Un palmarès équilibré, courageux, mais une cérémonie télé grotesque, sans un seul extrait de film, avec néanmoins une magnifique Charlotte Gainsbourg.
« Une compétition prestichieuse ». Ce n’est pas moi qui le dit, mais Michael Haneke, lauréat de la Palme d’or pour Le Ruban blanc. Si le cru 2009 ne restera pas dans les annales, le palmarès est une modèle de cohésion et de courage, pas comme l’année dernière où Sean Penn palmait Entre les murs et oubliait Valse avec Bachir. Le Grand prix pour Un prophète de Jacques Audiard, un prix médaille en chocolat pour Alain Resnais (Les Herbes folles), les prix d’interprétation pour Charlotte Gainsbourg (Antichrist) et Christopher Waltz (Unglourious Basterds), le prix de la Mise en scène pour Brillante Mendoza (Kinatay) et deux prix du Jury pour Andrea Arnold (Fish Tank) et Park Chan-wook (Thirst, ceci est mon sang). Avec ce palmarès, j’ai l’impression que Cannes récompense vraiment le cinéma, le plus pur, le plus transgressif, le plus moderne, celui qui innove, celui qui dérange, celui qui apaise. Et au lieu de sanctifier pour la xième fois les bégayants Almodvar ou Tarantino (qui a déclaré qu’il allait remonter son film), le jury a récompensé deux géants (Resnais et Haneke), deux fils de (Audiard et Gainsbourg) et fait le pari du cinéma asiatique le plus novateur avec le Chinois Lou Ye, le Coréen Park Chan-wook et le Philippin Brillante Mendoza. De vraies propositions de cinéma.
Si le palmarès est un sans faute, on ne peut en dire autant de la cérémonie, nouvelle pantalonnade télévisuelle grotesque, fête du cinéma sans aucun extrait de films ! Toujours maître de cérémonie échevelé, Edouard Baer commence avec un « Mon dieu, quel océan de tendresse s’abat sur moi » et se lance sur une impro nombriliste, brode sur le thème « le cinéma, c’est du travail », décline un « Passe-moi le sel » chez Audiard, Haneke ou Almodovar, se plante et s’arrête comme il a commencé. L’air sinistre, Isabelle Huppert raconte que le festival fut une expérience magnifique (alors que les ragots assurent que les jurés, notamment James Gray, se sont écharpés), mais Terry Gillian se souvient qu’il fit partie le siècle dernier des Monty Python en faisant mine d’accepter une récompense qu’il était censé remettre. Quand l’extraordinaire Charlotte Gainsbourg débarque, l’émotion souffle enfin sur la Croisette. En la voyant remercier Lars Von Trier pour cette expérience, « la plus intense, la plus douloureuse, la plus excitante » de sa carrière, puis Yvan (Attal, son mari), ses deux enfants, Ben et Alice, sa mère, et enfin son père (« J’espère qu’il est fier de moi, fier et très choqué, j’espère »), j’ai eu l’impression que Charlotte, 37 ans quand même, se métamorphosait en direct, passant du statut de petite chose fragile et timide en femme qui n’a plus peur de rien (beaucoup d’actrices ont refusé le film-choc de Lars Von Trier) et en mère de famille qui parle de ses enfants comme « une respiration ». Charlotte, je t’aime.
Les trois derniers prix ont permis à leurs lauréats de se lancer dans des déclarations pour le moins surprenantes. Alain Resnais, 86 ans, marche péniblement, complètement tordu sur la scène. Au micro, il assure – hilare - qu’il est surpris et ému de ce prix « dans une catégorie tout à fait surprenante » (vu son âge canonique, les jurés ont bricolé en vitesse ce prix « exceptionnel », Isabelle Huppert l’a répété au moins trois fois). Quand il a reçu sa récompense pour Un prophète, Jacques Audiard, chouchou de la presse, lance cette phrase étrange, « Je suis saisi d’un syndrome d’imposture » et cela ne semblait pas une pose. Quant à notre chouchou, l’Autrichien rigolard Michael Haneke, il nous en a sorti de deux très bonnes. La première, drôle comme une réplique de Luc Besson, donne le titre de cet article. La seconde, plus étonnante encore, est : « Je suis très heureuse ». Alors là, Michael, j’en suis toute ébouriffée…
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