Il y a des mots qui apparaissent, d’autres qui disparaissent. Le vocabulaire comme la charcuterie, la couleur des strings ou la philosophie, a ses modes. Loin du « Kärcher » et des « casse toi, pauvre con », un mot ancien, un peu désuet, réservé jusqu’ici aux gens du monde, aux académiciens et aux ultimes bonnes soeurs, revient à la mode : « retenue ».
Quelques jours avant son mariage le président du Conseil constitutionnel invite notre Président à la « retenue ». Dans le Haaretz, journal israélien, certains députés de la Knesset enjoignent Tsahal (leur armée) à faire preuve de « retenue ». Et il y a quelques jours, notre Président de la République demandait à la Chine de faire preuve de « retenue » au Tibet.
Les mots sont souvent traîtres, celui-là l’est peut être un peu plus que la moyenne. Derrière l’invective se cache une flatterie. L’invitation à la « retenue » est une injonction à garder son calme. Etre corrigé devant tout le monde, ici devant l’opinion publique, est assez désagréable, voire franchement déplaisant. Mais, à la différence, du « tiens toi bien », du « calme toi », voire de l’ultime « tu fais chier », l’invitation à la « retenue » est un conseil flatteur. Car derrière le conseil se cache une forme de reconnaissance. Elle suppose que l’autre connaît les codes. Qu’il sait se « tenir ». Qu’il a, d’habitude, de la « tenue ». Que, cette fois ci il s’est oublié, il s’est égaré, mais qu’il peut se reprendre. Par ce subtil « re », Sarkozy « re »deviendra un héros politique, Tsahal, l’armée d’une grande démocratie, et la Chine, un partenaire économique fréquentable.
La « retenue » permet donc de situer celui que l’on reprend. De le mettre dans son camp. De lui rendre un hommage discret. De le cajoler tout en induisant un reproche. Chacun peut y retrouver ses petits. Dans le cas de la Chine, ce terme diplomatique permet d’éviter les tensions tout en se jouant des naïfs qui y voient une réaction forte.
Quand le mot « retenue » sera passé de mode. Je proposerai l’utilisation de civilité. Mais est-ce que l’on peut demander à un homme qui à l’injure si facile, à une armée en guerre, et à un régime totalitaire de faire preuve de civilité ? Je suis pris d’un doute.
Moi, la retenue, j’en ai un mauvais souvenir. Dans ma jeunesse, les "heures de retenue" correspondaient aux heures de colle du jeudi ou du dimanche. La punition consistait à apprendre pendant quatre heures d’affilée 50 vers d’Athalie ou de Britanicus. Et si on ne pouvait pas les réciter à la fin, on reprenait 4 heures pour le dimanche suivant.
Je suis dégoûté à tout jamais de la poésie et des pièces en vers. Beau résultat pédagogique. A bas les retenues ! Hubert
bien vu ! Continuons à creuser.
Certes, l’appel à la retenue place l’interpelé dans l’univers de codes de celui qui lui demande d’y aller mollo ("on est pareil … on se comprend … si je te dis ça c’est juste pour la forme …"), mais en plus il lui reconnaît la capacité de taper fort, sans laquelle il n’y aurait nul besoin d’en appeler à son sens de la mesure, et peut-être même le droit de cogner dur ! La retenue, c’est l’autre manière de continuer comme avant sans trop faire de vagues.
Quand Bush demande de la retenue à Israël, c’est toujours après avoir réaffirmé le droit d’Israël à massacrer un maximum de Palestiniens en représailles à quelques Qassam tombés dans les champs. La retenue, ici, ce sera juste de pas tous les tuer, ce qu’Israël pourrait faire matériellement sans grave difficultés, mais qu’il ne fera évidemment pas. Double bénef : l’Amérique et Israël montrent dans un ballet inlassable la même humanité, la même complicité autour des valeurs pieuses qui les animent contre la sauvagerie du reste du monde.
Le problème, que NS n’a pas bien compris, c’est que l’appel à la retenue postule une voix écoutée -même si elle assure un service minimum-, une complicité entre l’appelé et l’appelant, et une sortie convenue pour le conflit.
Or, NS n’a rien de tout cela. Son appel le couvrira donc de ridicule auprès des chinois, et de honte lorsque chacun aura compris qu’il s’agit juste d’un encouragement à faire comme avant (occuper, coloniser, soumettre, marginaliser, détruire …) de la part de quelqu’un qui n’a pas voix au chapitre.
Qu’il parle ou qu’il se taise, sa voix n’aura d’écho que chez lui. Il aurait donc pu à meilleur compte s’enrouler dans le beau drapé des droits de l’homme, et en retirer quelques avantages d’image plutôt que le ridicule et la honte.