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L’assassinat de JFK hante toujours Hollywood

Cinéma / vendredi 21 mars 2008 par Jean-Baptiste Thoret
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Pas de répit pour Hollywood. Le dernier né de Pete Travis, « Angles d’attaque » revient sur la tentative d’assassinat d’un Président américain. Thème au combien classique qui prouve une fois de plus que l’Amérique ne se débarrasse pas facilement de ses fantômes.

À priori, aucune raison de parler d’Angles d’attaque, version assourdissante d’une saison de 24 heures ramassée en une heure trente et quelques milliers de plans illisibles. Sujet classique : la tentative d’assassinat du président américain sur une place de Majorque, au moment d’un sommet international censé unifier les politiques anti-terroristes. Un même événement vu et revu selon huit points de vue différents, d’un garde du corps (Dennis Quaid) à un badaud équipé d’une caméra HD (Forest Whitaker, voir la vidéo ci-dessous) en passant par le président himself (William Hurt).

L’assassinat politique : un scénario hollywoodien

Aucune raison si ce n’est que ce film confirme combien, ni le cinéma hollywoodien, ni l’Amérique (voir dans Bakchich, « Qui veut assassiner Barak Obama ? »), n’ont oublié les assassinats politiques de leur Histoire, devenus les fantômes permanents d’une production passionnante et éclectique, reliant d’une même obsession les films de Brian de Palma et ceux d’Arthur Penn (l’éclatement du crâne de Warren Beatty à la fin de Bonnie and Clyde en référence au meurtre de JFK), tout le cinéma du complot des seventies et Clint Eastwood (Un monde parfait et Dans la ligne de mire), les défigurations du cinéma d’horreur de Romero et Conversation secrète de Coppola, en bref une large part du cinéma américain post-63.

Au bon endroit, au bon moment

1963, justement. Le 22 novembre, le propriétaire d’une fabrique de vêtements de Dallas empoigne sa caméra super 8, se poste sur un muret de Dealey Plaza et filme le passage du cortège présidentiel. Abraham Zapruder ne le sait pas encore mais le petit home movie qu’il s’apprête à tourner deviendra le film le plus vu, le plus analysé et le plus commenté de toute l’histoire du cinéma. 26 secondes en couleur qui enregistrent l’assassinat de JFK et l’explosion plein champ du crâne du président. (La vidéo ci-dessous)

Confisqué le jour même par le FBI, vendu au groupe Time Life, projeté en public lors du procès de Clay Shaw à la Nouvelle-Orléans en 1967, les 477 photogrammes du film muet d’Abraham Zapruder deviendront l’objet d’innombrables gloses (Que voit-on précisément ? Le film a-t-il été trafiqué ? Amputé ? Qu’aurions-nous vu si l’on avait eu d’autres films et/ou une bande-son ?) puisque sa vision contrevient aux conclusions rendues par la Commission Warren en octobre 1964, celles d’un assassin unique (Lee Harvey Oswald), qui aurait tiré depuis le Texas Book Depositery trois balles (dont une dite « magique ») en une poignée de secondes. À partir des quelques photogrammes que le magazine Life fait paraître au compte goutte à partir de 1964, des copies pirates qui circulent sur les campus et sous les manteaux, le film de l’assassinat de Kennedy fait l’objet d’interminables gloses, alimente autant de théories de complot.

Mais surtout, il constitue l’une des matrices formelles du cinéma américain moderne, tant dans le surgissement de la violence sur les écrans de cinéma à partir de la fin des années soixante (1968, abandon du Code Hays), dans le sentiment d’un monde qui complote, que dans la rupture du pacte de visibilité qui fondait le cinéma classique pour lequel voir c’était comprendre. Avec le film de Zapruder, le spectateur du cinéma américain post-63 se retrouve atteint du syndrome Blow-out (film de Brian de Palma de 1982, voir la vidéo ci-dessous) : on peut voir mais ne rien comprendre, interpréter à l’envi mais ne rien saisir, ni de ce qui s’est passé, ni de la réalité qui l’a donné à voir.

L’énigme Kennedy à l’écran

Au fond, on peut distinguer dans le cinéma américain deux démarches aux visées radicalement opposées, mais toujours vivaces : une première qui cherche à résoudre par la fiction l’énigme Kennedy en se plaçant sur une terrain historique (voir Executive Action de David Miller et exemplairement le JFK d’Oliver Stone en 1992, qui a permis l’ouverture de certaines archives liées à l’événement). Et une seconde, fondée sur les vertus spéculatives de l’image cinématographique et pour laquelle investigations esthétiques et politiques se confondent.

C’est bien sûr de cette veine qu’ont surgi les films les plus stimulants, à commencer par ceux de Brian de Palma : dans Blow Out (1982). Le réalisateur imagine l’existence d’un contrechamp sonore au film de Zapruder et fait de John Travolta, un preneur de son enregistrant malgré lui l’assassinat d’un sénateur. À la fin de Phantom of the Paradise, il remet en scène la journée noire de Dallas via un assassinat en direct tandis que Snake Eyes débute par un plan séquence de plusieurs minutes s’achevant sur l’assassinat d’un homme politique (équivalent du film de Zapruder), avant d’être décortiqué, analysé et enfin compris par l’inspecteur Rick Santoro (Nicolas Cage).

L’exemple de The Shooter

Dans le récent The Shooter (Antoine Fuqua, 2007, voir sa bande-annonce ci-dessous), un ex-tireur d’élite retiré dans les bois est contacté par des hommes du FBI afin de les aider à déjouer un complot visant à assassiner le président américain. Que ferait Bob Lee Swagger (Mark Wahlberg) à la place du meurtrier ? Question tranchée en une fraction de seconde lorsque l’homme se rend compte, mais trop tard, qu’il vient d’être instrumentalisé dans l’assassinat d’un dignitaire éthiopien, détenteur d’un secret embarrassant.

La séquence d’ouverture se déroule en plein cœur de Philadelphie et reprend la plupart des motifs de l’assassinat de Kennedy à Dallas. Mais Swagger ne coïncide pas exactement avec le modèle élaboré par les conspirationnistes puisque le shérif local, une sorte de Jack Ruby des années 2000, ne parvient pas à le tuer. Traqué par une meute de militaires surarmés, Swagger tente alors de dénouer les fils du complot et fait bifurquer la fiction kennedyenne en imaginant qu’Oswald, l’assassin présumé de JFK, aurait survécu au traquenard et se serait retourné contre ses hypothétiques commanditaires.

On ne redira jamais assez combien le cinéma hollywoodien, surtout le plus « mainstream », énonce des idées qui, chez nous, se retrouveraient reléguées aux marges de la production, dans des petits films indépendants labellisés « politiques » et « engagés ».

Ici, Antoine Fuqua fait coup double : d’un côté, le film remplit avec élégance (magnifique séquence de troc sur le flanc de montagnes enneigées) et brutalité (combien de crânes explosés jusqu’à celui d’un sénateur inique) le cahier des charges du film d’action.

De l’autre, il témoigne d’une radicalité tranquille qui pilonne sans cesse le gouvernement américain, s’amuse de la « présence » d’armes de destruction massive en Irak qu’il traite comme un secret de polichinelle, dénonce l’implication de l’administration gouvernementale dans des massacres (ici, un village africain, contrariant l’économie pétrolière) avec une évidence presque consensuelle. Tout y passe, depuis l’assassinat de Kennedy, événement désormais fondateur d’un soupçon chevillé au corps d’une Amérique anti-bushienne, jusqu’à Abu-Ghraib (tout le monde, des chefs de l’armée au ministère de la défense, savait ce qui se passait), et plus rien n’étonne plus personne. Le génial Ned Beatty, sénateur pépère et mastermind de cette manipulation, vient rejouer le discours cynique de Network (1976) sur la puissance des intérêts privés et condense en une formule l’état d’esprit moyen de l’Amérique contemporaine : « Il n’y a pas de Démocrates et de Républicains, il y a ceux qui ont et ceux qui n’ont pas ».

Les éternels mythes américains

Il ne s’agit donc pas de constater l’extrême porosité des genres et des positions mais plutôt de s’étonner, encore et toujours, de l’incroyable capacité du cinéma hollywoodien à ramener au centre de fictions populaires et divertissantes (et donc pour le plus grand nombre, consommateurs de pop-corn et militants enragés), un alter discours qui, là-bas, ferait passer José Bové pour un social démocrate mou. C’est d’autant plus savoureux qu’en France, on réactive périodiquement le fantasme d’une « autre Amérique » qui n’existe que dans l’œil de celui qui ne sait (ou ne veut pas) voir combien le cinéma hollywoodien est ontologiquement une somme d’ « autres cinémas ». Bob Lee Swagger, alter combattant et cow-boy moderne, serait ainsi une sorte de John Rambo post-Kennedy et post-11 septembre (l’attaque de la villa d’un sniper du FBI à coup de napalm fonctionne comme rémanence du conflit vietnamien) qui a gagné en cynisme ce qu’il a perdu en croyance patriotique.

De ce point de vue, Shooter, bien plus que Angles d’attaques, constitue le symptôme parfait d’un pays qui, lorsqu’il perd confiance en ses institutions, puise dans ses racines (le Far West et le mythe du justicier œuvrant pour le bien de la communauté) et son histoire (corriger l’assassinat de JFK), l’énergie de la purification (balle dans la tête du mauvais politique) et de la reconstruction par l’individu.


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1 MESSAGES

Forum

  • L’assassinat de JFK hante toujours Hollywood
    le samedi 22 mars 2008 à 18:40
    excellent article pour une fois qu’un critique de cinéma ne s’arrête pas pas à son ressenti
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