Être inscrit sur la liste noire des compagnies aériennes, c’est embêtant pour le commerce. Heureusement, on peut tricher avec. C’est le cas de la compagnie thaïlandaise One Two Go. Ouf !
Comme le disait récemment la députée PS Odile Saugues, auteur d’un très bon rapport sur la sécurité aérienne, « pour être inscrite sur la liste noire européenne, une compagnie doit y aller très fort en matière d’insécurité aérienne ». La compagnie thaïlandaise à bas prix - et à bas niveau de sécurité -One Two Go dépasse tous les standards dans ce domaine.
Il y a deux ans, le 16 septembre 2007, le vol OG269 s’écrasait sur l’aéroport de l’île de Phuket (Thaïlande) lors de sa seconde tentative d’atterrissage. Bilan : 87 morts. Cause officielle – et bien utile - de l’accident : la météo et les pilotes. Ce jour-là, des trombes d’eau s’abattait sur l’île et des vents cisaillants avaient été signalés quelques minutes avant le drame. Mais Gérard Bembaron, fondateur de l’Association de défense des familles des victimes, évoque d’autres raisons et met en cause la liste noire. Car la compagnie interdite le 8 avril est à nouveau autorisée depuis le 14 juillet dernier.
L’association était intervenue plusieurs fois auprès de la Commission Européenne pour que One Two Go soit blacklistée. Après une visite sur place de 4 enquêteurs, l’instance européenne avait décidé en juillet dernier de l’inscrire sur la liste des transporteurs interdits. Mais cette inscription a été supprimée 3 mois plus tard au motif que les autorités thaïlandaises avaient annulé le certificat de la compagnie. Très fort ! La supercherie consiste à faire voler les mêmes avions avec les mêmes pilotes, la même maintenance, le même encadrement, les mêmes dirigeants et les mêmes habitudes frauduleuses, mais sous une autre licence, celle de sa société mère, la compagnie Orient Thaï. Selon M. Bembaron, un an avant le drame, un ancien commandant de bord de One Two Go, de nationalité canadienne, avait d’ailleurs tenté sans succès d’alerter les autorités - dont l’ambassade de France à Bangkok - sur l’imminence d’un accident. Sans succès…
Après le drame, l’association a réalisé une enquête édifiante sur le fonctionnement de la compagnie : « Une flotte aérienne de 25 ans d’âge en moyenne, une maintenance défectueuse - avec manipulation de l’historique des opérations -, un personnel non ou mal formé, des certifications de pilotes falsifiées, des horaires excessifs compensés par des règlements en espèces » résume Gérard Bembaron. La compagnie thai avait d’ailleurs exploré les voies du stakhanovisme aérien puisque le commandant de bord du vol OG 269 n’avait pas eu le moindre repos depuis 10 jours et totalisait 70h de temps de vol. Quant au copilote, il totalisait 27 trajets, soit 51h de vol depuis le début de la semaine. Tous les ingrédients d’un accident étaient donc réunis. A cela s’ajoute que la piste de l’aéroport de Phuket n’est pas conforme aux normes fixées par l’OACI - ce que le rapport intermédiaire sorti au bout de deux ans reconnaît - et l’inexistence des secours. Les pompiers ont mis 20 minutes pour arriver sur la piste, avec des cuves d’eau vides, un exercice d’entrainement ayant eu lieu quelques jours auparavant et les cuves n’ayant pas été renouvelées !
Il ne s’agit pas de simples dysfonctionnements mais de pratiques illégales. Deux ans après le drame, la justice a très peu avancé. En juillet 2008, suite à la plainte déposée par les familles des victimes, le procureur de la République a ouvert une information judiciaire confiée à deux juges d’instruction. Une expertise a alors été ordonnée et en décembre 2008 et une commission rogatoire internationale a été adressée aux autorités thaïlandaises. Aucune réponse n’a été apportée par la Thaïlande et la procédure française est de ce fait totalement paralysée. « Du coup, l’expertise n’a jamais eu lieu et l’enquête est au point mort, les enquêteurs n’ayant pu accéder aux documents nécessaires, ou interroger les personnes impliquées dans cette catastrophe » explique, désabusé le président de l’association. « En violation de la convention d’entraide judiciaire la liant à la France, la Thaïlande confirme ainsi sa volonté de rendre impossible toute enquête indépendante » accuse –t-il.
Le rapport thaïlandais de quelques lignes met en cause la responsabilité des pilotes. Aucune information n’est mentionnée sur le contenu des enregistreurs de vols qui ont été immédiatement récupérés. Pourquoi une telle économie d’investigations ? Gérard Bembaron avance une explication : la Direction de l’Aviation Civile Thaïlandaise (DCA) ignorait d’autant moins ces pratiques frauduleuses que certains de ses agents étaient par ailleurs, deux jours par semaine, pilotes pour One Two Go et appointés par elle. One Two Go n’est pas isolée. D’autres compagnies adoptent ces pratiques pour contourner d’éventuelles interdictions de la liste noire. Après le crash d’aout 2005, dont le rapport d’enquête est accablant pour le fonctionnement de la compagnie – (maintenance non rigoureuse et pilotes mal formés), la compagnie chypriote Helios Airways avait voté une recapitalisation… et également un changement de nom : Ajet Airways. A peu de frais, elle s’achetait une « accidentologie vierge ». Cette pratique porte un nom : le « stick change ». On repeint ses avions aux couleurs d’une autre compagnie. Ni vu ni connu…
L’association des victimes du crash de Phuket attend des autorités françaises qu’elles interviennent énergiquement auprès de la Thaïlande afin qu’elle respecte la convention d’entraide judiciaire, qui est le seul moyen permettant à la procédure française de progresser. Comme c’est souvent le cas, l’association a été reçue par le ministère des Affaires Etrangères, mais sans que cela n’entraîne de résultat. Ce n’est pas le seul intervenant possible, le Bureau Enquêtes Analyses (BEA) pourrait imposer son rôle d’observateur dans l’enquête administrative, au sujet de laquelle l’association n’a aucune information, mis à part les quelques lignes du rapport intermédiaire. Dans ce rapport, selon M. Bembaron, les vraies questions ne sont évoquées que dans des termes très vagues, en annexe : absence de formation des pilotes, horaires excessifs, non respect des règles de sécurité, pistes non conformes, secours non opérationnels, défaillance de la Direction de l’Aviation Civile Thaïlandaise (DCA).
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