La rencontre d’un insupportable vieux barbon et d’une jeune écervelée. Woody Allen, 73 ans et tout son talent.
« Les vacances commencent. Et c’est parti pour deux mois de désert cinématographique.
- Tu es fou, il y a plein de friandises à déguster cet été. Avec les reprises, tu pourras te goinfrer avec un Tati, des mélos de Sirk, Clint dans L’Evadé d’Alcatraz, Spartacus, Les Sept mercenaires, Les Douze salopards et en cadeau bonus quelques perles italiennes des années 70.
- Bien sûr, mais question nouveauté, il y a quoi à part cette merde propagandiste de Transformers 2, un des pires nanars de la décennie ?
- Un vrai film de Decepticon… Il y a plein de films cet été, des nuls, des bons, des excellents. Le Michael Mann, l’extraordinaire Bronson, du Danois Nicolas Winding Refn, Là-haut des studios Pixar, Bruno avec Sacha Baron Cohen, Le temps qu’il reste, un de mes chouchous de Cannes, le Tarantino ou encore le Audiard. Sans oublier le nouveau Woody Allen.
- T’es comme Sarko, tu aimes Woody, toi ?
- T’as boulotté un clown ou quoi ? Depuis 1969, Woody tricote un film quasiment tous les ans et dans sa grande période, il a enfilé des perles comme Annie Hall, Manhattan (un film dont il voulait brûler le négatif), Crimes et délits, Radio Days, La Rose pourpre du Caire… Depuis une vingtaine d’années, il brode des choses mineures, moins drôles, des trucs qui sentent le vieux slip, mais en quittant New York, il a eu une sorte de sursaut créatif.
- Tu parles de Match Point tourné en Angleterre ou Vicky Cristina Barcelona, sa virée en Espagne muy caliente ?
- Si, señor. Ça ne vaut pas les chefs-d’œuvre des années 70-80, mais c’est quand même nettement au-dessus de Escrocs mais pas trop ou Le Sortilège du scorpion de jade. Woody, qui va avoir 74 ans cet hiver, s’est remis à bander grâce à l’onctueuse Scarlett Johansson et à croire à nouveau au cinéma.
- Ça marche ensemble, non, le sexe et le cinéma ? Mais si Whatever works se déroule à New York, il n’y a pas Scarlett.
- Pas de Scarlett, mais la sublime Evan Rachel Wood, 21 ans et un sex-appeal de folie. Et si Woody revient à Manhattan, il est plein de sève. Son film est un festival de vacheries et de répliques ahurissantes. Son héros, Boris Yellnikoff, est un physicien à la retraite qui a tout raté : le prix Nobel, son mariage, sa vie et même son suicide. Chauve, boiteux, cynique, Boris, le loser absolu, sépare l’humanité en deux : les « pygmées » et les « microbes ». Avec un melon gros comme ça mais un sens de l’humour en béton armé, ce misanthrope passe la moitié de sa vie à vomir les malheureux qui croisent son chemin et enseigne les échecs à des gosses qu’il frappe copieusement. « Je ne suis pas un mec sympa », a-t-il l’habitude de déclarer. Doux euphémisme ! Comme il lui reste encore un ou deux copains, il philosophe sur des sujets aussi variés que le mariage, la coloscopie, le sida, la physique quantique, la crémation, le réchauffement climatique, le sens de la vie… Son credo, « Whatever works », « Du moment que ça marche » ou « Tous les moyens sont bons ». Un jour, Misanthropator rencontre une jeune fugueuse de 18 ans, Melody « Sainte-Anne » Celestine, mensuration de rêve, QI d’huître : la femme parfaite, quoi ! Ils vont cohabiter et le génie geignard va bientôt épouser la jeune écervelée.
- Un vieux ronchon névrosé, atrabilaire, dépressif mais drôle, hypocondriaque, antisocial, avec un GROS complexe de supériorité, un Pygmalion qui emballe une jeunette : c’est un film autobiographique ou quoi ?
- C’est vrai, c’est très bizarre. Le héros est interprété par le génial Larry David<, scénariste et interprète de la série culte « Seinfeld » et de « Curb your Enthusiasm », mais on a l’impression que c’est Woody qui nous parle face caméra. Et si, comme dit Woody, « Boris est une exagération extrême de mes sentiments », il est absolument fascinant de le voir se mettre à nu de la sorte. Ce qui sauve Woody, c’est son pessimisme indécrottable (« Je suis un réalisateur au travail lamentable. Je suis la plupart du temps déçu par mes films »), ses névroses, et bien sûr son humour. Mais en même temps, on se dit que partir en camping avec Woody n’est peut-être pas la meilleure idée qui soit…
- Je ne suis pas sûr qu’il parte jamais en camping. Et avec toi, tu rêves ! Avec ce retour à Manhattan, Woody revient-il à ses racines ?
- Tu ne crois pas si bien dire. Ce qui est drôle, c’est que Whatever works est un vieux rogaton. Pensant être confronté à une grève d’acteurs qui durerait tout l’été, Woody s’est retrouvé contraint de commencer en urgence un film au printemps 2008. Cela signifiait rester à New York - en période scolaire, pas question que Woody tourne ailleurs qu’à Manhattan - et comme Woody n’avait pas de script finalisé, il en a ressorti un vintage qui dormait dans sa boîte à idées depuis plus de trente ans, écrit sur mesure pour l’hénaurme Zero Mostel (héros hystérique des Producteurs de Mel Brooks), mort en 1977. C’est Larry David, machine à vannes, qui s’approprie le costume de Mostel et il est absolument dément. J’ai l’impression que la nouvelle muse de Woody, c’est lui ! On nage donc dans les eaux de Manhattan ou d’Annie Hall, bref, c’est simplement 1h 32 de bonheur hors du temps. « Whatever works » !
- Le film s’ouvre-t-il comme d’habitude sur un morceau de jazz suranné ?
- Non, c’est Groucho Marx, une des idoles absolues de Woody, qui chante dans Animal Crackers (L’Explorateur en folie) On est tout de suite dans l’ambiance… « Hello, I must be going… »
- Est-ce que Woody a ciselé quelques répliques d’anthologie comme « Quand j’écoute trop de Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne ».
- Ce n’est plus un film, c’est une symphonie. Voici ma préférée, une discussion dans un bar entre un péquenot cul béni et un cadre homo. « Dieu est gay ! - Non. Dieu a créé un univers parfait. Les océans, les cieux, les belles fleurs… - Naturellement, c’est un décorateur ».
A lire ou relire sur Bakchich.info