Les angoisses d’une femme au bord de la crise de nerfs. Christophe Honoré en plein cinéma existentiel. Quasi parodique.
Pas mal, cet été, non ? Le Pixar, Bronson, le Suleiman, le Tarantino, le Audiard…
- C’est vrai, même si je ne suis pas du tout d’accord avec toi sur le Tarantino. Les distributeurs sortent l’artillerie lourde pendant l’été. Ils ont enfin compris que l’on pouvait avoir envie de voir des films pas complètement décérébrés entre le 1er juillet et le 31 août. A côté de ça, la rentrée semble un poil morne : Les Regrets, Le Coach, Ultimate Game, Julie & Julia, La Proposition, L’Affaire Farewell… Qui a envie de voir des trucs pareils ?
- Attends, il y a quelques bonnes surprises quand même. District 9, le film de Kathryn Bigelow, Fish Tank, Thirst, le nouveau Park Chan-wook, le réalisateur coréen d’Old Boy. Et puis, il y a le film de Christophe Honoré.
- Je t’arrête tout suite. Tu continues et c’est le coup de boule, direct.
- Quoi, en plus, t’aimes pas Honoré ?
- Je sais, ce n’est pas très « critiquement correct ». Le gars a la carte et il est devenu le chouchou des Inrocks, Libé, Les Cahiers (où il a bossé) et de Télérama. Son « cinéma », c’est tout ce que je déteste : de beaux garçons, dans de beaux appartements des beaux quartiers parisiens, devisent gentiment, rejouent les jeux de l’amour et du hasard et se prennent pour des réincarnations des héros de la Nouvelle vague. Le mec se rêve en François Truffaut des années 2000, c’est juste le Marc Lévy des branchouilles. Ça sent la naphtaline, mais sûrement pas le ciné. Lors de la sortie du Prophète, Jacques Audiard stigmatisait ce cinéma français déconnecté de la réalité. Un cinéma qui se regarde le nombril et qui se touche la nouille.
- Tu ne peux comparer Honoré et Audiard, les deux hommes n’ont rien à voir. Honoré, c’est quand même un cinéaste qui sait filmer l’émotion. Tu as vu Les Chansons d’amour ou Dans Paris ?
- Oui, j’aurais mieux fait d’attraper la grippe A. On est dans la pose, la fausse transgression, la fabrication, le truc. Impossible d’y croire, impossible, encore moins d’être ému.
- Bon, je suppose que tu n’as pas aimé non plus Non ma fille tu n’iras pas danser ?
- Ce n’est pas un mauvais film, c’est pire, un film inutile. Un film qui ne parle de rien…
- … Arrête, c’est un film sur les violences faites aux femmes.
- T’as lu le dossier de presse, toi.
- Pas seulement. Non ma fille, c’est l’histoire de Léna, interprétée par Chiara Mastroianni, une jeune mère de famille, fragile, paumée, qui s’est séparée de son mec. Elle arrive pour un court séjour en Bretagne chez ses parents et découvre que sa maman et sa sœur ont invité son ex.
- D’où grosse crise. On comprend que Léna est prise entre une maman étouffante, un désir de liberté, une sœur qu’elle jalouse, des mômes qu’elle a du mal à élever, des responsabilités non assumées, un jeune amant, un quotidien incertain… Ouh là là !
- C’est le quotidien de milliers de femmes.
- D’accord, mais est-ce que c’est intéressant ? En quoi est-ce nouveau ? Et qu’est-ce qu’Honoré dit de cela ? Je sais qu’Honoré aime les chansons et j’ai l’impression que son film pourrait servir de clip au tube inoubliable de Cookie Dingler, « Femme libérée », dont je vais me faire un plaisir de te rappeler le refrain : « Ne la laisse pas tomber Elle est si fragile Être une femme libérée tu sais c’est pas si facile »
- Je connaissais tes goûts ciné, je vois que mooosieur est également mélomane. Mais bon, c’est vrai, Honoré a lui-même déclaré : « Je voulais raconter une histoire qui montre que la pression sociale est toujours très présente sur les mères. Qu’il n’est pas facile de concilier une vie de femme et de mère. »
- Et l’on voit quoi ? Une femme qui se prend la tête avec moman, avec sa sœur, son frère, son ex, qui aimerait bien s’envoyer en l’air, mais bon c’est pas sûr. Léna doute, elle avance, elle recule…
- … Ne va pas plus loin, t’es à Bakchich quand même.
- Elle avance, elle recule et le film fait du sur place. Qu’a voulu faire Honoré, une chronique familiale à la Desplechin, un « beau » portrait de femme au bord de la crise de nerfs, une peinture existentielle de l’ultramoderne solitude de nos amis les bobos ? Je n’en sais rien et je pense que lui non plus.
- Mais les acteurs sont formidables.
- Tu la veux ta torgnole, toi ! La semaine dernière, Jacques Audiard nous présentait des visages neufs, la relève du cinéma français, Tahar Rahim, Adel Bencherif ou Hichem Yacoubi. De bons acteurs, « beaux comme des camions », dixit Audiard. Que fait Honoré ? Il nous afflige avec sa distribution d’endives, ces insupportables « fils de » qui gangrènent le cinéma français. Tu en as pas marre de voir la gueule de Chiara Mastroianni ou de Louis Garrel, de ce cinéma consanguin. J’oubliais, Honoré a même placé son frangin, Julien, néanmoins assez juste et drôle.
- Il y a aussi Marie Christine Barrault.
- Marie Christine Barrault, 65 ans aux fraises. Tu as juste l’impression qu’il l’a choisie pour la courte scène de cul où il la filme à poil. De la provo à deux balles.
- Arrête, tu m’excites. Et la forme ? Tu n’as sûrement pas aimé la séquence du conte, en plein milieu du film.
- J’aurais du mal à te parler de la forme, car j’ai eu l’impression de visionner un téléfilm fauché de France 3-Morbihan ? Dès le début, gare Montparnasse, tu as cette caméra tremblotante, portée à l’épaule, pour faire djeun’ et une image couleur papier cul. Tous les clichés du ciné parisien auteurisant. Pour l’irruption du surnaturel, Honoré met en images un conte traditionnel breton, l’histoire de Katell Gollet. Alors là, c’est à pisser de rire : des figurants, grimés en Bretons pur beurre, tirent des gueules de galériens constipés, sirotent du cidre et mangent des crêpes. Comme c’est symbolique, il y a une jeune fille qui danse jusqu’au bout de la nuit et épuise tous ses cavaliers en sabots. Puis, un jeunot s’empare de la donzelle, danse frénétiquement jusqu’à la tuer : le diable probablement… Puisque le spectateur est à priori stupide, Honoré lui sert cette parabole ridicule sur fond de binious frénétiques : les femmes sont des victimes, et pour les débiles profonds qui n’auraient pas compris, il le surligne avec le titre.
- Et l’émotion, Marc, l’émotion ?
- Quelle émotion ? J’ai l’impression qu’Honoré voudrait bien peindre les âmes, l’impermanence des choses. C’est peut-être un écrivain, mais pas un cinéaste. Il lui manque la grâce, la poésie, le talent pour tourner du bout des lèvres, du bout du cœur.
- Rien que ça ?
- Oui.
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