Rechercher dans Bakchich :
Bakchich.info
UNE BRÈVE HISTOIRE DE BAKCHICH

Tags

Dans la même rubrique
Avec les mêmes mots-clés
RÉCLAME
Du(des) même(s) auteur(s)
CULTURE / CHRONIQUE CINÉMA

Two Lovers & Hunger : deux chefs-d’œuvre

mardi 25 novembre 2008 par Marc Godin
Twitter Twitter
Facebook Facebook
Marquer et partager
Version imprimable de cet article Imprimer
Commenter cet article Commenter
recommander Recommander à un ennemi

Signées James Gray et Steve McQueen, deux œuvres importantes, essentielles, sortent à une semaine d’intervalle.

Toutes les semaines, le cinéma nous inflige son lot de purges, ses nanars, des films bâclés, nuls, véritables insultes à notre intelligence, des trucs sans passion et sans âme, usinés à la chaîne par des pros du marketing, de la diarrhée destinée à dégouliner à la télé, en DVD et bientôt dans votre portable… Puis de temps et en temps, l’amateur se retrouve confronté à un film, un vrai, une œuvre conçue par un metteur en scène qui parle enfin à nos sens, un petit bijou qui le fait frissonner de bonheur et le cloue au fauteuil. C’est rare, mais ça arrive encore et cela vous (re)donne la foi pour quelques bons mois. Et c’est le cas avec Two Lovers et Hunger, deux films qui sortent à une semaine d’intervalle, deux de nos chouchous de 2008, deux films qui résonnent très fort et longtemps après la projection.

Les histoires d’amour finissent mal, en général

Two Lovers marque un changement radical dans la carrière du new-yorkais James Gray. Après un premier polar fulgurant réalisé à 25 ans (Little Odessa, avec Tim Roth), on avait l’impression que James Gray bégayait. The Yards explorait les mêmes thèmes que Little Odessa et La nuit nous appartient déclinait ad nauseam les clichés du film noir dans un scénario asthmatique et sans surprise. Avec Two Lovers, Gray abandonne les flingues et s’inspire d’une nouvelle de Dostoïevski (Les Nuits blanches). Son acteur fétiche, Joaquin Phoenix, incarne un maniacodépressif incapable de surmonter la rupture qui lui a brisé le cœur, un trentenaire suicidaire qui vit encore chez papa-maman et qui en crève. Tandis qu’il fait la connaissance de la ravissante fille du nouvel associé de son père (Vinessa Shaw), il s’éprend bientôt de sa voisine inaccessible (Gwyneth Paltrow), une blonde sexy, égoïste, dingue, droguée, qui entretient une relation tumultueuse avec un avocat marié. Un pur fantasme, une apparition comme Kim Novak dans Vertigo, qui va le plonger dans un torrent de joie et des abymes de douleurs.

Joaquin Phoenix, notre Brando

Allumé à Cannes à cause d’un scénario prétendument inexistant, Two Lovers vous happe dès la première image. Cette histoire, cette quête désespérée de l’âme sœur, c’est la nôtre. Pour la raconter, Gray arrête de faire le malin avec sa caméra virtuose, adopte un style proche de celui de Cassavetes et métamorphose chaque plan en un trésor polysensualiste. Epaulé par chef-opérateur, Joaquin Baca-Asay (La nuit nous appartient), il filme un regard, des cheveux qui flottent dans le vent, une main qui s’éloigne, un gant emporté par l’océan, une bague dans le sable… Surtout, il cadre en gros plan Joaquin Phoenix, le plus bel animal du septième art depuis Brando. Dans le rôle de cet homme brisé, Phoenix est tout bonnement magnifique. Engoncé dans un corps malhabile, il faut le voir déambuler, se cogner aux portes de son appartement-sarcophage. L’amour va être pour lui une renaissance, un premier pas vers la liberté. Le vieux garçon commence alors à prendre son destin en main, se mue en séducteur et met le feu au dance-floor lors d’une scène déjà anthologique. Les ombres d’Hitchcock, de Kazan et de Sirk planent sur ce film crépusculaire, dont la mélancolie irradie la pellicule. On en sort le cœur en morceaux.

La chair, le sang et la merde

Impossible également de sortir indemne de Hunger, le premier film de fiction du plasticien britannique Steve McQueen, 39 ans comme James Gray. Et si l’expérience s’apparente à une plongée tête la première durant 100 minutes dans le tambour d’une machine à laver, c’est surtout la révélation d’un talent à l’état brut, la naissance d’un très grand metteur en scène. Avec Hunger, McQueen fait revivre une figure historique de l’IRA, Bobby Sands, jeune « terroriste » républicain de 27 ans condamné à quatorze ans de prison pour ses activités politiques antibritanniques. Le premier mars 1981, Sands décide d’engager une grève de la faim totale afin d’obtenir, avec ses compagnons de lutte, le statut de prisonnier politique. Son chemin de croix va durer 66 interminables jours.

Pour son premier film donc, Steve McQueen réinvente le cinéma. Le personnage principal du film n’apparaît qu’au tiers du film, après que McQueen ait accroché sa caméra aux basques d’un maton dont les mains ruissèlent de sang, puis à celles de deux prisonniers hirsutes et décharnés. McQueen passe d’un camp, d’une cellule, d’un corps à l’autre. C’est simple (il change de narrateur trois fois) et simplement génial. Même s’il refuse toute psychologie et se passe même de la parole (une bonne partie des scènes sont muettes), McQueen donne leur chance à tous ses personnages. Mais surtout, McQueen filme ce que personne ne filme. Quand les prisonniers font la grève de l’hygiène et tartinent les murs de leurs cellules d’excrément, McQueen filme la merde comme une œuvre d’art. Ce qui intéresse le cinéaste plasticien, c’est le corps et ses déjections, les phalanges explosées à force de cogner, les escarres qui font éclater la peau, les visages tuméfiés, les blessures qui suppurent, le corps comme « dernière ressource de la contestation », la chair et le sang d’un martyr qui a sacrifié sa vie pour une cause. Un homme. « Je veux montrer ce que l’on a pu voir, entendre, sentir et toucher dans le Quartier H en 1981. » Mais McQueen ne se contente pas de le montrer. Il brûle la rétine du pauvre spectateur et lui tatoue l’âme. On n’a pas fini de parler de lui…

Two Lovers de James Gray avec Joaquin Phoenix, Gwyneth Paltrow, Vinessa Shaw. Sortie en salles le 19 novembre. Hunger de Steve McQueen avec Michael Fassbender, Stuart Graham, Liam Cunningham. Sortie en salles le 26 novembre.

AFFICHER LES
5 MESSAGES

Forum

  • Two Lovers & Hunger : deux chefs-d’œuvre
    le mercredi 26 novembre 2008 à 11:29, Daniel Grandet a dit :
    Joaquin Phoenix est aussi peu charismatique que possible. Comment River Phoenix, aussi beau et aussi talentueux, a-t-il pu avoir un frère à ce point terne ?
  • Étrange
    le mercredi 26 novembre 2008 à 01:58, loulou a dit :

    The Yards qui bégaye et We own the night qui décline ad nauséam les codes du film noir..

    Cher Marc

    Vous êtes décidément fâché avec les polars

    The Yards qui met à jour la corruption qui gangrène nos sociétés de consommation et qui s’infiltre jusqu’à dans la cellule familial est un somptueux polar que je recommande vivement aux lecteurs.

    We own the night est un petit bijou qui certes emprunte aux codes du film noir mais pour le transcender en une oeuvre épique qui touche à la tragédie grecque ( une constante ce souffle sheaksperien qui traverse tous les films de Gray)

    • Étrange
      le mercredi 26 novembre 2008 à 14:57, Marc Godin a dit :

      Cher(e) Loulou,

      Quelle drôle d’idée. J’adore le polar. Je trouve seulement que James Gray avait tout dit dans Little Odessa, qui reste pour moi un des grands films des années 90. The Yards me semblait moins fort (notamment sur la famille), moins fulgurant, moins essentiel. Quant à La nuit nous appartient, je suis dubitatif : deux frères que tout oppose, un flic et un truand, la famille ou la mafia… J’ai l’impression d’avoir vu cela 258 fois. Gray réussit quelques belles scènes (la poursuite sous la pluie), Robert Duvall est épatant comme d’habitude, mais on est plus dans le cliché que dans "le bruit et la fureur", non ? Mais bon, avec Two Lovers, Gray prouve qu’il est grand et il lui sera beaucoup pardonné. Quant à Spino-for-ever, vous avez raison, Hunger ne pouvait pas concourir pour la Palme. Autant pour moi. Mais que Two Lovers reparte bredouille, c’est quand même trop injuste, comme disait quelqu’un que j’aime bien. Néanmoins, je crois que j’ai un problème avec le film de Laurent Cantet. Est-ce grave ?

      • pas grave
        le mercredi 26 novembre 2008 à 21:08, spino-for-ever a dit :

        nan, pour "le" Cantet c’est pas grave. Juste dommage (j’ai revu Dernier Maquis, je maintiens que beaucoup de choses rapprochent ces deux films et que votre jugement est peut-être faussé par le bruit médiatique).

        Sinon, je vous suggère de filer voir Septième ciel (déjà en salles) et de revenir nous dire ce que vous en pensez. Pour ma part, je suis resté sur le cul.

        respectueusement vôtre

        S.

  • chefs-d’œuvre ?
    le mardi 25 novembre 2008 à 12:59, spino-for-ever a dit :

    cher Marc

    Un petit bémol à votre enthousiasme.

    Hunger est fort, Hunger est beau, Hunger est prenant…

    Hunger est un rien trop beau.

    S’attarder à ce point sur les dessins de merde sur les murs des cellules, comment dire… ça lasse. L’esthétique, j’ai surtout rien contre, mais j’aime pas trop avoir l’impression de sortir d’un film et de me retrouver en contemplation devant un tableau désincarné.

    Et Hunger doit beaucoup,

    trop,

    à la performance physique de son interprète principal.

    (Dont on se dit, en sortant de la salle, qu’il aurait aussi bien pu être casté pour un remake d’Ombres et brouillard par Benigni.)

    Enfin Hunger est long. Très long. Le dialogue avec le curé, pardon mon Père, n’a pas la force de Pialat - et aurait été raccourci de moitié que je ne me serais pas assoupi…

    Enfin, Hunger n’était pas en sélection officielle à Cannes mais présenté dans la sélection Un certain regard.

    Impossible à palmer, donc. Quand bien même Sean Penn…

    respectueusement vôtre,

    S.

    ps : je suis également à genoux devant Two lovers, melo au carré, superbe !

BAKCHICH PRATIQUE
LE CLUB DES AMIS
BEST OF
CARRÉ VIP
SUIVEZ BAKCHICH !
SITES CHOUCHOUS
Rezo.net
Le Ravi
CQFD
Rue89
Le Tigre
Amnistia
Le blog de Guy Birenbaum
Les cahiers du football
Acrimed
Kaboul.fr
Le Mégalodon
Globalix, le site de William Emmanuel
Street Reporters
Bakchich sur Netvibes
Toutes les archives de « Là-bas si j’y suis »
Le locuteur
Ma commune
Journal d’un avocat
Gestion Suisse
IRIS
Internetalis Universalus
ventscontraires.net
Causette
Le Sans-Culotte