Difficile travail que celui du chroniqueur bakchichien dont la mission est de dire du mal, lorsqu’il se retrouve devant Persepolis. Devant des images sublimes, une histoire passionnante, des dialogues acérés, un doublage et une musique évidents… Marjane Satrapi, Vincent Parronaud (l’immense Winshluss) et toutes les petites mains qui ont travaillé sur ce film ont accouché d’une merveille.
Les bases sont connues, répétées avec enthousiasme dans toutes les gazettes : Persépolis est d’abord une tétralogie de bandes dessinées parues chez l’Association, le plus grand succès de cette grande maison. Elles racontent la jeunesse de l’auteur, celle d’une iranienne qui va vivre la révolution de 1979, la guerre contre l’Irak, un exil en Autriche, un retour au pays et une installation définitive en France. Un mélange d’autobiographie -le genre roi de la bédé indépendante- et d’Histoire, d’anecdotes pipi caca et de récits de tortures. À ce matériau solide s’ajoute le génie de Winshluss, un créateur d’atmosphères qui brasse des tonnes de références avec un mauvais goût et une légèreté qui forcent l’admiration. Dans le film, le mélange apparaît à chaque plan : les personnages tout en aplats noir et blanc de Marjane se meuvent dans des décors soigneusement texturés par Winshluss, un gris tramé conçu avec un de ses partenaires, Cizo, qui donne une matière unique à l’image.
On ne fera pas à nouveau la liste des citations filmiques qui abreuvent Persepolis, du film noir au néoréalisme italien en passant par l’expressionnisme allemand. Notons plutôt une référence bien plus subtile, celle du chien de Frau Heller, manifestement redessiné par Parronaud, qui semble bien rappeler le célèbre Petit papa noël débile des Simpson. Et ce patchwork parfaitement cohérent se retrouve à chaque plan du film. Arabesques japonisantes, brumes étouffantes, jeu d’ombres chinoises, fondus années cinquante… un enchaînement incessant d’idées, de trouvailles, qui participent autant à atteindre l’universalité recherchée par les créateurs qu’à créer un rythme survolté et jubilatoire. L’arrivée au pouvoir du Chah et la généalogie familiale racontées par le père de Marji ou les scènes qui échappent à la vue directe de la petite fille deviennent ainsi des mini récits qui nourrissent ce rythme et créent chaque fois des surprises graphiques.
Ces décalages permanents définissent un ton très particulier et permettent d’intégrer le comique au cœur du drame. Quand Marjane, dépressive et en larmes, explique à sa grand mère qu’elle veut mettre fin à son jeune mariage, par exemple. Pendant que la délicieuse vieille dame indigne explique à sa petite fille qu’il ne s’agissait que d’un brouillon, cette dernière essuie une belle coulée de morve sur sa manche… Il faut dire aussi que la grand mère c’est Danielle Darrieux, Mme Satrapi Catherine Deneuve, et Marjane Chiara Mastroniani… Les choix sont toujours les bons.
Satrapi et Winshluss étaient deux des meilleurs auteurs de bédés de leur génération. En dessin animé, ils surplombent déjà la case Miyazaki.
Nausicaa n’est certainement pas le meilleur Miyazaki (même si à mon goût il est très bon, je suis assez fan des Omus) mais je le pointais juste pour dire que Miyazaki était bien mangaka.
Pour ce qui est du "pas mal" et du pas cinéaste, c’est là que je peux être le moins d’accord : avec le boulot qu’ils ont fait, Winshluss (loué soit son nom) et Marjane ont précisément fait du cinéma, et du très bon. Après, vous êtes libre de ne pas aimer hein, mais cette considération n’a aucun rapport avec le "pauvre petite iranienne". On peut cependant apprécier l’émotion dégagée par le film sans être piégé dans cette dernière posture, et là, finalement, la comparaison avec Miyazaki fait sens au vu du parralélisme de l’héroïne tourmentée. Même si c’est plus trash dans Persépolis.