Le nouvel ennemi intérieur, c’est la génération LOL. Les réactionnaires ne comprendront jamais qu’à quinze ans les premières émotions politiques poussent dans la rue.
Au fait, il avait quel âge Gavroche sur le tableau de Delacroix, « La liberté guidant le peuple », celui qui ornait les billets de cents francs et incarne le génie révolutionnaire du peuple français ? Une apparence de môme de treize ou quatorze ans. Il n’a pas existé, mais toutes les chroniques de la révolution de juillet 1830, représentée sur ce tableau, attestent de la présence massive de la « gaminerie parisienne » dans cette insurrection, comme la nommait Victor Hugo qui s’inspira de cet enfant tenant un pistolet dans chaque main pour son personnage de Gavroche dans Les misérables.
En juillet 1830, il s’agissait de faire tomber Charles X pour ses « lois liberticides ». Des problèmes d’adultes. Mais la République fit tout de même de ce tableau, où un enfant occupe la place la plus avancée dans le mouvement de révolte, un symbole de la liberté et de la France. Un enfant armé, rendez-vous compte ! Aujourd’hui nous entendons les vielles barbes réactionnaires, éditorialistes germanopratins et élus de la majorité en tête, nous expliquer que les lycéens « sont déjà vieux », -et ils s’en inquiètent !- car ils sont remontés comme des coucous contre une réforme qui ne regarderait que les adultes. Hum hum.
S’ils ne sentaient pas l’avenir se dérober devant eux, peut-être iraient-ils en cours au lieu de construire des pyramides de poubelles devant leurs lycées, ces ados qui voient dans la retraite un vrai sujet de jeunes… Le nouvel ennemi intérieur dans la France de Sarkozy décidément pleine de ressources, c’est elle, la génération LOL, qui a trouvé son combat. Les Roms n’ont pas tenu longtemps au hit parade de la France qui a peur.
Le visage de l’ennemi a un tube de Biactol dans la salle de bain, un iPod dans sa poche et oublie de rendre ses DS de maths à l’heure…
C’est l’ado à mèche et jean’s Diesel de Fontainebleau, dont six représentants firent une garde à vue bien musclée le 12 octobre. Pourtant, Fontainebleau, c’est pas des jeunes issus du béton. Pas grave, la police a eu la main lourde en dispersant violemment une manif’ qui s’était déroulée dans une ambiance bon enfant. Résultat, sac de toile sur le tête pour nos six terroristes chérubins, torgnoles, mis en caleçon à l’arrivée au poste… Une après-midi et une nuit entière au trou et petite visite chez le juge le lendemain, quelques heures au dépôt… un procès aura lieu plus tard pour « injures et rébellion ». 15 et 16 ans, certain que ça ne laissera aucune trace, c’est solide à cet âge là. Un comité de soutien est monté, les parents ne veulent pas laisser passer ça.
A Saint-Nazaire, trois jeunes majeurs découvraient lundi à 16h les charmes de la comparution immédiate, après avoir goûté aux délices de la garde à vue… 40h, un traitement de criminel, pour des jets de pierres qui n’ont touché personne. 2 mois fermes pour les deux premiers et 3 mois dont deux avec sursis pour le dernier. Florent, Gaëtan, Jérome ont même eu droit au mandat de dépôt. Un bon départ dans la vie. On en est là. Notre valeureux réformateur en chef doit montrer ses petits muscles, la conséquence directe est un parcours judiciaire bien prématuré dans la vie et forcément traumatisant pour des centaines de jeunes. Pourquoi ? Une poubelle brulée, un jet de canette, souvent le fait d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Du dérisoire.
Au Lycée Michelet dans l’académie de Versailles, où s’égayent les rejetons de la bourgeoisie moyenne et grande, une immense banderole rouge barre les grilles d’entrée : « Insurrection ! ». Rien que ça. « Ouais, c’est la première étape avant la révolution », me dit Sarah, qui sait de quoi elle parle. Les bourgeois ont une bonne éducation. Sa mère est directrice de communication d’une grande marque de haute couture.
Même les gosses de riches en ont leur claque de ce pouvoir. C’est contre Sarkozy qu’ils vivent leur première expérience politique, ils leur a offert la retraite à se mettre sous la main, ils l’ont prise au vol et se sont embarqués avec elle pour exprimer leur ras-le-bol de jeune. Les réactionnaires ne comprendront jamais ça, qu’à quinze ans les premières émotions politiques nous poussent dans la rue. CIP en 1993, réforme Allègre en 1998, Le Pen en 2002, CPE en 2006… à chaque fois ce sont des centaines de milliers de jeunes qui ont envahi les rues, à chaque fois ce sont ces centaines de milliers de citoyens en gestation qui ont commencé là leur éclosion, et c’est une excellente chose.
Et puis les casseurs, les idiots utiles de la réaction, ces abrutis sociaux qui n’ont jamais eu vraiment de rêves, on ne leur a pas permis. On reste interdit devant ces hordes encapuchées. Mardi 19 à Lyon il ne fallait pas être un grand connaisseur des affrontements de rue pour observer avec dépit comment la police orchestrait bien le jeu pour produire les images dont le pouvoir avait besoin pour le vingt heures. Ces imbéciles sont manipulés par les flics, comme ils le furent tout au long de l’histoire de la lutte des classes. Karl Marx, le premier faisait l’analyse de ce lumpenproletariat (prolétariat en haillon) toujours utilisé et manipulé par les forces de de répression pour effrayer la population et la ramener vers le parti de l’ordre. Des haillons on est passé aux capuches et aux cagoules. La dure réalité pour cette frange-là de la jeunesse est qu’elle semble perdue. Perdu pour la réussite, la citoyenneté, même la compassion. Leurs jacqueries faites de bagnoles brûlées et d’insultes aux flics n’indique qu’une chose : ils ont abandonnés tout rêve de possible et sont au terminal de l’avenir avant même d’être majeurs. Ils n’aiment pas la société, la société ne les aime pas, le statu quo est bien parti pour durer.
Ce que le pouvoir se refuse à avouer, c’est que du lumpen casseur des banlieues aux petits bourgeois de Versailles, une seule et même réalité englobe tous les mouvements de jeunesse de cette dernière décennie : la certitude pour cette génération de globalement moins bien vivre que celle de ses parents. Il est là le malaise, et c’est pas en envoyant tous les Gavroches du pays devant le juge ou en leur disant qu’ils ont « des problèmes de vieux » qu’on le dissipera.
« Des couilles en or pour les gens d’en haut Et des nouilles encore, pour les gens d’en bas » C’est le nouveau refrain des lycéens Le genre de slogan qu’on utilise quand on ne porte pas de gants Mais il est empreint d’envie, et de mépris. Non, je ne vous la fais pas à l’ancienne Je fus, j’étais, je serais toujours lycéenne, avec les vices et les vertus d’une bohémienne
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