Un vieux grincheux décide de faire le ménage dans son quartier. Papy Clint ressort les flingues. Epatant, bien sûr.
L’inspecteur Harry a mal vieilli. Il porte maintenant son pantalon sous les aisselles, dégueule le monde entier et est toujours aussi prompt à sortir son gun.
Il a également tourné vieux con : il est salement borné, réac et raciste. Ses voisins asiatiques vont vite comprendre leur douleur. Dès qu’il en voit un, il pousse un grognement d’homme des cavernes, crache (mais à ce petit jeu, il est battu par une mamy championne du monde du mollard) et déverse une diarrhée d’injures racistes comme « Tête de nem », « Bridé », « Face de citron », j’en passe et des pires. Vétéran de la guerre de Corée, Walt Kowalski, puisque c’est comme cela qu’il s’appelle, vient d’enterrer son épouse. Hostile à toute rencontre, il écluse des bières sous son porche, regarde vieillir sa chienne Daisy, peste contre les « étrangers » qui envahissent le quartier et maudit les racailles qui écoutent du rap à fond en passant devant sa baraque où flotte la bannière étoilée. Kowalski n’a plus qu’une passion dans sa vie : sa Ford Gran Torino 1972. Et quand un ado asiatique tente de lui voler, Kowalski va se fâcher. Tout rouge !
Deuxième film de Clint Eastwood avec pour titre un nom de voiture (remember l’effrayant Pink Cadillac), Gran Torino marque le retour triomphal de papy Clint devant la caméra, quatre ans après Million Dollar Baby. Et c’est la révélation d’un talent comique insoupçonné, avec un festival de froncements de sourcils à faire pâlir Jack Nicholson, un grand numéro de vacheries et de répliques qui tuent (il déclare au prêtre « Je pense que tu es un puceau surdiplômé de 27 ans qui aime bien tenir la main de vieilles dames en leur promettant la vie éternelle »). Le climax étant une incroyable joute oratoire avec le coiffeur italien, incarné par le formidable John Carroll Lynch, vétéran de la télé vu dans Fargo ou Zodiac, festival d’insultes racistes et vannes machos. Un grand moment dans la filmo pas si fun de Clint (ça vous faisait rire quand il embrassait un orang-outan dans Doux, dur et dingue ?). Clint a même cette réplique imparable, quasi autobiographique : « On m’a déjà appelé de plein de noms, mais jamais de marrant. »
Bien sûr, Clint n’est pas seulement « marrant » dans son film et on le retrouve, comme on l’aime, le visage fermé, l’air impitoyable, en train de viser un ennemi potentiel avec son index, comme s’il le flinguait avec un magnum 44. Du pur Dirty Harry. Mais soudain, le doute : et si ce vieux réac misanthrope, c’était Clint lui-même ? On se souvient qu’il avait assuré en 2005 qu’il buterait Michael Moore s’il osait débarquer chez lui. Républicain décomplexé, Clint a même déclaré aux Inrocks à propos de George Bush : « Seul le recul historique permettra de vérifier s’il était sur la bonne voie ou pas. » Pas vraiment un libéral notre ami… Comme Kowalski, Clint aime les armes, déteste l’Etat et Washington. Mais alors que son héros monolithique est parti pour s’offrir un bon bain de sang, Clint le transforme en un personnage plus complexe que prévu, incapable de parler avec ses propres enfants, rongé par la culpabilité. Très intelligemment, Clint fait mine d’incarner Harry le salopard pour un dernier tour de piste, mais il le tourne en dérision, le met à nu, au sens propre et au sens figuré, avant de l’humaniser in fine. Ouf…
Sur le plan formel, Clint prouve une nouvelle fois qu’il est le dernier des classiques. Mais on est loin de la majesté de L’Echange, sorti il y a seulement trois mois. Pas de mise en scène élégiaque, pas de style contemplatif, ici Clint s’offre un film teigneux, politiquement incorrect et énervé qui s’apparente à une série B de Don Siegel. Mais Gran Torino n’est pas un simple film de vengeance. Quand Clint tombe le masque, il se lance dans un véritable film bilan où il revisite son œuvre, reprenant les thèmes de L’Inspecteur Harry bien sûr, mais aussi d’Impitoyable (le héros hanté par son passé) ou du crépusculaire Million Dollar Baby. Clint cogne, tire, vocifère, mais il ne parle que de transmission, de sacrifice, de renaissance. Et d’amour. C’est tout simplement bouleversant.
Tout simplement bouleversant !
Ah ! Si ce vieux bonhomme toujours pas revenu de la Guerre de Corée pouvait donner des idées de tolérance et d’amour de son prochain à tous ceux qui verront le film.
Depuis "Les pleins pouvoirs" j’observe le personnage qui, à chaque film, se découvre un peu plus. Dans "Gran Torino" il affiche une violence qu’il exerce lui-même, sans passer par l’interface d’un de ses personnages. Du grand art.
Ne boudons pas notre plaisir et saluons la performance de l’artiste.