Un expert aéronautique revient sur la piste d’un possible « big bug » des centrales électroniques des Airbus A 330. Les signaux d’erreurs émis par le Rio-Paris avant son crash ne contredisent pas ces interrogations.
Malgré le crash du vol entre le Brésil et la France, les affaires reprennent… Airbus vient d’annoncer, au salon du Bourget, la vente de 24 A 320 à la compagnie Qatar Airways. Outre l’aspect financier, on pourra apprécier la confiance que les compagnies continuent d’accorder à l’avion phare de l’avionneur. D’ailleurs, peut-on remettre en cause la technologie Airbus ? Le Bureau Enquêtes Analyses (BEA), qui dépend du ministère des Transports, peut-il, au cours de ses investigations actuelles, se risquer à des conclusions mettant en cause radicalement la technologie de l’A 330 ? Sans doute pas…
Le directeur du BEA, Paul-Louis Arslanian, qui tenait une conférence de presse ce mercredi 16 juin à 10 h, devrait revenir sur les fameux tubes Pitot. Ces sondes servent, lorsqu’elles ne gèlent pas, à indiquer la vitesse de l’Airbus. Air France a indiqué que la Compagnie allait procéder à un audit général de cette technologie. L’avocate Sophie Bottai, qui défend les intérêts de la famille d’une des victimes, évoque « le non respect du principe de précaution par la compagnie, qui n’a pas changé les sondes en temps et en heure ».
Mais le débat lancé sur les tubes Pitot pourrait bien détourner les regards d’une autre piste d’explication, évoquée par Bakchich dès le 5 juin. A savoir l’éventuelle défectuosité des circuits électroniques des Airbus, qui avait été mise en cause, en janvier 2009, dans un rapport des autorités européennes après le grave incident survenu sur un autre A 330.
Comme nous le relations dans notre article dès le 5 juin et le Canard Enchaîné dans son numéro du 10 juin, un avion de la compagnie australienne Qantas, qui jouit d’une excellente réputation de sécurité des vols, a connu, voici près d’un an, le 7 octobre 2008, un très grave incident : plusieurs dizaines de blessés, dont vingt graves. Dans ce vol, les Adiru sont tombées en panne et ont provoqué la chute brutale de l’appareil, rattrapée in extremis. Il faut dire que par chance, ce vol ne croisait pas de cumulo nimbus en pleine nuit.
Après cette alerte, l’EASA (Agence européenne de sécurité aérienne) lancera même une consigne de navigabilité à caractère urgent en janvier 2009, détaillant la conduite à tenir en cas de panne des Adiru. Une procédure jugée plutôt compliquée par de nombreux pilotes – « surtout en plein orage, explique l’un d’entre eux, avec des turbulences car elle prévoit de transférer du carburant d’un réservoir vers un autre dans certaines conditions ! ».
Pour l’instant, Air France n’a pas répondu elle-même à ces interrogations. Les grands communicants de la Compagnie se sont contentés de pousser en avant quelques journalistes amis. Et Air France, à coup de sur-classements et de piges, ne manque pas d’alliés dans la presse. Ces fidèles scribes ont expliqué que le matériel informatique des Airbus A330 n’était pas le même selon les appareils, et notamment dans les deux vols qui nous intéressent : celui du Rio-Paris et celui de la compagnie australienne. Un argument très relatif car si c’est la conception, l’architecture générale de l’informatique, qui est en cause, le fait que les éléments qui la composent émanent de fournisseurs différents ne supprime pas les interrogations. Bakchich a également pris contact avec Airbus. Sans surprise, le constructeur se déclare peu convaincu par les hypothèses de notre expert. Nous avons toutefois posé un certain nombre de questions techniques pour lesquelles il nous a été promis une réponse.
A ce stade, une petite leçon de choses électroniques s’impose. Les mesures de vitesse, enregistrées par les tubes Pitot, sont gérées ensuite par des centrales électroniques, les ADIRU (Air Data Inertial Reference Unit). A quoi servent-elles ? Un expert aéronautique, Amine Mecifi, nous l’explique : « L’Adiru est à l’avion ce que l’oreille interne est aux pilotes. Au nombre de trois dans un A330, les Adiru permettent au pilote, mais aussi aux autres systèmes de commandes de vol, de connaître l’attitude de l’avion. L’ADIRU a également une partie élaborant les paramètres comme la vitesse ou l’angle d’attaque ».
Ce spécialiste des systèmes informatiques a suivi une formation de pilote de ligne et a appartenu à la cellule technique de l’association des victimes du crash de Charm-el-Cheikh, survenu en janvier 2004 (135 victimes). « Quinze jours après le crash du vol AF 447, tout a été dit techniquement. Il y a fort à parier que l’on ne retrouvera pas les boites noires et que la vérité ne sera pas connue comme pour le crash du Mont Saint Odile ». Quatorze années d’instructions avaient été nécessaires pour que l’association de victimes Echo arrive à faire comparaître les responsables d’Airbus, de la DGAC et d’Air Inter. Et notre expert de poursuivre : « De simples interrogations sur le fonctionnement des Adiru est déja trop sensible car cela revient à remettre en cause toute la philosophie Airbus. Les enjeux sont énormes ! ».
Accréditant la théorie d’un début au moins de big bug informatique, les messages Acars, seuls éléments techniques probants, montrent que deux des Adiru (la première et la troisième) sont tombées en panne. La deuxième peut alors fonctionner ? Ce que constate notre expert est proprement alarmant : « Normalement, si une ADIRU tombe en panne ou est arrêtée par les pilotes, elle devrait sortir de la boucle et ne plus fournir de données. Dans le cas de l’A330, il y a un bug car les Adiru défaillantes continuent à fournir les données même si les pilotes les arrêtent. Lesquelles données, erronées, viennent empoisonner les calculateurs des trois systèmes de commandes de vol ». D’où la déconnexion possible dans le cas du crash de l’avion d’Air France du pilote automatique, des écrans d’informations et toute la cascade de messages d’erreurs. A écouter donc Monsieur Mecifi, un principe très important dans l’aviation – la duplication et l’indépendance des différents circuits et instruments, appelé aussi redondance – ne serait pas respecté.
Les leçons à tirer de ces constatations s’imposent : « Je crois surtout qu’il faut se montrer très agressif face au traitement des pannes informatiques, même lorsqu’elles ne surviennent que très rarement et y apporter de vraies réponses », juge Amine Mecifi. Comme l’a affirmé Thomas Enders, le patron allemand d’Airbus : « L’A330 est l’un des l’un des meilleurs avions et parmi les plus sûrs jamais construits ». Encore faut-il accepter de reconnaître les éventuelles faiblesses de conception d’avions vendus à plus de mille exemplaires dans le monde. « L’avion est le moyen de transport le plus sûr », entend-on souvent comme une rengaine…
Oui, sauf pour les victimes de crashs.
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