Quand la plume des Marx Brothers, S.J Perelman, nous conte son tour du monde 1947 dans "Tous à l’ouest !".
« Tous à l’ouest ! ». Non, le mot d’ordre n’est pas le dernier symptôme de schizophrénie aiguë de BHL contre l’envahisseur chino-russo-serbo-pakistanais. La folie dont il est ici question est d’une toute autre grandeur.
Celle d’un grand tour. De l’humour et du monde. Exécuté en 1947 par un des grands maîtres du comique américain de l’après-guerre, S.J Perelman, scénariste entre autres des Marx Brothers. A l’instigation d’un magazine new-yorkais, il entreprend de voyager dans le grand bain asiatique bouillonnant en proie aux luttes anticoloniales. Avant de remonter vers la vieille Europe. Du délire au marteau-piqueur assaisonné de dialogues aussi loufoques que sincères. Ces carnets de voyage jamais arrogants mordent dans le jus de l’absurde avec une liberté absolue et élégante. Un magnifique bazar de l’hilare dont on peine aujourd’hui à en voir les héritiers.
Voici quelques échantillons des tribulations de notre va-nu-pieds new-yorkais :
A Hollywood : « Dans moins d’une heure, j’arriverais dans la fameuse colonie cinématographique d’Hollywood, la première étape de mon voyage autour du monde [… ]. Une vague de nostalgie me submergea en me rappelant la décennie que j’avais passé à écrire des scénarios […]. Quelle magnifique bande de je m’en foutiste nous faisions […]. Toujours prêt à égorger un concurrent, à lécher les bottes d’un producteur, à conformer nos opinions à celles qui faisaient autorité, à vendre femmes, enfants et principes pour obtenir la meilleure paie, le polo le plus laineux, la maitresse la plus énamourée ! »
En Chine : « Il me demanda (un Chinois) si je voulais badiner avec sa sœur. Je l’assurai de mon total respect pour elle mais expliquais que j’avais juré de garder le célibat tant que l’Irlande ne prendra pas sa place légitime au comité des Nations. C’était une sympathique fripouille même si ce type m’aurait probablement tranché la gorge avec plaisir pour une belle pomme rouge. »
Hong Kong : « Je crois que cette nuit là, si il y avait eu une succursale de Lindy’s à 40 kilomètres de Hong Kong, nous n’aurions pas hésité à nous y rendre, quitte à finir l’excursion à quatre pattes. A plusieurs reprises, dans des endroits aussi inattendus que le Temple du Bouddha d’émeraude ou les ruines de Fatehpur-Sikri, la vision d’un cheese-cake aux fraises s’imposa à nous de manière si forte que nous faillîmes en perdre la raison. »
Macao : « Au central Hotel, j’eus droit à l’un des pires repas de ma vie à un prix exorbitant. Il s’agissait d’un poulet qui avait accompagné Vasco de Gama dans son premier voyage d’exploration. Sa chair était dans un état avancé de fossilisation et le chef avait cherché à titiller mon palais en l’embrochant. » Inde : « Il nous fallut beaucoup de bruit, déplacer beaucoup d’air et glisser avec beaucoup de circonspection un billet de dix roupies sous son buvard pour persuader notre homme de son erreur. Des semaines, des années, des siècles s’écoulèrent ; des dynasties se fondèrent et s’effondrèrent, et ce bureaucrate stupide continuait à mâchonner son porte plume en se demandant si notre présence en Inde ne contrevenait pas au règlement. »
Egypte : visite des pyramides. « Au nom d’Allah, effendi ! Es-tu devenu fou ? Qui peut obtenir un pourboire d’un Arménien ? Peuh ! fit un des trois autres gardiens. L’arménien est un philanthrope à côté du chinois […]. Et les deux journalistes sont encore pires, maugrée le troisième. Ces rapaces nous voleront jusqu’à nos turbans ! Pauvres de nous mes frères, courrons nous réfugier dans les collines ! Boucle la, tu veux ? interrompit le guide d’un ton cassant […]. A présent remuez vous, tas de feignasses, j’entends la monnaie cliqueter dans leurs poches. »
Paris : « Sans doute existe-t-il un individu qui se paya du bon temps à Paris en cet été 1947, mais qui est-il et ou puisa-t-il sa motivation, je n’arrive pas à me le figurer. A mon avis, c’était l’un des bleds les plus déprimants à l’ouest de Shanghai. La pénurie alimentaire sautait aux yeux, le coût de la vie était astronomique et un voile de cynisme avait pudiquement recouvert le moral défaillant des habitants. Partout ou l’on allait, on éprouvait l’apathie et l’amertume d’un peuple meurtri par plusieurs années d’occupations ennemies. Dans ce climat mélancolique, vous comprendrez pourquoi le long séjour que nous avions projeté se réduisit à la durée d’une visite de condoléances. »
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