Monsieur Optic 2000 règle ses comptes à Hong Kong. Une vraie leçon de mise en scène assénée par un Johnnie To au sommet de son art.
J’aime beaucoup Johnny Hallyday. Surtout quand il chante « Je t’attendrai toute la nuit – Mais sûrement pas toute la vie – Optiiiiiiiiiiiiiiiiiic 2000 ». Bref, j’ai toujours été imperméable à l’idole des jeunes et sa musique que d’aucuns ont qualifiés de rock. Quant à sa filmo, c’est une interminable série de nanars comme Terminus, sorte de Mad Max asthmatique, Wanted avec Harvey Keitel et Renaud (épatant pour une soirée pizza-bière entre potes), D’où viens-tu Johnny ?, le terrifiant Love me de Laëtitia Masson…
J’en passe et des pires, même si je garde un souvenir ému du Spécialiste, western italien de Sergio Corbucci où Johnny, pistolero taciturne, tentait de faire son Clint, avec éperons et cache-poussière. Depuis, le chanteur-acteur est devenu le double de sa marionnette des Guignols. Après avoir refusé un rôle dans le prochain Tarantino, le voir débouler chez Johnnie To ressemblait à une plaisanterie. De fait, Vengeance est une idée de producteurs, Michèle et Laurent Pétin (coup), déjà responsables de la saga des Taxi, Olé ! ou du remake nullissime du Deuxième Souffle. La grande classe, quoi. A l’origine, les Pétin voulaient sur la même affiche Alain Delon, demi-dieu en Asie, et Johnnie To, maestro du polar hongkongais.
Mais Delon, qui ne supporte pas l’idée de jouer un malade souffrant d’Alzheimer (mais qui vient pourtant de se décrédibiliser à vie dans Astérix), décline et les Pétin glissent à Johnnie To le nom d’Hallyday, en lui refilant deux DVD de concerts. L’affaire est dans le sac, le plan marketing est bouclé (impec pour les fans, top credibility pour les Inrocks, les Cahiers ou Libé, pas vraiment sûr pour le public de Hong Kong où Johnny est inconnu), avec - cerise sur le gâteux – une sélection à Cannes…
Proprio d’un restaurant à Paris, Francis Costello (remember Le Samouraï de Melville) débarque à Macao. Sa fille, son gendre et ses deux petits-enfants ont été dessoudés par une équipe de tueurs professionnels. Complètement perdu, avec une mémoire qui flanche, Costello doit faire au long de sa quête des Polaroïds de tous ceux qu’il croise, amis ou ennemis. Pour l’aider, il embauche trois hitmen qui vont mettre le feu aux triades, entre Macao et Hong Kong.
Bon alors, il est comment Johnny dans un film chinois ? Eh bien, ça commence plutôt mal. Quand il retrouve sa fille, clouée sur son lit de souffrance, et qu’il lui assure « Je vais te vengeeeeeer », une bonne partie de la salle se gondole doucement. Pas du tout crédible, Johnny est une caricature de gangster old school avec imper Burberry, lunettes noires et chapeau mou, parle comme sa marionnette, son visage ressemble à un masque de cire, et ses yeux, étrangement bridés, restent quasi fermés.
Pour l’épauler, To a embauché des génies comme Anthony Wong, Simon Yam, Lam Suet ou Lam Ka-tung, soit la crème des comédiens chinois. Des acteurs au moins aussi érotisés que leurs flingues. De plus, Johnnie To, qui ne parle pas anglais, encore moins français, a eu la très bonne idée de faire de son héros un personnage quasi muet. Sur le plateau, To a biffé toutes les répliques de Johnny, remplaçant trois lignes de texte par un plan sur un flingue, un travelling dans une ruelle, un regard perdu. Car To n’est pas Mankiewicz. C’est un des grands formalistes du cinéma, le Michael Mann hongkongais pour aller vite. Chez To, ce qui compte, ce sont les lignes de fuite, les néons, les cadres qui emprisonnent des héros condamnés à mourir, le tempo qu’il ralentit au maximum, le vide et le vent, le mouvement, une goutte de pluie qui s’écrase, la couleur de la nuit.
24 fois par seconde, To, le poète des armes, célèbre le cinéma et construit des cathédrales fragiles d’ombre et de lumière. Pour lui, le scénario n’est qu’un prétexte. Quand ses films ne sont pas entièrement improvisés, les scripts ne sont que des squelettes, des embryons (des tueurs protègent un caïd dans The Mission, des flics pourchassent des truands dans Breaking News, trois tueurs à gages doivent éliminer un ancien partenaire dans Exilé…) Dans son genre, le scénario de Vengeance est un modèle de grand n’importe quoi, bourré de coïncidences et de trous narratifs. Un exemple parmi cent : à la recherche de professionnels pour venger sa fille, Johnny en croise trois dans son hôtel au bout de cinq minutes de film. Oh, oh, oh.
Sans passé ni futur, le personnage de Johnny voit sa mémoire se vider comme un sablier (euh, il a une balle dans la tête, pas mal comme excuse). To filme une silhouette, un fantôme, un corps en mouvement sous la lune, les néons, la pluie. Et cadre ses yeux, comme chez Sergio Leone, deux yeux de serpent, prêt à mordre ou à prendre définitivement la fuite.
Quand il ne filme pas Johnny, le cinéaste fait ce qu’il sait mieux faire : du cinéma. Et là, c’est une symphonie. Un gunfight dans les sous-bois avec les coups de projecteur hasardeux de la lune, la poursuite sous la pluie, le carnage dans la décharge avec les tueurs qui se cachent derrière des montagnes de papier… A la fois peintre et poète, Johnnie To parvient à la forme d’expression cinématographique la plus pure, le nirvana du septième art. Et ponctue chaque mort de la fameuse « red mist » ou brume rouge comme disent les militaires, un jet de sang, geyser numérique qu’il transforme en calligraphie.
A la fin du film, Johnny sourit pour la première fois, sur une plage, au milieu d’une bande de gamins. Soudain, on comprend. Vengeance est un jeu d’enfants, une blague. On joue à se flinguer, on fait semblant d’être mort, on tombe, on se relève et on rigole. Et à ce petit jeu, Johnnie To est le premier de la classe.
A lire ou relire sur Bakchich :
Johnnie To ne parle pas anglais ??? Mais vous vous rendez compte des énormités que vous dites ?! C’est quoi cette parodie d’article ?!
Pour votre information Johnnie To est citoyen Hong Kongais et a donc connu la période du protectorat britannique, il parle donc comme ses compatriotes couramment la langue de Shakespeare, qui d’ailleurs revient dans beaucoup de ses films puisqu’elle fait toujours partie de la culture hong-kongaise…
Franchement ridicule cette critique…
Cher ami,
C’est Johnny lui même qui a déclaré que Johnnie To ne parlait pas anglais, dans le Nouvel Obs de la semaine dernière. La preuve :
N. O. - Comment communiquiez-vous ?
J. Hallyday. - Anthony Wong parle anglais et joue de la guitare, on a passé des soirées à chanter des vieux trucs de blues. Johnnie To ne parle pas anglais, il fait tout phonétiquement, c’est très drôle d’ailleurs.
Voilà. Désolé pour Shakespeare et sans rancune.