Palais de Justice de Paris, 12 octobre, 10e jour d’audience. Entrée des époux Piloguet, belle-famille de Villepin.
Nous y voilà. Confrontés aux époux Piloquet, monsieur et madame la belle-sœur et le beau-frère de Dominique de Villepin. Delphine Piloquet, 40 ans, s’avance la première et attaque sec : « Je suis là parce que Monsieur Lahoud a déclaré devant ce tribunal que j’aurais été l’intermédiaire entre lui et Dominique de Villepin. J’affirme que c’est un pur mensonge ».
Petit retour en arrière. Lors de la première semaine d’audience, Imad Lahoud, falsificateur présumé des listings, lance une petite bombe. Non, non, non, il n’a finalement jamais rencontré Nicolas Sarkozy comme il l’a pourtant toujours affirmé. Par contre, il a eu le privilège d’un face à face avec M. de Villepin « courant 2005 ». Cela ce serait passé chez Delphine Piloquet, sa bien aimable voisine. Car c’est un autre hasard dans cette affaire : la belle-sœur d’un des prévenus est la proche voisine d’un autre. On nage en plein Vaudeville. Villepin, lui, n’aurait rien su de ce lien de voisinage, les époux Piloquet n’ayant « pas fait le rapport » entre leur beau-frère et ce très curieux voisin.
« Curieux » est un gentil euphémisme. La dernière visite d’Imad Lahoud chez les Piloquet ? « Ce devait être en février ou mars 2007, répond Mme, qui qualifie d’emblée cette visite de « bizarre » : « C’était un après-midi, j’étais seule à mon domicile où je travaille. À l’interphone, M. Lahoud m’a dit être suivi. Il est arrivé, essoufflé, et portait avec lui une grande perche pour s’assurer, disait-il, de l’absence de micro à mon domicile. Il m’a dit : “J’ai rencontré deux fois Nicolas Sarkozy” et m’a demandé de le répéter : “Répète, répète”. J’ai donc répété. Puis il est reparti aussi sec. C’était très étrange, j’avais l’impression d’être dans un James Bond ». Quelques minutes plus tard, la même Delphine Piloquet reçoit un appel téléphonique de Mme Lahoud, qui lui demande : « Il paraît que tu as rencontré Imad à la Fnac ? »
À en croire ce témoignage, point de rencontre arrangée entre Villepin et Lahoud chez les Piloquet. À la place, une visite impromptue et pour le moins baroque d’un voisin à l’espionnite aiguë. Michel Piloquet, le mari de Delphine, a lui aussi une excentrique anecdote à raconter : « En février 2004, Imad Lahoud me demande d’embaucher une jeune stagiaire, Anne Casanova, pour un mois ». Dix jours après la prise de fonction de la jeune femme, M.Piloquet surprend Imad Lahoud dans son propre bureau, devant son ordinateur, une clef USB à la main : « Quand je lui demande de partir, M.Lahoud retourne habilement la situation, me disant qu’il se trouvait dans le quartier lorsque Anne Casanova l’a appelé pour un problème informatique ». Gentleman, Lahoud aurait alors accouru pour seconder la stagiaire sur un programme Excel. Michel Piloquet juge cette explication « peu vraisemblable » et analyse : « Lahoud cherchait peut-être à installer un cheval de Troie dans mon ordinateur pour y accéder à distance. C’est aussi l’époque où il m’a plusieurs fois demandé de lui prêter de l’argent. Avec le recul, je me dis que cet échange d’argent aurait pu lui être bénéfique ». En clair, qu’un lien informatique et financier aurait ainsi été établi entre les listings falsifiés et un proche de Dominique de Villepin.
« Menteur », « bonimenteur », « escroc sympathique » : encore un concert de louanges sur la capacité d’Imad Lahoud à arranger la vérité. Celui-ci se lève, sans un regard pour ses voisins accusateurs. Qu’a-t-il à dire concernant cette intrusion au sein de la société de M.Piloquet ? « Cet incident n’a jamais eu lieu, jamais, jamais, jamais », tonne-t-il. Et concernant les affirmations de Madame ? « Je maintiens avoir rencontré M. de Villepin par son intermédiaire ». Et Lahoud de se rasseoir.
Interrogé à son tour, l’ancien patron des Renseignements généraux, Yves Bertrand, entame le même refrain de ce procès : Lahoud, menteur. L’ex N°1 des RG rejette ainsi en bloc la version de l’ex-trader disant qu’il aurait ajouté le nom de Nicolas Sarkozy dans son propre bureau : « C’est une fable totale, je ne l’ai jamais rencontré, ni dans mon bureau, ni ailleurs ». Le retraité des RG se fait pragmatique : « S’il est venu dans mon bureau, qu’il le décrive ! » Lahoud, imperturbable : « On est rentré par la rue des Saussaies ». Le Président, perspicace : « Quel étage ? » Lahoud, coincé : « Je ne sais plus, mais c’était dans les étages. Nous y avons été ensembles, avec Jean-Louis Gergorin, ». Yves Bertrand, railleur : « Je n’ai jamais rencontré Jean-Louis Gergorin non plus ! » Et d’ajouter, moralisateur, à l’intention du tribunal : « Il faut toujours faire attention aux affabulateurs et aux mythomanes, ils sont capables de vous envoyer dans les prétoires… Et je pèse mes mots ».
Pour relire les précédentes cartes postales du procès :
Témoignage décisif, le tournant du procès, dans un sens ou dans l’autre :
Si les époux mentent, il s’agit bien d’une manipulation de Villepin contre Sarkozy par Lahoud interposé.
S’ils disent la vérité, alors c’est une manipulation de Sarkozy contre Villepin par lahoud interposé.
Et il semble bien qu’ils donnent beaucoup d’éléments vérifiables (ou infirmables) facilement : la stagiaire, les collaborateurs, les voisins des voisins, etc.