Quelques passages d’un livre de Richard Labevière qui ausculte le "basculement" de la politique française au Moyen-Orient.
Dans le dernier libre de Richard Labévière, Le grand retournement, Bagdad-Beyrouth, à paraître le 5 octobre, fourmille de révélations, l’auteur nous retrace les raisons plus ou moins connues qui expliquent le revirement de la politique française au Proche-Orient. Passant d’une opposition ferme à la guerre en Irak en 2003 au rabibochage avec les Etats-Unis via la résolution 1559. Extraits.
Damas retire brutalement à Total, au profit d’une société américaine, l’exploitation de gisements gaziers dans l’est de la Syrie. (…) Colère de Jacques Chirac, d’autant plus furieux qu’il avait appelé Bachar pour lui dire toute l’importance qu’il accordait à ce dossier.
Durant la même période, le même groupe (ndlr, celui qui a pris en otage les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot) a aussi détenu un diplomate iranien, Fereydoun Jahani, ce dont la presse a très peu parlé. Téhéran a obtenu sa libération en moins de deux semaines. « Comment avez-vous fait ? » aurai-je l’occasion de demander à l’ambassadeur d’Iran à Paris. Réponse éloquente : « vous savez qu’Iyad Allaoui a beaucoup travaillé pour les services américains. Nous connaissons parfaitement le détail de ses activités passées. Forts de ce savoir, nous sommes allés le voir directement et nous avons fait pression sur lui en le menaçant de révéler certaines affaires. » En termes plus généraux, l’ayatollah Ali Khameneï déclarera lors d’un point de presse à Téhéran que l’Armée islamique en Irak est composée de personnes travaillant pour le compte des Etats-Unis.
En réalité, il semble bien que les deux journalistes français [furent] aux mains des anciennes barbouzes de Saddam Hussein recyclées dans les services secrets du gouvernement intérim « irakien » d’Iyad Allaoui. Paris a toujours insisté sur la souveraineté de l’Irak, au grand dam des ministres mis en place par les Américains. (…) « Il s’agissait à ce moment-là de peser sur la diplomatie française pour qu’elle paie le prix de son opposition passée à la guerre, et surtout, pour qu’elle rentre définitivement dans le rang de la Coalition, c’est-à-dire qu’elle arrête de se faire le porte-parole des forces politiques opposées au gouvernement intérim Allaoui » explique le chef d’un service européen impliqué dans les opérations de libération des deux journalistes.
L’hypothèse d’un contentieux entre la France et les ravisseurs de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, ou certains des intermédiaires impliqués dans leur libération, s’est vérifiée dès le début de cette nouvelle affaire. Plusieurs sources autorisées, dont l’ambassade de France à Bagdad, ont confirmé l’implication de Hussein Hanoun (ndlr, le fixeur de Florence Aubenas) dans les premières négociations menées avec les kidnappeurs des deux journalistes. En jouant les émissaires, Hussein Hanoun, ancien pilote de chasse de l’armée de l’air irakienne et informateur occasionnel de la DGSE, aurait trop parlé ou fait des promesses non tenues, assure-t-on au plus haut niveau de la direction du boulevard Mortier. L’enlèvement de Florence Aubenas trouve là un nouvel éclairage…