Un ado tombe fou amoureux d’une femme autoritaire et mystérieuse. D’après le best-seller de Bernard Schlink.
The Reader doit être le seul film de l’histoire du cinéma dont les deux producteurs sont morts. Non pas de honte ou de dépit car Sydney Pollack et Anthony Minghella sont décédés avant la fin du tournage et que le film n’aurait pas dépareillé au sein de leur filmographie, quelque part entre Out of Africa ou Le Patient anglais. Mais loin d’être un gros mélo dégoulinant, The Reader est aussi et surtout l’adaptation fidèle du Liseur, beau livre d’un juge, prof de droit et écrivain allemand, Bernard Schlink (mais pourquoi le marketing n’a-t-il pas gardé le titre du bouquin, hein, pourquoi ?).
Dans l’Allemagne de l’après-guerre, Michael Berg, un ado plein de sève, fait la connaissance d’Hanna, contrôleuse de tramway de vingt ans son aînée. Il s’éprend de cette femme autoritaire, imprévisible, mystérieuse et, contre toute attente, devient bientôt son amant insatiable. Commence alors une liaison secrète, un rituel passionnel où, entre deux cours, Michael se fait laver par la jeune femme, elle lui fait l’amour, il lui fait la lecture. Elle l’initie à la sexualité, il lui fait découvrir Homère, Mark Twain, Dickens, Tchekhov, Tolstoï… Le plaisir de la chair, la sensualité des mots : cet été marquera Michael à jamais. Pourtant, un jour, elle disparaît, laissant Michael dévasté. Huit ans plus tard, le jeune homme, devenu étudiant en droit, assiste au procès des criminels nazis. Il découvre, stupéfait, Hanna, son amour de jeunesse, sur le banc des accusés : elle aurait été gardienne d’un camp de concentration…
Pour une telle histoire, il fallait un réalisateur brillant, fin, avec un point de vue. Anthony Minghella, qui filmait souvent avec des moufles, rêvait de mettre en image le best-seller de Schlink depuis une dizaine d’années. Quand il meurt en mars 2008, le bébé est alors confié à Stephen Daldry, épatant metteur en scène de Billy Elliott et surtout de The Hours. Bonne pioche ! Epaulé par le dramaturge David Hare, qui avait déjà adapté The Hours, Daldry alterne les époques, multiplie les allers-retours temporels entre les années 50 et les années 90, et son héros, incarné par Ralph Fiennes, interprète du nazi dément de La Liste de Schindler, plus mutique que jamais, se souvient de cette passion de jeunesse qui a ravagé sa vie.
Daldry alterne également les styles : une première partie tout en sensualité, avec la scène la plus bandante de l’année, quand Kate Winslet, qui a offert au jeune garçon de prendre un bain, arrive derrière lui, complètement nue, dans la salle de bain. Une seconde, plus froide, tragique, où les personnages sont murés dans le silence, enfermés dans des tribunaux, derrière des barreaux ou dans des appartements lugubres. Pour l’image de son film, Daldry a bizarrement bénéficié de la grève des scénaristes qui l’a obligé à prendre deux chefs op’ différents, deux cadors : Roger Deakins, directeur de la photo des frères Coen, qui signe toute la partie avec Ralph Fiennes, et Chris Menges (Mission) qui a tourné l’histoire d’amour entre le puceau et la femme mûre une fois la grève terminée, alors que Deakins était déjà embarqué sur un autre projet.
Mais comme il filme des plaies jamais cicatrisées (un amour de jeunesse et la responsabilité du peuple allemand dans la Shoah), Stephen Daldry garde un style distancié, glacial, clinique, plongeant le spectateur, incapable de s’identifier avec les personnages, dans un malaise constant, une tension qui culminera lors d’une scène finale complètement déchirante. Mais sous l’apparente froideur des images, il y a un lyrisme qui rappelle les classiques du cinéma anglais, notamment le cinéma de David Lean. Du grand art…
On le savait depuis The Hours, où il dirigeait Meryl Streep, Julianne Moore, Nicole Kidman et Ed Harris, Stephen Daldry, homme de théâtre, est un grand directeur d’acteurs. Plus mutique que jamais, Ralph Fiennes est formidable en homme consumé par la passion, incapable d’oublier ou de pardonner. Quant à Kate Winslet, récompensée d’un Oscar, il est absolument stupéfiant de voir la comédienne britannique disparaître à ce point derrière son personnage et devenir « le Cheval » décrit par Schlink dans son livre. Son visage se métamorphose alors en un masque impénétrable qui illustre la banalité du mal. La force de son regard, la façon dont elle se tient, dont elle appelle son jeune amant (« Boy »), son air buté lors du procès, sa transformation finale : elle est d’une intensité extraordinaire. Certains critiques, qui s’extasient quand Vincent Cassel prend 20 kilos de gras, ont raillé cette performance prétendument à Oscar (because pas de maquillage, scènes de nu, vieillissement de 30 ans à la fin). J’ai simplement du mal à comprendre ce que l’on peut reprocher à cette comédienne au sommet de son art, comme je vois mal comment une autre actrice aurait pu se métamorphoser en Hanna, alors que Nicole Kidman avait été choisie par Daldry avant de tomber enceinte…
Pour continuer avec nos amis critiques, j’avoue que je reste dubitatif devant les arguments « polémiques » de certains. En gros, The Reader serait un film dégueulasse, révisionniste, car il fait pleurer sur le sort d’une héroïne abjecte (bah non, on ne pleure pas) et s’intéresse au bourreau et non aux victimes. Même la fin, une séquence sublime entre Ralph Fiennes et une rescapée des camps qui parlent en champ / contre-champ, poserait problème car cette femme juive est – horreur ! – riche, d’où le cliché antisémite… C’est beau comme du Philippe Val… Que répondre à ce fatras de conneries ? D’abord, que tout est dans le livre de Bernard Schlink. Que le film n’excuse JAMAIS Hanna qui restera une énigme jusqu’à la fin. Et que le sujet n’est absolument pas l’Holocauste, mais comment une génération peut survivre à un crime total, absolu, perpétré par la génération précédente, à savoir ses parents. The Reader ne répond jamais à cette question, s’apparentant à un requiem en forme de point d’interrogation.
A lire ou relire sur Bakchich.info
« The Reader » de Stephen Daldry, avec Kate Winslet, Ralph Fiennes, David Kross, Lena Olin, Bruno Ganz
En salles depuis le 15 juillet
Pour moi ce film donne envie de lire le livre et d’autres livres sur la culpabilité allemande.
Il soulève le voile sur la raison réelle du comportement de la population à cette période : on a appris aux gens à obéir ! L’idée que le devoir est loi se retrouve aussi dans le film quand le professeur dit que ce procès ne concerne pas la justice mais la loi.
J’ai revu dernièrement Shoa, the war aussi est très instructif : sur une planète où l’anti-sémitisme était une évidence DANS TOUS LES PAYS l’allemagne n’a hélas que juste exacerbé le sujet afin de fédérer les populations qui n’attendaient qu’un coupable… et l’occident a fermé les yeux jusqu’à ce qu’un autre sujet que l’holocauste leur permette d’intervenir : Désolée de le dire mais heureusement pour l’Europe que Pearl Harbor et le Communisme soient venus nous aider !
Shoa le montre bien : les paysans polonais proches des camps disent avoir tous su ce qu’il en était (l’odeur étant la meilleur des raison avec les transports incessants). La seule chose qu’ils avouent c’est que en temps de guerre ils ramassaient les patates et avec la disparition des juifs ils sont devenus commerçants… comment juger les gens depuis notre petit confort voilà le sujet du film.
L’illetrisme étant une "tare" il vaut mieux être jugé pour meurtre que l’avouer… voilà le profil des gens qui ont obéit quand la peur n’a pas été leur motivation dans ces horreurs.
Le sujet de ce film pour moi : notre vision du monde à une date donnée, se conformer à l’image qu’on doit donner, obéir quitte à aller à l’encontre de sa morale.
C’est triste mais tant qu’on se donnera de fausses raisons on laissera toujours libre cours aux orateurs qui sauront utiliser les arguments les plus vils pour fédérer des populations pour de mauvaises raisons.
Bof, moi j’ai été déçu.
Toujours assez bien fait, mais laisse largement sur sa faim, avec les mêmes moyens il me semble que ç’aurait pu être mieux.
si on s’intéresse à la partie "romance", c’est du déjà vu, vaguement ennuyeux, et malgré ce que dit l’auteur de l’article, effectivement une caricature de rôle oscarisable
si on s’intéresse à la notion de "banalité du mal", à la culpabilité allemande, alors mieux vaut lire Hannah Arendt directement, parce que là on est dans le super-superficiel, l’explication ne va nulle part…
Mais bon, les goûts les couleurs…
La "banalité du mal"… l’explication ne va nulle part…
Mais pour quelle raison ça devrait aller quelque part ? Et si le plus terrible c’était justement ça ? Que la réalité est encore plus inconfortable que ce que l’on redoute, qu’une explication ne peut être que partielle tout simplement parce qu’on ne peut jamais allé au delà de ses propres limites.
Mais que ça serait facile si les salauds n’étaient pas des humains comme nous !
Ce qui définie le mieux l’humanité c’est "L’enfer est pavé de bonnes intentions" ; c’est sans doute désolant mais c’est comme ça !