Clearstream, ou l’apocalypse selon Villepin

Les surnoms ont fleuri depuis le début de l’affaire Clearstream. D’Imad « Imala » Lahoud, présumé bidouilleur des fichiers, à Jean-Louis « Corbeau » Gergorin, en passant par Philippe « OSS 117 » Rondot. Des sobriquets un tantinet ridicules, la palme revenant aux juges d’Huy et Pons en charge de l’affaire, appelés « Zig et Puce ». Assez vexant en somme, surtout à propos d’une carambouille qui a atteint les plus hauts sommets de l’Etat.

Et pourtant, à Matignon, ce n’est pas faute d’avoir essayé d’élever cette histoire, portée par leurs soins sur les fonds baptismaux, vers les cîmes du lyrisme. Car le cabinet du Premier ministre, et ses habitués, n’a jamais manqué de bellâtres esprits. Au premier rang desquels le sieur Dominique, poète pompeux à ses heures. Et le vaillant homme a donné le « la ».

Baptisé Néron par Bernadette Chirac depuis la dissolution de 97 qu’il a conseillé à Chirac, le natif de Casa s’est approprié le glorieux nom de l’empereur romain. À défaut d’en embrasser totalement le destin. En visite à Rome en 2003, quand le gentilhomme du pape Jean Paul II, le baron Copa Solari, lui montre une fresque représentant Néron, le si brave Dominique s’exclame selon la légende : « Vous savez que Bernadette me surnomme Néron depuis la dissolution, maintenant je pourrai dire que j’ai le pape avec moi ». Ah le bel esprit et le beau thème, « Néron », imperator pyromane et persécuteur, tout un destin…et cité dans la Bible. L’Apocalypse de Jean, précisément rédigée sous son règne et qui le désigne explicitement.

Enchanté, son fidèle Bruno Lemaire, successivement conseiller politique puis directeur de cabinet embraye. Bien le moins pour un agrégé de lettres, fan de Proust et d’un auteur essentiel à la compréhension de Clearstream, Kafka. En avant pour l’Apocalypse.

Reste à trouver les figurants. Heureusement, le petit enquêteur de Villepin, le général Rondot, leur prête assistance. Et réalise un louable effort syncrétique, du haut de son orientalisme revendiqué. Le sémillant Philippe mâtine d’islam la révélation chrétienne. Et en appelle au Mahdi, l’imam caché qui doit précéder l’arrivée du messie et l’aider à sauver le monde du mal. Charmante mission et fastueux nom dont hérite fort vite l’ami Lahoud, bidouilleur présumé des listings…

O bonheur, ainsi lancée, leur oeuvre s’est mise à vivre seule. Et à se développer. Au gré de l’instruction des juges et des révélations de la presse sont apparus de nouveaux personnages. Les maîtres du jugement dernier, d’Huy et Pons, juges d’instruction de leur état. Et bien entendu Satan, qui, entre les lèvres du cabinet de Villepin, est devenu Hervé Gattegno. Le fort humble Hervé, alors journaliste du Monde, a été si bien alimenté qu’il délivra en flux continu les pièces de l’instruction chargeant Matignon.

Ne manque plus à cet apocryphe, qu’une chute. L’arrivée d’un messie, le jugement dernier et le combat contre l’Antechrist. Que c’est beau une histoire qui s’écrit sous nos yeux…