Ce n’était pas l’émission la plus hilarante de la semaine. Mais certainement la plus prenante… La « Shoah par balles », (France 3, le 11/3, rediffusion sur France 5 ce dimanche à 20 h 40), vous connaissez ? Les camps d’extermination, en Allemagne et en Pologne, oui… Mais ce qui s’est passé en Ukraine, à partir de 1941, n’a pas suscité de grands travaux historiques.
Quasiment tout seul, un petit bonhomme s’y est attelé. Accompagné d’une interprète, le père Desbois est allé dans les villages ukrainiens interroger les derniers témoins survivants des massacres de Juifs, des vieux qui n’ont jamais raconté à personne ce qu’ils ont vu lorsqu’ils étaient gamins ou adolescents, cachés derrière des broussailles ou des talus.
Le spectacle ? Des hommes, des femmes, des vieillards obligés de creuser d’immenses fosses, contraints de se déshabiller, de se coucher « comme des sardines ». Les soldats allemands tiraient méthodiquement dans le tas. Pourquoi ces récits émergent-ils aujourd’hui seulement ? « Parce que personne ne nous a posé la question avant » répondent ces Ukrainiens. « Ils parlent aussi parce que je suis prêtre et qu’ils sont catholiques » précise Patrick Desbois. « Avec nous, ils se méfieraient » ajoute un responsable juif de Brooklyn, de descendance ukrainienne.
Pour tuer par balles plus d’un million et demi de Juifs – chiffre approximatif –, il a fallu l’organisation des SS, des « Einsatzgruppen », dirigés souvent par des Allemands cultivés, certains « docteurs en droit » qui n’hésitaient pas à achever les victimes, y compris les enfants, au revolver. La police ukrainienne a donné un coup de main, ici et là.
Ces récits hallucinants, pourquoi les exhumer aujourd’hui ? « Parce que dans quelques années, tous les témoins oculaires auront disparu. Parce qu’on ne peut pas laisser piller les charniers encore aujourd’hui par les chercheurs de dents en or. Parce que l’Europe ne peut se construire sur ces tombes non refermées, sinon elle est bloquée » explique le père Desbois qui a répertorié plus de 700 sites-charniers et qui continue sa recherche toujours plus loin à l’est.
Changement de perspective : au lieu de s’occuper des bourreaux et de leur psychologie – comme dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell qui traite exactement du même sujet –, au lieu de la fascination des cadavres, on s’occupe des victimes, de leurs restes et de leur place dans le vieux continent. En voyant cette sublime émission (bien présentée par Elise Lucet), même un athée, même un anticlérical se dit que seul un curé peut faire ce travail. Déterrer, ré-enterrer… Combien de cauchemars, la nuit ?
Jamais le père Desbois ne se met en avant. Ses réponses sont courtes, précises, tournées vers l’avenir. Avis aux fossoyeurs !
« Shoah par balles, l’histoire oubliée », de Romain Icard. Sur le même sujet, on peut lire « Les complaisantes », excellente critique de Jonathan Littell, par Edouard Husson et Michel Terestchenko (ed. François-Xavier de Guibert, 2007)
Le travail du père Desbois est remarquable et force le respect.
Le documentaire traite de la shoah par balle, sujet peu évoqué dans les médias, qui correspond à la première étape de l’extermination méthodique des peuples juif et tzigane avant la mise en place des fours crématoires des camps de concentration.
Je suis profondément choquée par les commentaires faisant référence à la guerre d’Algérie ou encore la Palestine : il s’agit de ne pas tout confondre, d’éviter les raccourcis intellectuels.
En revanche, je tiens à souligner la pertinence d’ une observation ; pourquoi ce silence sur le génocide (la dénomination est contestée, disons assassinat massif) de 6 millions d’ukrainiens orchestré par Staline par le biais d’une famine organisée ?
La question est ici complètement indépendante de la Shoah, le but n’étant pas de faire un parallèle nauséabond, mais juste de mettre le doigt sur un événement majeur non mentionné dans les livres d’histoire, qui n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucun documentaire et dont beaucoup ignorent l’existence.