C’est ce lundi que s’ouvre, avec tambours et trompettes, le procès de l’affaire Clearstream. Des industriels, des politiques, des agents secrets et une grosse manipulation. De quoi ne pas y voir clair. Bakchich fait le point.
Par la bouche de Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, Nicolas Sarkozy reconnaît qu’il n’a sur l’origine de la « machination » de l’affaire dite Clearstream aucune « certitude » ajoutant toutefois qu’il avait bien entendu des « idées ». Ainsi le Président de la République lui-même admet à demi-mots qu’au terme de cinq années d’enquête, disposant d’un luxe de moyens et qui aura mobilisé à plein temps deux juges, un membre du parquet et une escouade d’experts et de policiers, l’instruction n’apporte finalement aucune certitude. Nous partageons cet avis. Alors que s’ouvre le procès de « l’affaire », l’instruction n’est pas parvenue en effet à démêler le vrai du faux. Malgré l’épaisseur du dossier qui comporte pas moins de 50 volumes, soit plus de 50000 pages de procédures diverses, elle ne livre pour ainsi dire que des hypothèses.
L’on pourrait à juste titre s’en étonner tant la vulgate initiale paraissait simple et évidente et faisait du procès une simple formalité. L’intrigue se résumait ainsi en quelques lignes : le vice-président d’EADS, Jean-Louis Gergorin, serait le maître d’œuvre d’un montage destiné à compromettre ses adversaires du monde de l’aéronautique et de l’armement et en aurait confié l’exécution technique à l’ex-trader Imad Lahoud, un de ses protégés qu’il aurait recruté pour la circonstance. Sur ses ordres, ce dernier aurait alors confectionné des listings de comptes bancaires, falsifiés à partir de vrais documents de la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream.
Ces comptes trafiqués auraient irrigué par de l’argent sale un réseau de corruption où s’entremêlent des mafieux russes, l’ancien patron de Thomson CSF, le numéro deux d’Airbus, des membres des services secrets et toute une théorie de comparses plus ou moins insolites. Jean-Louis Gergorin y aurait ensuite impliqué Nicolas Sarkozy avec la bénédiction si ce n’est l’encouragement de Dominique de Villepin. En connaissance de cause, sachant pertinemment qu’il s’agissait de faux listings, les deux hommes auraient convenu de transmettre la forgerie à la justice avant d’exploiter sa publication dans la presse, l’un et l’autre y trouvant leur compte. Jean-Louis Gergorin se débarrassait de ses concurrents au sein d’EADS et Dominique de Villepin terrassait un rival. D’une pierre deux coups. Or il y a loin de la coupe aux lèvres.
L’instruction ne fournit en fait aucune preuve irréfutable qui validerait ce scénario. Elle n’apporte aucune certitude quant à la question centrale et la seule que pose aujourd’hui la justice sur le caractère présumé intentionnel de la dénonciation. Car rappelons-le l’on ne reproche rien d’autre à Jean-Louis Gergorin et Dominique de Villepin que d’avoir sciemment transmis ou fait transmettre à un juge d’instruction, des listings qu’ils savaient trafiqués. Or l’accusation n’a pas établi qu’ils aient commandité la fabrication de ce chimérique réseau de corruption dans le but de solder des comptes personnels. Autrement dit rien n’infirme que, sans doute agréablement surpris de ses découvertes, ils n’aient pu être les dupes du faussaire, en l’occurrence d’Imad Lahoud. Hormis un laborieux et enivrant jus de crâne et des « preuves » alambiquées qui ne résistent pas à un examen critique, rien ne vient étayer solidement ces allégations. Voilà qui suscite un étonnement légitime. Mais les faits sont têtus : Sur les points essentiels il n’existe en effet aucune certitude et le dossier ne formule que des hypothèses.
Ainsi, après cinq années d’enquête, l’instruction cerne également avec difficulté les circonstances précises dans lesquelles est apparu sur les faux listings le nom de Nicolas Sarkozy, ou plus exactement ceux de « Paul Nagy » et « Stéphane de Bocsa ». Il s’agit là pourtant d’un point crucial de l’affaire. Qui, pourquoi, quand et comment ? s’interrogeait Nicolas Sarkozy en 2006 après avoir été entendu par les juges. Il aura fallu attendre décembre 2008 que l’instruction soit close pour qu’Imad Lahoud entendu dans le cadre d’une autre affaire d’escroquerie s’accuse, alors que jusque là il niait avoir falsifié le moindre fichier. Il avoue que, contraint et sous la menace, il a lui-même injecté ces deux noms et précise qu’il a effectué cette besogne, en février ou en mars 2004, au ministère de l’Intérieur dans le bureau d’Yves Bertrand, l’ex patron des RG, un protégé de Villepin, en compagnie de Jean-Louis Gergorin.
Que vaut cet aveu tardif qui pour certains a l’avantage de combler providentiellement l’une des plus gigantesques lacunes de l’instruction ? Si l’on veut bien croire qu’il a lui-même trafiqué les listings en y ajoutant les noms de Paul Nagy et Stéphane de Bocsa, l’invraisemblance si ce n’est l’énormité du scénario qu’il avance - que rien ne corrobore, ni preuve ni témoignage - laisse pour le moins perplexe. D’autant qu’il ne cadre pas avec l’expertise informatique qui, à la rubrique « propriété Excel » du fichier incriminé et retrouvé sur le propre ordinateur de Lahoud, mentionne : « date de création 15 août 2003 » et « dernier enregistrement 29 janvier 2004 ». Enfin si on s’en tient au dossier on peut raisonnablement douter de la crédibilité de l’ex-trader décrit au fil des pages comme un personnage à l’imagination pour le moins fertile. A simple titre d’exemple, l’on découvre qu’Imad Lahoud a réussi, avant même de passer sous les fourches caudines de Jean-Louis Gergorin, à convaincre la DGSE et le général Rondot, que certains considèrent comme un « maître espion », qu’il avait eu plusieurs contacts directs et personnels avec Oussama Ben Laden, dont le dernier se situerait en mars 2001, quelques mois à peine avant le 11 septembre.
Avec le même aplomb, il affirme qu’il connaissait les dessous de ses réseaux de financement occultes qu’il aurait d’ailleurs lui-même contribués à mettre sur pied avant que Ben Laden ne lui confie, en toute confiance, la réalisation d’un audit de ses finances à une époque où les services spéciaux du monde entier sont déjà accrochés aux basques du futur ennemi public numéro 1 du monde occidental. Durant des mois, la DGSE qui l’a cru et recruté sur les conseils du général Rondot puis jusqu’en juin 2004 le général Rondot en solo mais avec l’aval de Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, ont tenté en vain d’exploiter les « renseignements » que leur fournit Imad Lahoud avant de tirer, les uns après les autres, de guerre lasse, un trait sur les tuyaux percés qu’il leur livrait.
Ce seul épisode inviterait à une sage et prudente réserve quant à la crédibilité d’Imad Lahoud d’autant que, dans ses réquisitions, le parquet dresse une liste longue et non exhaustive de ses « mensonges » et revirements successifs. A défaut de preuves solidement établies et de « certitude » la justice devra-t-elle se prononcer sur de simples hypothèses voire quelques « idées » personnelles » dont celles de l’actuel président de la République ? Faudra-t-il croire ceux qui disent avoir été bernés par Lahoud ou Lahoud qui affirme qu’il a été le simple instrument d’une obscure machination ?
Lire ou relire dans Bakchich :
On voudrait savoir si OUI ou NON la banque (ou chambre de compensation) CLEARSTREAM a blanchi de l’argent, c’est là tout le fond du sujet, non ?
Les faux listings, s’ils sont faux, ne représente pas d’intérêt dans ce qu’ils ont de faux mais pour ce qu’il y a de vrai.
Allez-y, investiguez et éclairez-nous sur le "trou noir" de la finance mondiale !!!
Merci amis journalistes :-)
Monsieur Charpier,
La vraie question est : à quoi devait servir ce faux listing ?
J’ai lu vos deux excellents livres Génération occident et Nicolas Sarkozy : Enquête sur un homme de pouvoir, et je lirai avec plaisir votre nouveau livre sur l’affaire Clearstream.
Dans le livre Nicolas Sarkozy enquête sur un homme de pouvoir, vous avancez la thèse d’un complot pour déstabiliser ou renforcer, EADS après la mort suspecte du père Lagardère.
Cette thèse semble plus plausible qu’un complot ourdi spécialement contre la "vierge" sarkozy, qui a traîné ses savates dans les pires réseaux de la chiraquie, des pasquiens, des balladuriens depuis le berceau.
Sarkozy a tellement pollué médiatiquement cette affaire par l’intermédiaire de "ses sbires", en se l’appropriant qu’on a perdu le fil sur la véritable raison de ce listing.
Les chiraquiens doivent connaître de vraies affaires mouillant sarkozy même si il a appris à ne pas laisser de trace dans les pots où il a trempé "ses petites "mains, pour en inventer une spécialement pour" sa petite "personne…