Le règlement de comptes qui a coûté la vie à un adolescent le 19 novembre a remis à la une les quartiers nord de Marseille. Derrière le ramdam médiatico-politique, une réalité : l’État a délaissé les cités de la ville.
Le mistral médiatique est retombé. Aujourd’hui, en une des quotidiens provençaux s’affiche le scandale des marchés publics, qui touche au coeur de la politique marseillaise. Les descentes quasi quotidiennes de flics dans les cités de la ville sont désormais reléguées en pages intérieures.
Retour à l’ombre pour les quartiers et leurs cités, incrustés dans l’agglomération mais toujours tenus en lisière. Le 19 novembre, un jeune de 16 ans était abattu et un minot de 11 ans était blessé par des rafales de kalachnikov, dans un règlement de comptes au Clos-la-Rose. Suffisant pour que Brice Hortefeux vienne humer l’air de la Canebière, le 21. Et s’empresse de déclarer la guerre aux trafiquants et aux bandes qui tiennent les cités à l’arme lourde. Prudent – en vertu de sa condamnation pour injure raciste ? –, le ministre de l’Intérieur ne s’est pas risqué à parler de racaille ou de Kärcher. Pas même un « sauvageon » à l’horizon. Le verbe est presque mesuré. Peut-être un accès de lucidité : à Marseille, la situation n’est pas près d’être maîtrisée.
Font-Vert, Clos-la-Rose, Frais-Vallon. Barres HLM des XIIIe et XIVe arrondissements marseillais. Les quartiers nord, les plus éloignés du centre. Autant de cités dont les caves ont livré un peu de leurs secrets aux flics. Soixante kilos de hachisch, quelques répliques de kalachnikovs et de fusils d’assaut, une dizaine d’arrestations en trois opérations. Assez pour communiquer et organiser des conférences de presse autour du contrôleur général Roland Gauze et du procureur Jacques Dallest. Voire pour Hugues Parant, le nouveau préfet, d’annoncer le butin le 20 décembre, après un mois d’opération Brennus : 44 armes (blanches et à feu) saisies, toujours 60 kilos de drogues. Pas assez pour parader. Ni pour convaincre de l’efficacité des méthodes policières.
Entre les descentes médiatisées, une opération est passée inaperçue. À Air- Bel, l’une des plus grandes cités de la ville et carrefour supposé de la drogue. Là, des centaines de policiers, des CRS débarqués de Paris avec le ministre, ont participé à une intervention musclée, le 25 novembre. Les accès au quartier ont été bouchés. Résultat ? Quelques armes blanches saisies et le fruit de menus larcins retrouvé. Pas de quoi pavoiser. « Au moment de partir, reste dans la bouche un goût amer, décrit l’un des policiers en action ce matin-là. On a vu un jeune en scooter se garer à l’entrée de la cité. Un guetteur. » Ou plutôt un « chouffeur ». Des jeunes de 8 à 12 ans chargés de surveiller les allées et venues, histoire d’alerter le « charbonneux », un peu plus âgé, entre 16 et 22 ans, qui deale.
Un plan drogue par cité, un revendeur par pied d’immeuble, des cités qui débordent sur d’autres. Et des luttes de territoire qui provoquent des flingages. Mécanisme connu. Violent. « Ce sont des furieux, ils tirent à la volée. Mais la façon dont ils ont procédé lors du mitraillage de la Rose montre une évolution, décrit un limier. Voitures brûlées avec les armes, loin des lieux du crime ou d’une cité voisine. On n’est pas dans le petit caïd de cité mais dans des bandes organisées, avec, sans doute, des contacts dans le milieu traditionnel. » Et un appétit féroce.
Un pied d’immeuble peut rapporter jusqu’à 10 000 euros jour ; les plus gros centres, de 30 000 à 40 000 euros. L’argent circule à ciel ouvert. « En faisant du porte à porte, se remémore un élu, j’ai croisé des dealers. Liasses à la main. Ils ne se sont même pas arrêtés pour moi mais m’ont salué. Ils ne se cachent même pas. » Et le souvenir de certaines scènes de ressurgir. Comme celui de cette soirée où l’équipe du Castelas fêtait son premier million d’euros en réalisant une fontaine de champagne. Légende urbaine ? À Marseille, l’exagération compte autant que l’histoire…
Dans les rangs policiers, les novices, étrangers à la ville, s’étonnent de « ces gamins qui revendent sans même prendre de précautions ». Et restent effarés par les chiffres de délinquance urbaine en ces zones. Racket, braquage de commerçants. Mais peu de voitures brûlées, de poubelles incendiées. Ici, aucun comité d’accueil musclé, comme ceux de la banlieue parisienne, n’a attendu les descentes policières. « Ces voyous veulent faire du business. Ils ne sont pas dans une logique d’affrontement et veulent que la police se tienne loin d’eux. Alors, les cités sont généralement calmes… »
Au moins en apparence. Et quand s’enflamment les quartiers chauds de Paris, Toulouse ou Lyon, « Gaudin peut citer en exemple Marseille, ville cosmopolite où les cités sont intégrées, peste un des ténors de la droite. Mais la réalité est en train de rattraper le mythe. Les quartiers sont à l’abandon, ce n’est plus la République. Si les opérations coup de poing sont nécessaires, c’est sur la durée qu’il faut bosser pour démanteler des réseaux. »
Dans les XIIIe et XIVe arrondissements, quinze policiers nationaux gèrent les tourments de 170 000 habitants. Avec une seule voiture en état de service. Le secteur concentre pourtant les stupéfiantes cités. « Franchement, on en vient à se demander s’il n’y a pas une volonté politique depuis des années de laisser les voyous gérer, en échange d’une certaine tranquillité », s’étonne une éminence de la classe politique. À qui la situation a échappé. « L’avenir dans les quartiers se résume à un choix. La misère ou les emplois aidés ! L’État a laissé le terrain, d’autre l’ont pris », résume un militant associatif qui oeuvre depuis trente ans dans les cités. Qui interroge. « D’où viennent les armes de guerre ? Qui consomme la drogue ? Pourquoi les politiques ne réagissent- ils que maintenant ? Cela fait des années que la drogue et les armes sont là ! »
Et des légendes de ressortir. Comme ces policiers qui traquaient les salafistes dans le pourtour marseillais et qui avaient découvert un réseau de stups. Sur lequel ordre avait été donné de ne pas bouger… Les cités des quartiers sud, tout aussi stupéfiantes, n’ont pas été encore visées par les flics. De peur d’y serrer la jeunesse dorée de la ville qui s’y fournit ? L’OM n’est peut-être pas le seul opium du peuple marseillais.
La police judiciaire marseillaise l’a mauvaise. Pointée pour sa « porosité » avec le milieu, chargée de jouer les « voitures-balais » dans l’enquête sur les parrains Barresi-Campanella, doublée par les gendarmes dans l’affaire des marchés publics truqués… trop c’est trop. Sans parler de la dizaine de flics auditionnés pour des contacts supposés coupables avec la pègre. Puis vint ce coup de pression. Retrouver à tout prix les auteurs du mitraillage du Clos-la-Rose. Pour lutter contre la drogue dans les cités, les stups comptent 50 ouailles. « On nous dit qu’il faut investir les cités, mais on ne nous en donne ni les moyens ni les missions, confie un ancien. L’histoire de Marseille nous pousse plus vers le trafic international que vers les cités. » Si c’est culturel… ✹ X. M.
Un guetteur. » Ou plutôt un « chouffeur »
C’est assez stigmatisant comme terme … (chouff veut dire regarder en arabe)
Eux ont le droit de l’utiliser, pas vous.
Si Brice utilisait ce terme, il serait immédiatement mis au pilori en page d’accueil ….