pas son pareil pour accueillir le visiteur autour d’un bon whisky, dans son bureau de la rue des Saussaies, protégé par une double porte capitonnée. Souvent drôle, toujours truculent, plus proche du sergent Garcia que de Talleyrand, Yves Bertrand était d’une compagnie agréable.
Chiraquien pur jus, Yves Bertrand cherchait à écarter tous les concurrents possibles de Jacques Chirac. Tout naturellement, mon projet de livre allait dans son sens et il ne se privait pas de me dire tout le mal qu’il pensait des amis de Pasqua dans les casinos de la République.
Cette fois, l’affaire est d’un autre ordre. Il ne s’agit plus de contacts normaux entre une source et un journaliste, mais d’une tentative grave de manipulation.
Un premier rendez vous a lieu entre Yves Bertrand et moi, le 23 janvier à 16 heures 30.
« Monsieur Beau, vous êtes vous intéressé à monsieur Breard, le Procureur de Toulouse » ?
« Non, pas vraiment ! »
« Vous devriez. Vous devriez regarder ce qu’il a fait, alors qu’il était secrétaire général de l’Ordre de la Légion d’honneur entre 1988 et 1993. Le système informatique a été entièrement refait et la facture très, mais très, très lourde. Vous me suivez ? Cela vous intéresse ? »
Un deuxième rendez vous est pris pour le lundi 27 janvier, au matin. Le patron des RG m’a promis de m’apporter une note résumant les frasques du Procureur.
Le lundi matin, j’effectue donc une nouvelle visite chez Yves Bertrand. Il me tend une de ses célèbres notes blanches, non signées, où sont évoquées, de façon vague et sans preuve aucune, les frasques supposées du Procureur. Je fais un peu la moue, naturellement ! Et mon interlocuteur n’a pas l’air content. « Mais c’est du lourd quand même ! » Cette note était surtout diffamatoire et le Canard, naturellement, n’en a rien fait.
Ce qui est amusant, c’est que plus tard, un mystérieux groupe AZF démontra qu’il était facile de saboter les lignes de TGV. L’affaire fut menée de façon très professionnelle, aucun attentat n’eut lieu, mais les préparatifs fort bien agencés. Le message, largement médiatisé, était clair. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Nicolas sarkozy, n’assurait pas la sécurité des trains TGV. Un refrain connu ? Certains soupçonnent de sombres cabinets noirs proches de Chirac d’avoir inventé le groupe AZF pour embêter Sarkozy.
Mais certains voient le mal partout !
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