Un musicien se reconvertit dans la mise en bière. La mort comme un rite de passage : Oscar du meilleur film étranger.
« Quand j’étais enfant, l’hiver ne me paraissait pas si froid. » Voici donc le petit Japonais qui a battu les deux gros costauds Entre les murs et Valse avec Bachir à Hollywood et qui a raflé l’Oscar du Meilleur film étranger. Une vraie surprise, même si à la revoyure Entre les murs se révèle une chose assez vaine. Departures, donc.
Musicien sans génie, Daigo joue du violoncelle. Quand son orchestre est dissous, le jeune chômeur décide de quitter Tokyo et de s’installer dans sa ville natale, Yamagata, dans le nord du Japon, avec sa fiancée. Suite à une annonce énigmatique qui parle « d’aide aux départs », Daigo se présente dans ce qu’il croit être une agence de voyage. Il comprend qu’il vient d’atterrir dans une entreprise de pompes funèbres et accepte, malgré son dégoût, l’emploi pour nécessité financière. Aidé par les conseils de son vieux patron, il va exercer ce travail que personne ne veut faire, tout en cachant à sa femme sa nouvelle activité, en grande partie taboue au Japon.
Tout commence il y a dix ans lors d’un voyage en Inde du comédien principal Masahiro Motoki, vu dans Gemini (1999). Fasciné par une cérémonie de passage dans l’au-delà, l’acteur se passionne pour le rituel de la mise en bière et commande l’écriture d’un script à un scénariste novice. Le scénario bouclé en un temps record, le projet est apporté à Yojiro Takita, réalisateur de 53 ans surtout connu pour ses films érotiques (ou romans pornos). Un sujet casse-gueule, un caprice ou fantasme d’acteur, un écrivain novice, un réalisateur de pinku, Departures avait tout de la mauvaise idée.
Et pourtant, nous avons in fine un petit bijou d’émotion, avec plein de gros morceaux de cinéma dedans. Pourquoi ? Parce que Departures parle essentiellement de mise en scène. Le héros du film doit apprendre la mise en bière, soit laver, déshabiller sans faire voir une parcelle de nudité, habiller, maquiller le corps sans vie, devant toute la famille. Soit la mise en scène ultime. Pour ces instants magnifiques, Yojiro Takita filme à hauteur d’homme, ou comme Ozu, à hauteur de tatami, en plan fixe. Il y a bien sûr la musique de Joe Hisashi, le collaborateur de Miyazaki, mais surtout les gestes cliniques de l’acteur principal. Des mains qui lavent, couvrent, embellissent, virevoltent au-dessus du cadavre. Ces mains qui parlent et qui apaisent, ces mains qui vous clouent dans votre fauteuil pour un pur moment d’extase cinématographique, s’inscrivent au panthéon du septième art, juste à côté des gros plans sur les mains baladeuses et virtuoses du Pickpoket de Robert Bresson. Voilà.
Pour vous laisser un maximum de surprises lors de la projection, je vous dirais simplement que Departures, drôle et émouvant, est un film très japonais, donc absolument universel. C’est une œuvre délicate sur la beauté, l’acceptation de l’éphémère, l’impermanence des choses, « le mono no aware », concept de la beauté japonaise qui dit qu’une fleur n’est belle que lorsqu’elle est menacée de disparition. Malgré quelques faiblesses de scénario, quelques longueurs et des plans discutables (comme celui où Daigo, apaisé, joue du violoncelle devant la montagne, avec la caméra qui tourne comme dans un Lelouch), Departures réussit un prodige : celui de nous réconcilier avec la mort.
Ici, la mort n’est plus un drame brutal et absurde, juste un rite de passage, une cérémonie simple et poignante, belle comme des fleurs de cerisier emportées par le vent. En sortant de la salle, sur le trottoir, j’avais l’impression d’être en harmonie – enfin – avec moi-même et le monde. J’ai beau chercher depuis un film qui m’aurait déjà fait un effet équivalent, je n’en trouve pas.
À lire ou relire sur bakchich :
Departures de Yojiro Takita avec Masahiro Motoki, Tsutomu Yamazaki, Ryoko Hirosue, Kimiko Yo, Takashi Sasano, Kazuko Yoshiyuki
En salles le 3 juin