Avant son discours, jeudi, sur la réforme du statut des enseignants-chercheurs, retour sur une rentrée dense pour une ministre née chiraquienne, épanouie en Sarkozie.
Du pain sur la planche, donc. Surtout quant la morosité ambiante pourrait déboucher sur des manifestations d’étudiants. « Il y a un mécontentement diffus dans la jeunesse qui va bien au-delà des seuls lycéens », analyse Jean-Baptiste Prévost, président du syndicat étudiant Unef. Le 5 janvier, trois présidents d’universités, Lionel Collet (Lyon), Simone Bonnafous (Paris), Jacques Fontanille (Limoges), en leur qualité de représentants de la CPU (Conférence des présidents d’université), ont rendu publique une lettre adressée à Nicolas Sarkozy. Dans ce courrier, ils font eux-aussi part d’un « malaise grandissant » et de « mécontentements accumulés ».
À ce constat d’ordre général, deux mesures de Valérie Pécresse suscitent l’inquiétude de la communauté universitaire. Primo, la modification, comme corollaire de la loi sur l’autonomie des universités, du décret de 1984 sur le statut des enseignants-chercheurs, avec pour nouvelle règle que « l’enseignant-chercheur qui cherche peu enseigne plus ». Deuxio : la réforme de la formation des maîtres avec un niveau de qualification fixé désormais à Bac+5. Un dossier très sensible qui est toujours en cours d’examen, d’autant plus qu’il est à cheval sur les ministères de Valérie Pécresse et de Xavier Darcos.
Ce même 5 janvier, 13 autres universitaires ont fait paraître une tribune dans Le Monde – « Université : pas de normalisation par le bas » - dans laquelle ils dénoncent « une logique de défiance à l’égard des universitaires ». De quoi annoncer un printemps agité… « Quand le climat social se tend, les universités bougent, c’est classique », analyse calmement la ministre dans son bureau du centre de Paris. Pour déminer le terrain, Pécresse a quand même modifié la formulation du décret de 1984. Manière de « lever les ambiguïtés », précise son entourage. Ou d’acheter la paix sociale ? Il y a peu, le ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, avait dû reculer sur la réforme du lycée… alors mieux vaut prévenir que guérir ! Surtout en ces temps de remaniement.
Interrogée par Bakchich, Valérie Pécresse revient sur les premières manifestations qu’elles a connues, il y a un an : « L’automne 2007 a été tendu, avec l’adoption de la loi LRU. Quand les CRS et les étudiants se font face, en tant que ministre, c’est une situation très compliquée à gérer ». Sans artifice, Pécresse ajoute : « Vous vous dites : pourvu qu’il n’y ait pas de blessé. Je pense que j’avais sous-estimé qu’occuper ce ministère, c’est être sur un siège éjectable ». Honnête.
Janvier 2008, Valérie Pécresse défend son bon bilan, avec l’entrée en vigueur, au début du mois, de la loi sur l’autonomie des universités (LRU). 20 d’entre elles, volontaires, sont concernées, les 65 restantes y arriveront d’ici 2012. Désormais, ces établissements peuvent gérer eux-mêmes leur budget et leur masse salariale. « Une révolution culturelle », souligne la ministre « voulue par le candidat Sarkozy lors de la présidentielle ». Elle insiste : « On ne peut pas nous reprocher de ne pas l’avoir annoncé et d’être passé en force ». Si, justement, répliquent plusieurs présidents d’université qui dénoncent le vote du texte en plein été, le 10 août 2008.
Et qui s’inquiètent d’un manque de moyens pour accompagner la loi. « C’est comme pour la décentralisation », raconte un président d’université de la région parisienne, « on nous donne de nouvelles tâches sans avoir le budget pour les assumer ». La ministre se redresse sur son siège et rattrape l’attaque au vol : « Mais justement, d’abord l’autonomie, ensuite les moyens ! La LRU offre la possibilité de bien gérer les moyens et de toute façon chaque université voit son budget augmenter d’au moins 10 % dans le budget 2009 ». En politique avisée, Valérie Pécresse ne se laisse pas désarmer. D’autant plus qu’en principe, les ajustements ministériels du mois de janvier auxquels Nicolas Sarkozy va procéder, ne devraient pas la concerner. Encore ça de pris…
Au sein de son propre camp, certains souhaitaient pourtant l’éjecter dare-dare. Pas du même sérail. Jugée trop chiraquienne… une insulte en Sarkozie ! En plus, arrivée sans robe du soir ni paillettes… on semblait courir à la catastrophe. « Et alors ? », répond l’intéressée. « Je n’ai jamais renié d’où je venais et qui m’avait mis le pied à l’étrier. » Pas la peine, dit-elle de raviver les querelles de clans. « Je suis fidèle et loyale. Et je n’oublie pas que c’est Nicolas Sarkozy qui m’a fait ministre. Je suis vraiment un bébé Sarkozy. » Avant de se reprendre : « un bébé Sarkozy adopté ! ». Grand sourire, la ministre savoure la formule.
Il faut dire que Pécresse a été à bonne école. Bachelière à 16 ans, diplômée d’HEC et de l’ENA, la jeune femme fait son entrée en politique, à trente ans, en 1998. Jacques Chirac la nomme conseillère, en charge des nouvelles technologies de l’information à l’Élysée. Un exploit : elle parvient à intéresser l’ex-chef de l’État aux nouvelles technologies. Quand on sait que « Jacquo » avait confondu la souris d’ordinateur avec le mulot, chapeau ! Aujourd’hui, « Chichi » continue à l’appeler de temps en temps.
Dans son livre paru en 2007 – Être une femme politique… c’est pas si facile ! -, Pécresse raconte le premier entretien politique qu’elle a eu avec lui en avril 1998. « La politique vous intéresse ? », lui demande-t-il ? « Réfléchissez-y. En 2002, nous aurons besoin de femmes pour les législatives. » Quatre ans plus tard, en 2002, Pécresse en élève assidue remporte la circonscription des Yvelines, face à son adversaire de l’UDF.
Le regard malicieux, elle rappelle que Sarko l’a gardée comme porte-parole de l’UMP quand il a pris les manettes du parti, en 2005. Trois ans pour faire ses preuves en Sarkozie avant d’être nommée ministre. Et contrairement à d’autres, le trio Sarko-Guéant-Fillon n’a pas à s’en plaindre. Pas de gaffe ni de crise de larmes, assez présente dans les médias - Sarko adore ça ! – et volontaire pour aller au combat électoral. Comprendre les régionales de 2010 qui s’annoncent des plus féroces en Ile-de-France. Pas tant avec le président socialiste de la région, Jean-Paul Huchon, qu’entre les candidats UMP que les militants devront départager au cours d’une primaire, fin mars : Valérie Pécresse contre Roger Karoutchi, secrétaire d’État en charge des relations avec le Parlement. Officiellement, l’Élysée a décidé de ne pas s’en mêler. En clair : que le meilleur gagne !
« Valérie est très populaire dans l’opinion publique, Roger maîtrise les réseaux de militants », commente un ministre sarkozyste. Un sondage Opinion Way pour Le Figaro, publié le 9 janvier - mais contesté avec virulence par son challenger Karoutchi - lui accorde une notoriété supérieure et une meilleure image. Elle remporte ainsi 35% de bonnes opinions contre 31% pour Huchon (31%) et seulement 15% pour « Roger ».
La ministre a pour elle « d’incarner une image de renouveau de la politique », ajoute un des ministres du « G7 ». Sans être une blanche colombe, selon Yves Jégo qui s’est retiré en septembre de la bataille des régionales. Pécresse, curieuse, attend la suite pour savoir ce qu’il dit d’elle. Dans son tout récent « Dictionnaire impertinent d’Ile-de-France », le secrétaire d’État à l’Outre-Mer écrit : « Valérie Pécresse fourbit ses armes : une peau qui se tanne pour encaisser les coups et des crocs acérés pour dévorer le moment venu ». Éclat de rire de la ministre qui commente : « Face aux attaques, il faut que la peau se tanne, en effet… ».
Tantôt sérieuse, tantôt complice avec les militants, la candidate débite son discours, micro à la main, sans notes et le plus souvent debout. « 10 000 militants rencontrés » dit-elle depuis plusieurs mois, « 100 déplacements et 60 réunions ». Mieux qu’un tableau de chasse ! Ses discours s’adaptent aux préoccupations de la salle… avec comme filet de sécurité les mêmes blagues et les mêmes anecdotes. Comme celle d’une mère qui dit à son enfant : « tu vois si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras comme la dame, caissière d’un supermarché », en référence au livre, Les Tribulations d’une caissière d’Anna Sam. La caissière a pourtant un Bac+5 en poche. « Quelle responsabilité, quand on est ministre de l’Enseignement et qu’on lit ça », lâche Valérie Pécresse.
Pour elle, au gouvernement, tout dépend des primaires à l’UMP et de son score face à son concurrent. « Inch’Allah », réplique-t-elle quand on lui souhaite une bonne année…
À lire ou relire sur Bakchich.info :
Le 20 décembre 2007, Bernard Gensane présente une analyse du "Cahier des charges établi en vue de l’élargissement des compétences des universités prévu par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités" établi par l’Inspection Générale des Finances*. Il constate qu’on n’y parle jamais d’enseignement, mais de « gestion budgétaire et financière », de gestion des ressources humaines et que des articles ont été pensés pour faire disparaître la fonction publique de l’enseignement supérieur. Que dans l’esprit des rédacteurs du Cahier des charges, les établissements finiront, à terme, par vendre leur immobilier, d’autant que l’université française possède un formidable patrimoine que le privé convoite depuis longtemps.
*http://ancmsp.apinc.org/IMG/pdf/IGF_IGAENR_cahier_des_charges_08oct.pdf http://artela.cnarela.free.fr/Loi%20LRU%202.htm
Le 14 janvier 2009 Pécresse appelle les universités parisiennes à vendre leur patrimoine immobilier* et suggère que le fruit de ces ventes serve à créer une fondation sur la "vie étudiante" destinée à améliorer le quotidien des étudiants parisiens. www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/01/13/01016-20090113ARTFIG00696-les-universites-parisiennes-pourraient-vendre-des-immeubles-.php
*Une partie du patrimoine des universités de Paris : www.sorbonne.fr/document155.html
Il faut dire que l’Inspection Générale des Finances compte parmi ses membres Daniel Bouton, Président de la Société Générale ; Bruno Deletre, directeur Public Finance chez Dexia ; Pascal Lamy, directeur général de l’OMC ; Jean Lemierre, président de la BERD ; Isabelle Mateos y Lago, économiste au FMI ; Claude Pierre-Brossolette, ancien PDG du Crédit Lyonnais ; Jean-Claude Trichet, gouverneur de la BCE, … http://fr.wikipedia.org/wiki/Inspection_g%C3%A9n%C3%A9rale_des_finances