Mickey Rourke extraordinaire dans les collants d’un vieux catcheur usé. Plus qu’un come-back, une renaissance. Lion d’or à Venise.
Serge Kaganski ne dit pas que des conneries. Il en écrit aussi. Non, je déconne ! Sur son blog, il ose une comparaison audacieuse entre The Wrestler et Bruce Springsteen. « Bon film, ce Wrestler. Equivalent catch d’un bon Rocky 5 ou 6. Du Springsteen sur pelloche. Ce film, c’est en fait le meilleur album du Boss depuis The Ghost of Tom Joad. » Bien vu. De fait, le nouveau Darren Aronofsky est une radiographie de l’Amérique du Boss, avec ses prolos à la traîne du rêve U.S., ses bars glauques où l’on écluse des bières tièdes en écoutant les Guns N’ Roses, les illusions perdues et les vies brisées dans les 4 m2 d’un mobile home pourri.
Auteur de Pi, du très virtuose Requiem for A Dream et de la daube new-age The Fountain, Darren Aronofsky est un drôle de mec. Très doué et super roublard, il semblait jusqu’alors plus intéressé par les effets chocs, la frime et les gadgets esthétiques que par ses personnages. A 40 ans, il délaisse le bling-bling visuel et se prend pour les frères Dardenne à lui tout seul. Caméra à l’épaule, il colle aux collants d’un catcheur hors d’âge, une gueule cassée, crinière de lion, sonotone planté dans l’oreille, binocles de vieillard. Idole du ring des 80’s, Randy « The Ram » Robinson est aujourd’hui un homme seul, détruit et malade. Il se produit dans des gymnases pourris devant des spectateurs enthousiastes et avinés, ravis de contempler la souffrance de montagnes de muscles, plus ou moins has been. Sur le ring, Randy sort le grand jeu et leur en donne pour leur argent : il s’envole depuis la troisième corde, s’ouvre le front avec une lame de rasoir pour faire pisser le sang et participe même à du catch extrême où l’on se roule dans les barbelés et où l’on se mutile avec des agrafeuses ou des morceaux de verre. Rien n’est trop beau pour le public… Entre deux galas, Randy le Bélier travaille dans une superette, survit dans sa caravane, s’injecte des anabolisants pour gonfler sa vieille carcasse qui ne demande qu’à exploser. Victime d’une crise cardiaque, Randy va tenter de se rapprocher de sa fille qui le méprise et de séduire une strip-teaseuse au bout du rouleau. Mais malgré une opération à cœur ouvert, Randy a toujours le catch qui le démange et refuse de raccrocher ses beaux collants verts. Il va remonter sur le ring et, avec un peu de chance, mourir en beauté…
Ce Frankenstein du catch, au visage complètement refait et au corps monstrueux gonflé par les stéroïdes, c’est Mickey Rourke bien sûr. On pourrait dire que The Wrestler est son film. Tout d’abord, parce que Mickey, 57 ans, est de chaque plan et que son talent irradie à chaque microseconde de cette histoire de viande et de rédemption. Qu’Aronofsky le suive en train de déambuler de dos ou de marcher avec sa fille sur la jetée d’Asbury Park, Mickey est absolument dément et s’offre une performance digne de Brando. Pas moins ! Encore plus troublant, cette histoire de catcheur bousillé par la vie semble être celle de Mickey. Acteur absolument génial, Mickey Rourke a fusillé sa carrière. « J’avais une femme magnifique, une belle et grande baraque, plein d’argent, plein de propositions de boulot. Je suis devenu dingue, je passais ma vie avec les Hell’s Angels, à faire n’importe quoi, une violence insensée… » Rebelle sans cause, racaille de Beverly Hills, vaniteux, colérique, insupportable, il refuse, entre autres, Platoon, Les Incorruptibles, Rain Man et passe son temps à terroriser les producteurs (il avait écrit sur la porte de sa loge, lors du tournage de 9 semaines 1/2 : « Petit trou du cul de producteur, je t’interdis de croiser mon regard et de m’adresser la parole »).
Blacklisté par Hollywood, il enchaîne les nanars érotiques, les séries Z et décide de se mettre à la boxe. Bilan : deux traumatismes crâniens, une pommette fracturée, la langue sectionnée et les métacarpes des deux mains bousillés. Comme boxeur, Mickey est un tocard et après une brève carrière (93-94), il doit raccrocher à cause des dommages cérébraux qu’il a subis. Il se fait reconstruire le nez avec le cartilage des oreilles et offre son visage d’ange déchu à un chirurgien esthétique surnommé « le Boucher » (ça ne s’invente pas). Le résultat s’affiche format XXL sur tous les écrans… La suite appartient à la légende d’Hollywood. Mickey vit seul dans une caravane, tourne dans des merdes pour le marché vidéo, Terrence Malick coupe ses scènes dans La Ligne rouge, puis Francis Ford Coppola, Sean Penn et Robert Rodriguez lui offrent une seconde chance… La rédemption est en marche.
« I’m an old broken piece of meat » (« Je suis un vieux morceau de viande cassé en deux »), assure Randy à sa fille. Quand Mickey prononce ces quelques mots, avec son visage à demi-paralysé, on ne peut s’empêcher de frissonner. Cet homme, imparfait, minable, perdu, qu’Aronofsky dissèque sous nos yeux, c’est Mickey. Et c’est nous, spectateurs de nos vies trop petites, brisées ou simplement pathétiques. Randy a une sale gueule mais une belle âme. Pour Aronofsky qui semble penser qu’il y aurait une forme de sainteté à souffrir pour les autres, c’est un Christ peroxydé qui offre son sang et son corps à ceux qui veulent bien communier et qui l’acclament. Encore une fois, l’acteur maso, habitué aux coups et aux visites à l’hosto, se confond avec son perso. « Darren voulait que je saigne, j’ai saigné. », avoue Mickey qui a pris 17 kilos de muscle, s’est cassé la moitié des os et a passé trois IRM. Mickey a besoin de souffrir pour exister, souffrir pour expier ? Ecorché vif, il ne peut se contenter de jouer.
S’il filme la souffrance, le sacrifice et la rédemption, Darren Aronofsky parvient à matérialiser sur grand écran la tristesse insondable des vies ratées, la solitude. The Wrestler, son meilleur film, vibre constamment de moments d’absolue vérité entre son héros et sa fille, entre un homme et une femme accoudés à un comptoir, entre des catcheurs qui s’étreignent et se complimentent avec un combat plus ou moins mis en scène. Devant sa caméra, il n’y a plus que la gueule cassée de Rourke, des larmes et l’émotion. The Wrestler se termine sur une image figée. Un envol ou une chute ? Puis la voix de Springsteen résonne, pour une de ses plus belles chansons depuis des lustres.
« Have you ever seen a scarecrow filled with nothing but dust and wheat ? If you’ve ever seen that scarecrow then you’ve seen me Have you ever seen a one-armed man punching at nothing but the breeze ? If you’ve ever seen a one-armed man then you’ve seen me »
The wrestler, un film on ne peut plus extraordinaire. A mon sens, c’est un réel nostos d’un héros hors pair, qui a su faire son regain au cinéma. Mickey Rourke a toujours répondu présent quoiqu’il ait décliné des rôles titres. Il semblerait que c’est plus que cathartique cette réalisation cinématographique ; merci Darren !
le casting est, par ailleurs, assuré : Marisa , c’est ce qu’il fallait pour cet ingrédient féminin en vue de mener à bien cette dimension doublement pathétique et lyrique.
Enfin, cette "lutte" triangulaire ne saurait être mise en scène sans l’apport, à moindre degré mais fort émouvant, de la bellissima Evan Rachel Wood.
The Wrestler est simplement plus qu’un morceau de viande, un réagal dirais-je.
Le jour de gloire est arrivé. L’emballement, que dis-je, l’ébullition maîtrisée et médiatique concernant la sortie des films qui seront téléchargés – sans l’accord de Luc Besson – a intronisé le catch au rang de genre présentable en société.
Rappelez-vous, jadis, hier, les années 80. Cette époque funeste où Darren Aronofsky n’aurait pu immortaliser la lutte à main nue faite en stretch et en surnom abracadabrantesque, la faute aux cultureux de base pétris d’orgueil lorsqu’ils récitaient le petit Garry Kasparov illustré.
Quoi de mieux qu’une mascotte pour anoblir un nouveau membre de la famille « Officielle » ? Mickey Rourke est la poupée gonflable parfaite, silhouette aussi improbable que mouvante et la tragédie risible au bout du scalpel.
La société religieuse du beau, du bien et du mieux peut difficilement admettre le penchant malsain de certaines de ces élites pour la débauche de testostérone en toute convivialité. Hulk Hogan en a crée des érections confuses !
http://souklaye.wordpress.com/2009/02/18/aujourd’hui-les-bobos-et-ceux-qui-les-pourfendent-aiment-le-catch-je-peux-faire-mon-coming-out/
"The fountain", une daube new age ? C’est son film le plus personnel, retourné avec sa femme et des acteurs près à faire un rabais de cachet… après une version hollywoodienne qu’Aronofsky ne pouvait supporter. Rien que pour ça il vaut le coup d’oeil.
"The wrestler" son meilleur film ? Pas si sûr, même si le talent et l’ambiance sont bien là. Un excellent film, maîtrisé, chargé de sens et d’émotions mais qui en aucun cas ne dépassera un "PI" exaltant, novateur et sans concessions.
N’empêche que The Fountain est un passionnant film raté (mais passionnant quand même, quand on songe à ce qu’il aurait pu être… allez, avec un petit million de dollars supplémentaires). Par contre, The Wrestler a au moins ceci d’incroyable : Aronofsky, s’il le veut, peut se couler dans un moule hollywoodien aux antipodes de son univers personnel, avec une rare efficacité (30 jours de tournage, pas de dépassement de budget…) - et le faire exploser ! Depuis combien d’années on n’avait pas vu ça ?
vivement la suite de ses aventures !
S.