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Les Roms : oubliés de l’Europe et clandestins de l’Histoire

Chronique DVD / mercredi 23 avril 2008 par Louis Poirier
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Les Tsiganes ont peur des morts. Ils oublient ce que d’autres n’oublieraient à aucun prix, la mémoire, leur mémoire, celle des camps, des millions de Roms morts à Auschwitz. « Roms en errance », un beau film de Bernard Kleindienst.

Les Tsiganes [1] ont peur des morts. Ils disent que leur âme surgit à l’improviste et qu’elle apporte avec elle le malheur et les maladies. Parfois, pour l’éloigner, il suffit de ne pas lui donner ce qu’elle réclame. Il faut partir, se déplacer continuellement. Le nomadisme s’explique aussi de cette manière. La topographie des déplacements des campements reflète la géographie des sépultures. Seul le mort a droit à une terre.

Les Tsiganes ne parlent jamais de leurs morts. Le mort a un pouvoir négatif sur les vivants. Dans le monde des Tsiganes, ce sont les choses dont on ne parle pas qui sont les plus importantes. D’ailleurs, avec les gadjé, les non Roms, ils ne prononcent même jamais leur vrai nom, le romani lap. Ils en donnent un autre, un nom d’emprunt, celui de l’état civil que le gendarme contrôle au passage. Ils passent la mort sous silence tout simplement parce qu’ils refusent la mémoire, nient l’existence du temps. Dans la langue des Lovari, une tribu de marchands de chevaux des Carpates, un même mot signifie à la fois « hier » et « demain ». La vie est un présent éternel.

« Auschwitz-Birkenau, un trou noir dans l’histoire et la mémoire »

C’est aussi pour cela qu’on sait si peu de choses sur leur Holocauste, le Porrajmos, peut-être 500 000 victimes (environ un tiers de la population tsigane totale de l’époque) dans les fours crématoires, enterrées dans les fosses communes, noyées dans les rivières, entre la mer Baltique et la mer Noire. Si rien n’est dit, c’est tout simplement parce que l’histoire est écrite par les « étrangers » ou les vainqueurs. Cela s’est pourtant passé, même si les Tsiganes refusent la mémoire. L’oubli dont « la solution finale » est l’objet n’est pas une simple étourderie, mais un choix. Un art. Les Tsiganes ont laissé partir ceux qui ne devaient plus jamais revenir.

La pseudoscience nazie était une science meurtrière de la mémoire, implacable dans la reconstitution des généalogies. Il suffisait de trouver un seul Tsigane parmi les 16 bisaïeuls de sa lignée pour être envoyé à Auschwitz. Auschwitz-Birkenau, un trou noir dans l’histoire et la mémoire. Dans les années 1930, plus de 30 000 arbres généalogiques, qui remontaient jusqu’aux dix dernières générations, furent rassemblés en Allemagne. Jamais dans l’histoire contemporaine, et peut-être même passée, on n’avait dépensé autant d’argent et de temps pour des recherches aussi pointilleuses sur les Tsiganes. Mesure des crânes, prélèvements sanguins, classification à partir de l’étude de l’iris. Les photographies des catalogues nazis montrent des visages aux yeux écarquillés par l’effroi.

L’ Holocauste des Juifs est défendu et mis en récit, il est devenu histoire. Pour le « peuple du Livre », l’histoire de l’ethnie reflète l’histoire du monde. Pour les Tsiganes, au contraire, le temps n’existe pas. Chez les Roms, il n’y a rien de semblable. En découvrant le documentaire du réalisateur Bernard Kleindienst, « Roms en errance », il vous faudra suivre d’autres chemins. Etre patient, très patient. Attendre que des brèches s’ouvrent dans cette tradition séculaire d’omerta. Voyager en suivant des lignes d’ombre, en gardant comme fil conducteur cette fuite qui les pousse loin de la topographie de la mort.

Aujourd’hui à Auschwitz…

Bernard Kleindienst nous raconte comment le libéralisme a fini par chasser la mémoire des anciens métiers nomades. Il nous dit qu’aujourd’hui, à Auschwitz [2], on prend à nouveau le soleil sur les rives de la Vistule. Des corps blancs, avides de printemps. Au loin, on entend les sirènes de la police, le bruit inquiet de la ville qui vit.

Dans les rues d’Auschwitz, en 2008, on chante l’hymne polonais, même si l’on ne peut oublier qu’ici de nombreux Tsiganes sont partis, avec un aller simple et cette mélodie brisée d’un violon triste dans la gorge. Et la mémoire qui revient comme un cri à tue-tête. Aujourd’hui, des cars de touristes viennent ici. Les visiteurs ont acheté des formules « Auschwitz, son ancienne mine de sel, son ancien camp », tout compris ! Comme à Lourdes. L’industrie de la mémoire débite voyages scolaires, hôtels, snacks, musées des grandes horreurs, cartes postales, affiches, livres, guides, films et visites guidées. Les objets de leurs morts, les Tsiganes, eux, les abandonnent, les brûlent ou les vendent aux impurs, aux gadjé. Ils ne laissent aucun héritage. Ils effacent tout. Les Roms le savent bien : les rois, les empereurs, les parrains ne sont que des inventions sorties de l’imagination des cerveaux de policiers ou de journalistes gadjé. Une marchandise d’exportation. Une petite boutique de breloques.

Sur les prés de Brzezinka, on trouve encore des boutons en porcelaine avec des restes de dentelle. Des boutons en bois avec deux trous, des boutons en nacre et en fer. Le reste n’est rien, le reste n’est que le ronronnement du silence, encore interrompu par la vielle même histoire : des chiens, des bottes et le sifflement des trains.

Roms en errance, un film de Bernard Kleindienst (68mn, France, 2005), produit par Les Films de l’Interstice, avec la participation du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (F.A.S.I.L.D.) et du Centre national de la cinématographie, est disponible en dvd (2008).

Pour toute information : films.interstice@yahoo.fr.

[1] Le mot « Tsigane » est le plus couramment utilisé en Europe. Il vient du grec byzantin athinganoï ou atsinkanos, qui signifiait « paria ». Il a d’abord été utilisé pour désigner une secte chrétienne de musiciens et de devins installée en Asie mineure aux XIe et XIIe siècles. Estimant que ce terme a trop souvent pris des connotations négatives, les intéressés préfèrent utiliser le mot « Rom », qui signifie « homme » en romani. La dénomination péjorative « Romanichel » est un dérivé de Romani Tachvé, les « gars Tsiganes ».

Le mot « Manouche » désigne les Sintés, Roms du Piémont parlant un romani germanisé. Les termes « Gitan », utilisé en Espagne et dans le Sud de la France, et « Gypsy », utilisé dans les pays anglophones, sont dérivés des mots Egiptianos et Egypcians, qui renvoient à la Petite Egypte, une région d’Asie Mineure peuplée de Roms. Quant à « Bohémien », il désignait à l’origine un individu muni d’une lettre de recommandation des rois de Bohême.

[2] Pologne : 40 à 60 000 Tsiganes, soit moins de 0,1% de la population totale. En dehors de l’Europe des 25, on trouve d’importantes communautés tsiganes dans les Balkans, qui rassemblent de 800 000 à 900 000 personnes, principalement en Serbie et en Macédoine, et dans les pays de la Communauté d’Etats indépendants, où vivent 300 000 à 500 000 Tsiganes, surtout en Russie. En France, selon les estimations, basses de 300 000, hautes de 450 000, la population tsigane représente de 0,5 à 0,9% de la population totale. Ce qui la place néanmoins au second rang des pays de l’U.E, mais après l’Espagne qui compte près de 600 000 personnes, toutes sédentarisées


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3 MESSAGES

Forum

  • Les Roms : oubliés de l’Europe et clandestins de l’Histoire
    le mercredi 23 avril 2008 à 18:56, Jeanne Gamonet a dit :

    1) Athinganoi est le nom d’une secte manichéenne non chrétienne, et signifie "qui ne touche pas", rien à voir avec les intouchables hindous. 2)Paria est un mot tamoul. 3)"chal" signifie peuple : romanichal= peuple romani 4)les Sinte piémontais (j’en suis une) ne parlent pas un romani germanisé mais italianisé 5) Les principaux pays où vivent les Roms sont la Roumanie -environ 2.300.000 personnes, et la Bulgarie, environ un million.

    A votre disposition pour vous donner des infos exactes, écrivez-moi

    • Les Roms : oubliés de l’Europe et clandestins de l’Histoire
      le samedi 3 mai 2008 à 17:16, snipoza a dit :

      A Jeanne

      Accepteriez-vous de nous informer sur le travail du fer, la forge, le feu ? activité confiée, réservée aux parias ? intouchés stigmatisés et craints pour cette raison ? et le rapport peut-être avec la mort et le déplacement ?

    • Les Roms : oubliés de l’Europe et clandestins de l’Histoire
      le samedi 2 août 2008 à 07:18, Corinne a dit :

      Bonjour Jeanne

      J’espère ne pas vous heurter, par une demande qui pourrait vous sembler étrange, mais voilà je vais quand même oser…

      Mon ami est un photographe Palestinien établi à Paris depuis trois ans qui essaie de faire un travail sur les roms,gitans,tsiganes gens du voyage, qui habitent en France. il a déjà fait un beau travail à Aubervilliers concernant des stiganes roumains qui étaient installés là-bas. Or il rencontre quelques difficultés, il est allé à Arles, pour faire des repérages avant les Sainres Maries mais l’expérience n’a pas été concluante. Il a rencontré quelques personnes ici à paris en p>

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