Vie et mort du premier élu ouvertement gay. Un Oscar pour Sean Penn, un film en demi-teinte pour Gus Van Sant.
Sur la carte du cinéma, il reste quelques grands : Nuri Bilge Ceylan en Turquie, Takeshi Kitano au Japon, Hou Hsiao-hsien à Taiwan, Jia Zhang Ke en Chine, Abbas Kiarostami en Iran, Kim Ki-duk en Corée, Arnaud Desplechin en France, Béla Tarr en Hongrie, Alfonso Cuaron et Carlos Reygadas au Mexique, Clint Eastwood, les frères Coen ou encore Paul Thomas Anderson aux Etats-Unis… Et il y a le génie hypnotique de Portland, Gus Van Sant, auteur de splendeurs comme My Own Private Idaho, Will Hunting, Gerry, Elephant, Last Days ou Paranoid Park, des films organiques qui réinventent tout simplement le cinéma.
57 ans en juillet prochain, Gus Van Sant, qui se qualifie de « cinéaste du subconscient », tourne depuis 1985, principalement des histoires d’ados et de mort, des films poétiques, stratosphériques et contemplatifs, hantés par la transmission, la marginalité, la mélancolie ou l’homosexualité. L’homosexualité est au cœur de son treizième film, Harvey Milk, bon gros biopic sur le premier leader US ouvertement homo élu à des fonctions officielles, icône et martyr de l’activisme gay.
A 40 ans, Harvey Milk (Sean Penn) décide de changer de vie. Il sort du placard, quitte New York, un boulot de con et se laisse pousser les cheveux. Direction San Francisco avec son amant (James Franco) et découverte du militantisme pro-gay. Milk prend alors la défense des homos, devient peu à peu une célébrité locale grâce à son charisme, sa grande gueule, sa joie de vivre et essaie sans succès de se faire élire conseiller municipal de sa ville. En juin 1977, il trône enfin au Conseil des Superviseurs de San Francisco. Il sera assassiné onze mois plus tard, le même jour que son ami le maire Mascone.
A la fois machine à Oscars et porte-étendard de la cause homo, Harvey Milk est un vieux serpent de mer hollywoodien qui avait tapé dans l’œil de plusieurs réalisateurs (notamment Oliver Stone et Bryan Singer) et de quelques acteurs comme Robin Williams. Sur le coup depuis 1982, Gus Van Sant arrache finalement le morceau. Comme la plupart de ses films, Milk est la chronique d’une mort annoncée, mais Gus Van Sant abandonne la voie expérimentale et poétique empruntée depuis six ans avec Elephant ou Gerry pour revenir à un cinéma moins personnel, plus classique, à la manière de Will Hunting ou de Rencontre avec Forrester. Gus Van Sant veut s’adresser au public le plus large pour faire (re)connaître son héros. Afin de rester mainstream, il se montre étonnamment prude lors des scènes de sexe (on se croirait dans Philadelphia) et abandonne tout ou presque de ce qui faisait la fulgurante beauté de son cinéma. Sa mise en scène épouse gentiment l’histoire de Milk et du San Francisco des 70’s, mais la plupart des bonnes idées semblent provenir du jeune scénariste Dustin Lance Black (également coproducteur de la chose). Très intelligemment, Black ne gomme absolument pas les aspects les moins reluisants de Milk (sa soif de reconnaissance, son côté politicard, roublard, buté), décide de ne montrer qu’avec des images d’actualité l’activiste anti-homo Anita Bryant (qui avait déclaré « Si Dieu avait voulu avoir des homosexuels, il aurait créé Adam et Walter ») ou fait intelligemment entrer l’histoire de Milk en résonance avec celle d’Obama (« You gotta give them hope »). C’est néanmoins Gus Van Sant qui est à la barre et il le prouve avec sa façon d’étirer les « temps faibles » du récit (avant le double meurtre, Josh Brolin déambule interminablement dans des couloirs, comme dans Elephant) ou de faire revivre un lieu, une époque, épaulé par son chef op’, le grand Harris Savides, qui avait déjà éclairé le San Francisco des années 60 dans Zodiac de David Fincher. Mais surtout, Gus Van Sant sous-tend l’incroyable destin politique d’un homme avec une sublime histoire d’amour ratée, celle de Milk et de Scott Smith, l’amant rencontré à New York. Tandis que Milk accède à la notoriété, Smith disparaît et s’efface peu à peu. Entre les deux hommes, un lien perdurera néanmoins jusqu’à la fin. Gus Van Sant parvient à capter le sourire triste sur le visage de Smith, la mélancolie des histoires d’amour jamais tout à fait terminées et se fend d’un baiser d’adieu absolument bouleversant.
Si Milk me semble mineur dans la filmographie de Gus Van Sant, on retrouve intacte sa qualité de directeur d’acteurs (il a quand même révélé Matt Damon, les frères Affleck, Nicole Kidman, Joaquin Phoenix et servi un Oscar sur un plateau à Robin Williams). L’ectoplasme James Franco est ici prodigieux, tout comme Josh Brolin, tout en muscle et en rage contenue, un des personnages les plus fascinants du film (« Je pense qu’il est un des nôtres », assure Milk). Affublé du nez de Cyrano, d’une horrible coiffure avec raie sur le côté et de T. shirts vintage, Sean Penn dévore l’écran. C’est un véritable festival, il rayonne comme rarement et hérite des meilleurs répliques (« Vous ne pouvez pas avoir d’enfants, vous ne vous reproduisez pas ! » « Et pourtant, qu’est-ce qu’on essaie ! »). C’est peu dire que notre bad boy préféré – qui vient de terminer le Terrence Malik et qui doit enchaîner avec les frères Farrelly – mérite son Oscar.