Christine Lagarde, qui doit assister le 23 juin à Pékin au premier envol de l’Airbus A320 made in China, n’est pas la bienvenue. Un nouveau chapitre de la guerre franco-allemande au sein du constructeur européen, Airbus.
Ministre de l’Economie et des Finances, Christine Lagarde doit se rendre en Chine le 23 juin prochain. Un déplacement officiel et d’importance puisqu’elle doit assister à la cérémonie officielle du premier vol d’un Airbus A320, entièrement construit sur une chaîne d’assemblage chinoise. Un projet qui remonte à 2006 et une initiative qui vise tant à réduire les coûts qu’à capter une partie du marché chinois.
L’inauguration de cette chaîne de montage installée à Tianjin, près de Pékin, avait déjà donné lieu à une cérémonie prestigieuse, avec pas moins de 600 invités et la présence du Premier ministre chinois, M. Wen Jiabao. Les festivités prévues pour ce premier vol ne sont pas moins importantes et Airbus a mis pour l’occasion les petits plats dans les grands. Avec un souci du détail qui, si elle en était informée, devrait inquiéter la ministre française de l’Economie. Mme Lagarde ne sera en effet pas la bienvenue à Tianjin. Elle y est d’ailleurs attendue de pied ferme.
L’originalité très particulière du « comité d’accueil », qui se met actuellement en place, tient au fait que les Chinois n’y sont strictement pour rien, mais que les initiatives prises pour boycotter ou contrecarrer les effets de la présence de Mme Lagarde le sont par Airbus même, un constructeur aéronautique réputé pourtant - il n’ y a pas encore si longtemps - appartenant à la sphère d’influence française….
Une situation - l’influence française - d’ailleurs combattue avec opiniâtreté par certains dirigeants d’Airbus ou d’EADS et dont Bakchich a déjà eu l’occasion de faire état en publiant notamment une longue synthèse, fruit de la réflexion de cadres du groupe, inquiets de voir filer notre industrie aéronautique sous le contrôle des Allemands.
Extraits du rapport confidentiel des cadres français d’Airbus, sobrement intitulé « éléments d’analyses sur la situation d’Airbus » et paru sur Bakchich en mai 2008 :
"Si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que l’Allemagne a véritablement pris le leadership du groupe, occupant la plupart des postes clés :
• Rüdiger Grube à la tête du comité des actionnaires
• Hans Peter Ring aux finances d’EADS
• Stefan Zoller à la tête d’EADS Défense
• Lutz Bertling à la tête d’Eurocopter
• Tom Enders à la tête d’Airbus
• Des Allemands aux finances de chacune de ces filiales
• Chez Airbus, des responsables allemands ont pris la tête des achats, des opérations et du centre d’excellence fuselage et cabine, qui a lui seul englobe 17 315 postes de travail (au 30/11/2007), soit 30,1% de l’emploi total d’Airbus
• Dans le même temps, la France récupère la responsabilité du centre d’excellence aérostructures qui concernent 6 sites, dont 5 sont à vendre.
Avant de conclure : "en résumé, la plupart des postes stratégiques sont passés sous influence allemande, à l’exception de la filiale lanceurs ASTRIUM, confiée à François Auque.
Que reste-t-il à la France sans laquelle EADS et AIRBUS n’auraient jamais existé ? "
La diffusion de ce rapport devait bien provoquer quelques émois dans les hautes sphères politico-industrielles mais très vite le brave Louis Gallois, patron en titre d’EADS, se voulait rassurant. Quelques frictions, rien de grave et rien qui ne soit pas rentré dans l’ordre, assurait le brave « Loulou ». Pas plus tard qu’en mai dernier, à la veille de l’assemblée générale d’EADS, Louis Gallois (ainsi présenté : « avec son flegme quelque peu britannique et sa rigueur toute germanique ») accordait une interview à L’Express, dans laquelle il assurait que les tensions franco-allemandes étaient désormais « plutôt modérées par rapport à ce que le groupe avait vécu avant »…
Interrogé sur les changements résultants de sa nomination comme unique président exécutif d’EADS, Gallois assurait : « La vie de l’entreprise a complètement changé ». Et de préciser : « Nous avons maintenant un fonctionnement normal. Les débats internes ne sont plus franco-allemands. Ce sont des discussions naturelles, entre de fortes personnalités, avec lesquelles il faut trouver un consensus.(…) vous n’entendez plus parler de bagarres franco-allemandes. »
Mais comme en attestent les mails qui circulent en interne et que Bakchich a pu se procurer, c’est en toute décontraction et sans prendre donc aucune précaution particulière que Tom Enders, le patron - allemand - d’Airbus délivre ses consignes, à savoir tenir à l’écart la ministre française de l’Economie. Et sur un ton et dans des termes qui ne révèlent aucune ambiguïté. En particulier dans un e-mail en date du 20 avril dernier, dans lequel Laurence Barron, le président (britannique) d’Airbus China délivre à Geoffrey Shuman, directeur des affaires européennes d’Airbus (et en copie à d’autres collaborateurs), les dernières consignes anti-françaises d’Enders.
Ainsi : « Tom est particulièrement déterminé à promouvoir notre image européenne et nous ne devons pas permettre que l’événement soit pris en otage par les français - Christine Lagarde est attendue ».
Sous couvert donc de promouvoir « l’image européenne » d’Airbus, Tom Enders délivre des ordres « afin de ne pas permettre » aux Français, actionnaires historiques d’Airbus et à hauteur de 25 % du capital d’EADS, de « kidnapper » cet évènement.
Plusieurs autres mails d’une tonalité comparable, dont Bakchich a pu prendre connaissance, viendront compléter ces instructions, ce qui écarte l’hypothèse d’une formulation maladroite. Il s’agit bien de la part du patron allemand d’Airbus d’une politique. Politique au demeurant qui épouse parfaitement le profil et les prises de positions d’Enders. Surnommé « Major Tom », Enders est un ancien parachutiste de la Bundeswehr. Crédité de plus d’un millier de sauts, il est toujours officier de réserve. C’est en 1991 qu’il rejoint Dasa, filiale aéronautique de Mercedes-Benz avant d’être propulsé à la tête du pôle défense d’EADS. Selon le magazine Challenges, daté du 27 novembre dernier, Enders « arrive à la tête d’EADS avec des directives très précises de la part de DaimlerChrysler, premier actionnaire d’EADS : préserver à tout prix l’équilibre fragile entre Français et Allemands dans l’actionnariat et aux postes de direction. "La diversité culturelle est l’une des conditions de base du succès d’EADS", aime-t-il à répéter, une manière de laisser entendre qu’il ne se laissera pas marcher sur les pieds. »
Ainsi, c’est sous couvert de « diversité culturelle » ou de « promotion de l’image européenne » qu’Enders et les nombreux responsables allemands, désormais aux commandes d’EADS comme d’Airbus, s’emploient à éliminer les Français des postes à responsabilités, mais aussi à faire des coupes franches dans le tissu industriel hexagonal. Dans sa version initiale, le plan de réduction des coûts d’Airbus, « Power 8 », prévoyait de sabrer dans les effectifs ou de fermer des sites, de préférence en France. Seule une forte mobilisation du personnel avait permis de limiter la casse et contraint Gallois à revoir une copie si facilement entérinée.
Le 29 mai dernier, c’est encore Enders qui, pour fêter le quarantième anniversaire du constructeur européen, expliquait, dans une tribune publiée par le Financial Times, qu’Airbus devait construire ses nouvelles usines hors d’Europe : « Airbus ne restera compétitif sur le long terme que s’il développe des ressources et des marchés dans le monde entier (…) avec une production aux Etats-Unis, en Chine, en Inde et ailleurs ». Avant de conclure : « nous devons laisser le sentiment national derrière nous. » Le cœur des activités d’Airbus se situant encore en France, on comprend que cet abandon de souveraineté industrielle ne chagrine que modérément l’ancien para de la Bundeswehr ! L’affaire de mails atteste que la délocalisation des emplois dans la banlieue de Pékin ne suffit pas à apaiser sa soif d’en découdre avec ses « partenaires » français. « Le rêve d’Enders, c’est de transférer le siège d’Airbus de Toulouse à Berchtesgaden [1] », ironise méchamment un cadre d’Airbus, condamné à la clandestinité.
Mais comme on l’a vu pour le patron d’EADS Louis Gallois (rebaptisé, lui, « Chamberlain »), au chapitre des rapports franco-allemands au sein du groupe : « Tutto va bene ».
A lire ou relire sur Bakchich.info
[1] Résidence d’Adolf Hitler dans les Alpes bavaroises pendant la guerre
ça va mal finir leur guéguerre teutons contre gaulois ! Boeing se frotte déjà les mains. Et les chinois aussi avec ce transfert de compétences…
Pour cette visite, si les deux ministres de l’économie de France et d’Allemagne allaient tous deux en Chine,cela ne serait-il pas plus simple ? Car après sur le simple plan de la fonction (industrie, finance), il est parfaitement normal que notre plus célèbre voyante de France fasse le déplacement !
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre lecture du courriel. Il n’y a rien de choquant dans le choix des mots. C’est direct comme formulation mais c’est une communication interne au sein d’une entreprise privée ; pas un communiqué officiel au language lissé.
Et puis quoi de plus normal qu’une entreprise privée ne souhaite pas qu’un politique prenne le devant de la scène, ou impose des conditions lors d’une manifestation de l’entreprise. C’est peut-être pour éviter de raviver des tensions entre français et allemands justement, non ?
Tant que c’est dans un A320, elle pourra faire le voyage. En effet, Air France (pour calmer les pilotes) vient de décider de ne plus faire voler les A330 et A340 qui ne sont pas équipés de sondes neuves… !
Bayrou, le spécialiste des sondages, pourrait être mis à contribution… !