Les députés PS font le point, chaque mardi matin, sur l’actualité et l’ordre du jour à l’Assemblée. La révolte tunisienne n’a pas retenu l’attention des élus présents. Pas une première…
Du haut de ces murs, un siècle de socialisme les contemple en peinture : Jaurès, Mendès-France et Mitterrand. Un sanctuaire réservé aux députés PS pour faire le point, chaque mardi matin, sur l’actualité et l’ordre du jour à l’Assemblée. En ce 17 janvier, Martine Aubry préside au côté de Jean-Marc Ayrault, patron des députés de l’opposition. Sur leur table, et celles de leurs camarades élus, la revue de presse du groupe consacre dix-huit pages aux événements tunisiens. L’encre de la révolte juste là, sous leur nez. A eux, socialistes !
L’occasion de débattre, défricher, fixer une ligne et un cap politique ? Que nenni ! Martine Aubry n’a pas eu un traître mot pour le peuple tunisien. Le nom de Ben Ali n’a jamais été prononcé. Et super Ayrault a tranché. Sur les six questions d’actualité réservées au PS dans l’hémicycle, une seule sur la Tunisie. Angle d’attaque, charger la barque d’Alliot-Marie car « il faut marquer le coup ». Et « si vous n’y voyez pas d’inconvénient, c’est moi qui vais la poser car il faut que notre position soit clairement identifiée » ajoute-il. Malaise palpable. Silence coupable. Personne pour lever le petit doigt.
Nombre des ténors n’ont pas même daigné se déplacer. François Hollande, Jean-Christophe Cambadélis, Julien Dray, Manuel Valls, Laurent Fabius, Arnaud Montebourg, Jack Lang, Henri Emmanuelli ou Pierre Moscovici étaient absents. Le temps pour Jean Glavany de pianoter sur son iPhone au premier rang. Et d’entendre, dans un écho lointain, un député, Dominique Raimbourg, oser susurrer au micro : « à la suite des événements en Tunisie, on a été mis en cause pour notre peu d’empressement… Je suis preneur d’une question sur la République arabe Sahraouie démocratique. » Bien tenté. Mais voilà que deux parlementaires, Bruno Le Roux et Jean-Yves Le Déaut, noient le poisson avec les chiffres sur l’éducation. Suivie d’une demi-heure sur la réforme de la garde à vue dont le point culminant a été de savoir « si une chèvre qui vous lèche les pieds est de la torture douce ». Dame Aubry rit.
Il faut bien avouer que le PS n’a jamais voulu sonner l’hallali de Ben Ali. En 1988, à son accession au pouvoir, il était reçu en grande pompe dans un dîner de gala par Mitterrand rapporte Le Monde. Trois ans plus tard, il déclarait : « la Tunisie est un pays accueillant et les français qui aiment venir en Tunisie pour leurs vacances auraient bien tort de s’écarter de ce chemin. » Tout comme le PS qui intègre dès lors le parti du dictateur, le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique) dans l’Internationale Socialiste. Et dont au dernier conseil de Paris en novembre 2010, on honorait encore la présence de ses dignes représentants à sa table de travail. A savoir Hager Cherif et Jelal Trabelsi, du clan de la femme du président, Leïla Trabelsi, qui a pillé les richesses du pays. Ouf, ils sont depuis hier exclus. Merci au glorieux Cambadélis, secrétaire national PS à l’international, qui trouve ici une occasion de faire oublier l’absence de communiqué sur la dictature du pays du jasmin depuis sa prise de poste en 2008.
Alors quoi tous complices ? Point du tout ! A fouiller le ventre des archives de l’Assemblée, on peut s’amuser à compter le nombre d’interventions (questions écrites, au gouvernement, orales, avec ou sans réponses) de députés PS qui s’indignent du régime Ben Ali depuis 20 ans. Entre 1988 et aujourd’hui, ils sont intervenus huit fois. La dernière remonte à 2008. Pierre Moscovici s’était offusqué des propos de Nicolas Sarkozy suite à sa visite en Tunisie et qui avait déclaré : " Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse en Tunisie ". La même année, Ben Ali décorait le patron du FMI des insignes de Grand officier de l’Ordre de la République. Un certain Dominique Strauss-Kahn dont Moscovici soutenait la candidature aux primaires de 2007.
A noter l’interrogation de Royal, dix ans plus tôt, en 1997, un mois avant la cohabitation Chirac-Jospin : « Alors que les atteintes aux droits de l’homme ne cessent pas, la France s’apprête à accueillir le président Ben Ali ». Tout autre son de cloche quand c’est au tour d’Hubert Védrine, ministre socialiste aux affaires étrangères, de répondre, en 2000, à une question similaire d’un camarade, et de noter que « la France soutient la Tunisie dans ses réformes économiques et sociales, convaincue que l’ouverture économique et le progrès social s’accompagneront nécessairement d’un progrès dans le domaine des droits de l’homme. Nous relevons à ce titre le caractère encourageant des récentes déclarations du président Ben Ali en faveur d’une réforme du code de la presse et du droit reconnu à tout citoyen tunisien de disposer et d’user d’un passeport. »
Un passeport allègrement utilisé par Bertrand Delanoë, Tunisien d’origine, qui a multiplié les allers-retours entre sa terre natale de Bizerte et Paris… Et d’un Jacques Séguéla, jadis mitterrandien, un jour Royaliste et aujourd’hui sarkozyste qui, comme l’a révélé Bakchich, a bien tenté de gérer la communication de crise des derniers jours avant la fuite de Ben Ali.
De quoi peut-être mettre le PS dans la rue. Mais les 6 et 15 janvier, pas un drapeau ni un dirigeant socialiste n’était venu soutenir les manifestations pour la libération du peuple tunisien. Sauf David Assouline incognito. L’odeur de jasmin n’a pas atteint Solférino.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
France-Culture offre une tribune hebdomadaire à Hubert Védrine
Les commentaires laissés la semaine dernière à propos de la Tunisie étaient si critiques à l’égard de Monsieur Védrine (qui avait parlé couramment la langue de bois) que Jean-Marc Four lui a proposé ce matin à une deuxième manche.
La langue fut la même et je suppose les commentaires aussi, je suppose car pour l’instant, il n’y en a aucun.